Chapitre 15 : Bienvenue en Italie
Dans la voiture, l’atmosphère n'est pas des plus joviale. Le regard fixé sur la route, la mâchoire crispée, Robin n’a pas dit un mot depuis notre départ. Il est maintenant très clair qu’il ne participe pas à cette sortie de gaité de cœur. Je me doutais bien, quand je lui ai proposé ce repas à quatre, qu'il ne serait pas enchanté, mais j'espérais tout de même qu'il ferait un minimum d'effot. Alors qu'il se gare sur le parking, je compte bien le lui faire remarquer :
— J’espère au moins que tu ne comptes pas tirer cette tête tout au long du déjeuner ?
— Rassure-moi, tu ne t’attendais tout de même pas à ce que je saute de joie ?
En plus de son ton sec, il ne prend même pas la peine de me regarder lorsqu’il parle.
— Bien sûr que non. Seulement, je pouvais très bien venir seule, si ça te dérange à ce point de m’accompagner.
Je fais vraiment de gros efforts dans le choix des mots et de la tonalité de ma voix, pour ne pas envenimer la situation mais s’il n’y met pas du sien, je ne vais pas tenir longtemps.
— Pour laisser le champ libre à l’autre guignol ? Certainement pas !
« Là il va trop loin » s’offusque ma conscience.
— Si c’est la seule chose qui te tracasse, alors tu peux rentrer l’esprit tranquille ! Mais arrête d’être insultant envers mes amis parce que, à choisir entre eux et toi, je n'aurais aucune hésitation.
Je quitte précipitamment le véhicule en claquant la portière derrière moi. L’air glacial me fait regretter d’avoir laissé mon manteau sur le siège arrière mais il est hors de question que je retourne m’asseoir dans cet état de nerf. Si je reste une minute de plus en compagnie de Robin, je fais un carnage.
— Rentre, tu vas attraper froid.
— Crois-moi, il ne vaut mieux pas !
— Quelle tête de mule !
J’entends la porte côté conducteur s’ouvrir et ses pas lourds s’avancer dans ma direction.Finalment, il pose ma veste sur mes épaules.
— Tiens ! Je n’ai pas franchement envie d’appeler SOS médecin cette nuit.
« Trop aimable » ironise ma conscience.
Sans que nous puissions revenir sur le sujet, une voix féminime se fait entendre sur le parking :
— Tu vois que nous ne sommes pas les premiers !
« Elle ne pouvait pas tomber au pire moment. », se plaint ma conscience.
Je tourne la tête pour regarder dans la direction du bruit et, alors que ma meilleure amie s’avance vers nous perchée au bras de Liam, quelque chose attire mon attention sans pour autant que je puisse mettre le doigt dessus. Comme à son habitude, elle est sublime. Un jean slim taillé parfaitement, une veste en cuir bordeaux qui laisse deviner une blouse en dentelle blanche et des ballerines noires. Tout est très sobrement harmonieux, même le maquillage est léger. Pas de blingbling, ni de strass ou de paillette ? Même pas un bijou clinquant. À la voir ainsi aux côtés de Liam, qui est également en jean et veste en cuir noir, on pourrait presque les trouver bien assortis.
« Il serait ravi de t’entendre ! » se moque ma conscience.
En un quart de seconde, je change de masque pour ne pas montrer l’évidente tension qui est présente entre Robin et moi. Je m’arme d’un sourire radieux, tout en allant à la rencontre de mes amis.
Tanya lâche Liam pour se jeter dans mes bras.
— Je suis trop heureuse de te revoir, Bichette.
Elle me serre si fort que j'en aurais du mal à respirer.
— Moi aussi. Seulement, si tu continues de m’étouffer de la sorte, je crains bien que ce sera la dernière fois.
Elle me lâche pour saluer Robin, me laissant face à mon ami. Un sentiment étrange m’habite. En fait, je suis gênée de ne pas savoir comment réagir. D’autant plus que je sens le regard lourd de Robin sur moi, qui veille comme une poule sur ses petits. Les yeux gris de mon ami trahissent le même sentiment d’inconfort. On dirait deux ados aux résultats du bac.
