Cher journal
« Cher journal,
Aujourd’hui, j’ai fait tomber un enfant et j’ai volé le sac d’une vieille dame. Pourquoi l’ai-je fait ? Mais parce que c’est dans ma nature. Je suis ce que je suis, on ne peut pas changer le destin, on ne peut pas changer les gens.
Parfois je me demande ce qui me prend de faire ça, mais je trouve que ça me fait du bien de voir cette peine sur les visages, cet effroi dans les yeux des filles que je viole. Le monde est fait de cruauté, maintenant je peux en témoigner. Le mal est venu à moi prématurément, comme un voile noir recouvrant toute issue, toute sortie vers la lumière.
Je sais que ce que je fais n’est pas correct et j’en assume les conséquences mais je veux que les gens comprennent que la vie n’est pas simple. Non, elle ne l’est pas et elle ne le sera jamais. Il faut se battre dans la vie et c’est ce que je fais à ma façon. Je me raccroche à ce qu’il me reste en commettant des injustices, c’est ma façon de penser. Peut-être que vous ne la comprenez pas, tant pis car je sais que le plus important, c’est ce que je pense.
Mais au fur et à mesure que j’écris, je me rends compte qu’il est stupide d’écrire dans un vulgaire journal car ce que je ressens ne mérite pas d’être gravé noir sur blanc sur un vulgaire bout de papier. Non, cela a plus d’importance à mes yeux, je l’exprime à travers la cruauté de mes actes, cela me soulage.
Mais il y a cette fille. Cette fille, si belle, si arrogante… Par un beau matin d’été, je m’apprêtais à voler de l’argent à un couple qui ne me regardait pas faire quand elle est apparue sur ma droite. Ses cheveux flottaient dans l’air tel de soyeux fils de lin et son parfum répandait une odeur de rose pure. Moi, je n’ai pu résister à son charme. J’ai lâché les billets et je suis resté là, bouche ouverte sans rien dire. Je n’osais pas bouger tellement cette rencontre était magique. Évidemment, elle m’a regardé d’une façon étrange et s’est dépêchée de s’enfuir.
C’est tout le temps comme ça. Dès que quelqu’un me voit, il fait tout son possible pour m’éviter, j’inspire la peur. Il est vrai qu’avec mes cernes et mes habits noirs, je n’inspire pas la confiance aux gens. Mais c’est à cause de cela que je me sens seul. Terriblement seul. Je suis renfermé sur moi-même avec pour seule compagnie mes pensées noires, mon désir d’atroces actes. Je n’arrive pas à m’en défaire.
Mais je reviens à cette fille. Quand elle est partie, elle avait laissé son sac à main devant moi. Alors je me suis retrouvé face à un dilemme. Soit je laissais le sac à main ici en me disant qu’elle le retrouverait soit je l’emportais en essayant de la chercher pour lui rendre son sac. J’aurais pu réfléchir et laisser le sac là mais ce jour-là, j’ai décidé de n’en faire qu’à ma tête, j’ai donc pris le sac.
J’étais perdu, totalement perdu. Je l’ai cherchée partout et je l’ai trouvée. Elle était seule, dans la rue et elle semblait désorientée. Je me suis approché et elle a fait un bond en arrière. Quand elle a vu son sac dans mes mains tremblantes, elle m’a traité d’escroc et de voleur et elle a sorti son téléphone. Là, tout s’est effondré. Cela s’est passé très vite, la police est arrivée car bien sûr, elle l’avait contactée. Je les revois encore me mettre des menottes et je repense encore à la souffrance que j’ai endurée. Elle n’a même pas cherché à comprendre que je lui rendais son sac. C’est le dernier souvenir que j’ai d’elle.
J’écris depuis la prison où on m’a conduit, ce sont les gardiens qui m’ont donné ce journal, ils ont bien fait. Peut-être qu’un jour, quelqu’un lira ces mots, peut-être qu’un jour, quelqu’un comprendra ma souffrance. Mais ce jour-là, ce jour où j’ai écrit ma vie, ne m’appartient plus.
Adieu. »
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