— Salut, lance-t-il avec un signe de main.
« Alors vous en êtes vraiment rendus là ? » s’insurge ma conscience alors que j’allais lui répondre de la même manière.
Oh et puis flûte ! Je m’avance et lui réponds, tout en lui faisant la bise. En dix ans d’amitié on a toujours fait ainsi, je ne vois pas pourquoi ça changerait maintenant. Je m’occuperais du jaloux derrière moi plus tard.
Une fois les salutations terminées, Tanya, visiblement très comblée à la perspective de se repas, nous propose :
— Vu que l’on est tous là, on peut s’avancer.
Mes deux amis se recollent bras dessus-bras dessous et nous emboîtent le pas, alors que je me confronte au regard mécontent du grand brun.
— On peut toujours leur demander s’ils ont des chambres dans ce restaurant, murmure-t-il visiblement très insatisfait. Vous auriez eu plus d’intimité.
Je lui réponds de la même manière, pour ne pas être entendu pas le binôme de devant :
— Ta voiture est encore proche. Si tu n’es pas content, tu peux rentrer.
En guise de réponse, il passe son bras autour de ma hanche et m’escorte jusqu’à l’entrée.
Si la devanture de ce restaurant est tout à fait quelconque avec son petit panneau vert où il est inscrit « Chez PéPé », à l’intérieur se cache un réel voyage vers l’Italie. Toute la décoration est faite pour créer une mise en scène des plus beaux endroits de ce pays. De la gondole miniature en guise de table à la reproduction du Colisée servant de bar, en passant par les nombreuses colonnes inachevées, sans oublier les représentations des autres monuments emblématiques, tout est soigneusement orchestré. En franchissant la porte, on se laisse vite bercer par la mélodie de l’accordéon qui apporte à cet endroit tout le romantisme qui fait sa réputation.
— Roxane ! Tanya ! cris de joie un petit bonhomme grisonnant à la moustache parfaitement recourbée. Je finissais par me demander si je vous reverrais un jour.
Alors que son parfait accent italien résonne dans toute la pièce, l’homme vient à notre rencontre. Comme à son habitude, il porte ce tablier si usé qu’il est grisâtre et tout troué. Le tissu rapiécé est noué autour de son ventre bien rond. Avec Tanya, on a bien tenté de lui en offrir un nouveau une année pour Noël, mais rien y fait, Pépé ne veut pas se séparer de son tout premier tablier.
— On n’oublie jamais les meilleurs endroits.
L'homme me prend dans ses bras puis embrasse Tanya et enfin, son regard de Pépé se pose sur les garçons.
— Oh, mais je vois que vous êtes en charmante compagnie. Qui sont donc ces deux messieurs qui vous accompagnent.
Sans tarder, je fais les présentations.
— Les garçons, voici Felipe, alias Pépé, le propriétaire de cet endroit merveilleux. Pépé, voici Liam, un ami commun avec qui on est déjà venu et Robin, mon … Mon
— Petit ami, finit le grand brun en serrant la main de notre hôte.
Les yeux de Pépé s’illuminent.
— Quel veinard vous êtes, il n’y a pas plus douce que la belle Roxane.
— Et plus têtue, ajoute le brun à voix basse.
Les yeux de pépé s'illuminent de malice :
— Alors vous êtes au bon endroit ! En Italie, on aime les femmes de caractère. Bon, et si je vous installais.
Le petit homme s’empare de quatre menus et nous guide jusqu’à la table la plus reculée du restaurant. Instantanément, un flot de souvenirs me reviennent en mémoire.
C’est à cette même table que nous avions révisé pendant trois ans. Chaque semestre, avant les examens, nous venions ici pour changer d’air. Tanya disait toujours qu’à défaut de voyager, le voyage venait à nous, et pour cause ! Dans ce coin à l’écart de toutes les autres tables, l’acoustique est parfait pour entendre la musique sans être perturbé par les conversations des clients et ainsi on se laisse complètement emporter par le décor. Le temps d’un repas, on oublie où l’on est.
Une fois tout notre petit groupe assis, Pépé nous fausse compagnie. La concentration se faisant sur le choix de nos plats, personne n’ose dire un mot. Très vite, le silence devient pesant et, pour palier au vent glacial qui s'est intallé autour de cette table, je me mets à me ronger les ongles. Heureusement que je peux compter sur Tanya pour engager la discussion.
— Alors, Robin, quoi de neuf depuis la dernière fois qu’on s’est vus ?
Je sens le grand brun se crisper à côté de moi. Si Tanya voulait détendre l’ambiance, c’est loupé. Bien que ça lui coûte, Robin finit par lui répondre, sans même lever les yeux du menu.
— Eh bien, rien de passionnant. J’ai enfin trouvé grâce aux yeux de ta copine têtue, j’ai demandé un changement de service qui a été refusé et voilà. Sinon, à votre avis, c’est quoi la spécialité du chef ?
Je répond mécaniquement, mécontente du peu de tact dont fait preuve l'homme qui m'accompagne :
— Les lasagnes végétariennes au pesto.
Ce repas est vraiment en train de virer à la catastrophe. Je me demande comment j’ai pu accepter une telle chose. Il est maintenant certain qu’il est bien trop tôt pour ce genre de banalité. Entre Robin qui n’a pas l’air de vouloir s’intéresser à mes amis, Liam qui semble prêt à bondir sur l’interne au premier faux pas et Tanya qui enchaîne les questions malaisantes, je vais finir par tomber dans les pommes à force de rattraper les faux pas de tout le monde.
Après avoir gentiment commander mes tagliatelles à l’encre de seiche auprès de Pépé, je décide d’aller prendre un peu l’air. Tournant, tel un lion en cage, devant la petite vitrine du restaurant, je ne peux m’empêcher de me flageller l’esprit d’avoir été assez naïve pour penser que ces retrouvailles à quatre étaient une bonne idée. Moi qui espérais me changer les idées après la dispute d’hier avec mon père, ce n’est clairement pas le cas.
— Ton plat est servi, annonce Tanya en se plaçant devant moi.
— Merci, j’arrive.
Alors que je me mets en route, elle me retient par le bras.
— Si je peux me permettre, pour quelqu’un qui est sensé s’épanouir en amour, tu ressembles plutôt au portrait de ma vieille tante Jeanne qui a fini vieille fille. Ça ne va pas avec Robin ?
— Tu veux dire, à part le fait qu’il ne voulait pas venir, qu’il ne compte pas faire d’effort et qu’il est jaloux de Liam ?
— Oui bon c’est vrai qu’il cache très bien sa joie, ironise-t-elle, en me prenant la main. Mais le fait qu’il soit là, c’est déjà un effort en soi.
Je pouffe de rire.
— Non, il est là juste pour me surveiller. Il n’a ni confiance en moi, ni en Liam. Je suis certaine qu’il est persuadé que l’on est deux animaux prêts à se sauter dessus.
Elle éclate de rire.
— Moi qui pensais qu’il te connaissait mieux que ça !
— Il faut croire que non ! Enfin, je ne compte pas le laisser gâcher ce repas alors retournons y, avant qu’ils s’étripent, Liam et lui, d’avoir été laisser seuls trop longtemps.
Nous rigolons et retournons prendre place à table.
Intérieurement, je suis loin d’être sereine. Le comportement de Robin m’exaspère réellement. Je ne pensais pas que ce serait si compliqué pour lui de jouer le jeu le temps de quelques heures. Enfin, bien sûr qu’il a ses raisons, et que si je n’avais pas fauté avec Liam dans le passé, les choses seraient sûrement différentes aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, il va bien falloir qu’ils mettent de l’eau dans leur vin, tous les deux, car je n’ai pas l’intention de choisir entre l’un ou l’autre.
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