Chapitre 3
Cela fait maintenant plus d’une demi-heure que nous attendons le propriétaire de l'appartement que l'on va louer avec Mathieu.
Nous avions rendez-vous avec lui à onze heures, ce qui nous a fait prendre la route vraiment tôt et, avec la fatigue qui s'installe, notre patience devient limitée.
- Franchement Cara, il abuse, me lance Mathieu de son regard azur. Il ne me tarde que d’une chose, DORMIIIIR.
Pour ponctuer sa phrase, il pose sa tête blonde sur mon épaule, enfin comme je suis largement plus petite que lui, il lui faut plier les genoux pour arriver à ses fins. Je comprends qu’il soit épuisé, il a conduit tout le trajet, refusant de me laisser le volant de son petit bolide. J’adore Mathieu, mais il a parfois des idées arrêtées que je ne comprends pas. Par exemple, il est inconcevable pour lui de se laisser conduire par une femme. Il parle de galanterie, moi je l’associe à du machisme. Chacun son point de vue. Finalement, je cale ma tête contre la sienne.
- Je sais bien, moi non plus je n’aime pas les gens en retard.
Intérieurement, je suis assez contente que l’on se retrouve dans le 5-ème arrondissement, car jusqu’à présent, la rue n’a pas l’air très passante. Je ne connais pas Paris, mais le fait que nous ne soyons pas entourés de bâtiments de dix étages ou plus, ou bien accolés à un boulevard, a un côté assez rassurant. Alors, oui c’est assez difficile de se faire une idée précise de la tranquillité puisque notre rue est en travaux et qu’ils retapent le bâtiment qui nous fait face. Mais, la rue s’entremêle d’immeubles à l’architecture assez ancienne en pierre taillée et de bâtiments plus « modernes », même s’ils sont déjà tâchés par la pollution, pas plus haut que cinq ou six étages. D’un coup, elle me paraît bien loin la maison de mes grands-parents avec leur beau jardin toujours bien tondu et les oiseaux que l’on entend chanter à longueur de journée. Ici, bien que la rue soit calme, mise à part des pigeons qui fouillent les nombreuses poubelles qui s’alignent, pas de trace de petits merles, ou de rouges-gorges.
Alors que j’allais tenter de recontacter le propriétaire pour la dixième fois, un petit bonhomme grassouillet et au crâne dégarni s’approche de nous, à la hâte.
- Mademoiselle LAFONT, monsieur GARBE ? nous questionne-t-il en alternant son regard sur Mathieu et moi.
- Oui ? réponds-je agacée.
- Je suis votre propriétaire monsieur LEMEURTE. Nous allons faire ensemble l'état des lieux de l'appartement puis je serais votre contact exclusif en cas de problème. Avez-vous les documents demandés pour le bail ?
Il se présente comme si on ne s’était jamais vu auparavant, mais il y a quelques mois, nous sommes venus, Mathieu, ses parents, mes grands-parents et moi, pour faire de nombreuses visites d’appartements, dont celui-ci qui nous avait tout de suite tapés dans l’œil. Alors, bien évidemment, tout ce petit speech, nous l’avons déjà eu. Sans en faire cas, nous lui tendons chacun les papiers que nous avions préparés. Il les vérifie puis il les range dans une pochette sur laquelle nos noms ont été inscrits.
- Bien tout est en ordre. Procédons à l'état des lieux.
Nous le suivons dans le bâtiment où il nous explique qu'actuellement l'ascenseur est hors-service, mais qu'il doit être réparé dans les prochains jours. Depuis la dernière visite, l'appartement a été refait à neuf car il y a eu un dégât des eaux chez la voisine du dessus ce qui a rendu l'appartement inhabitable pendant un certain temps. De redécouvrir le lieu ainsi, je le trouve encore plus beau que dans mon souvenir. Il est lumineux et moderne, tout à fait dans l’esprit jeune et dynamique que l’on peut avoir Mathieu et moi et, il est meublé, ce qui nous évite de longues journées de montage de meubles IKEA. Avec tout cet espace rien que pour nous, on va se perdre de vue avec Mathieu. J’avais oublié à quel point cet appartement est fonctionnel. L’entrée, toute en longueur, possède un grand placard où l’on va pouvoir ranger nos chaussures et manteaux ainsi qu’une petite colonne avec trois étagères sur lesquelles il y a des petits paniers tressés où il est écrit « Clés » et « Courriers ». Le séjour est spacieux avec une partie repas où il y a une belle table en verre avec six chaises autour et une partie salon avec un canapé d’angle en tissu gris qui fait face à une télévision posée sur un petit meuble blanc. Entre la télé et le canapé se trouve une petite table basse, dans le même style que la table de repas, qui est disposée sur un grand tapis blanc à poil long. Il donne vraiment envie de se rouler dessus tellement il a l’air doux. Le salon s’ouvre sur la cuisine qui est équipée et largement assez fonctionnelle pour accueillir deux étudiants qui vont majoritairement se faire des plats réchauffés. La partie nuit se compose de deux belles chambres avec bureaux et placard intégré pour y ranger toutes nos affaires. C’est génial car, si un jour j’ai le cafard, nos portes se font face avec celle de Mathieu alors je n’ai qu’à traverser le couloir. Nous avons aussi une salle de bain avec baignoire, meuble double vasques, toilettes et une grande armoire.
Nous faisons un tour minutieux de tout l'appartement (robinetteries, plaque de cuisson, nombre de trous dans les murs...) afin de remplir le plus justement possible le document d’état des lieux. Une fois l'appartement examiné, nous signons tous trois le morceau de papier et le propriétaire nous remet deux trousseaux de clés et nous fausse compagnie.
- Enfin chez nous ! dis-je dans un long soupir tout en m'affalant sur le canapé.
Cette visite aussi pointilleuse que rapide a été épuisante, mais maintenant que je suis confortablement installée, je peux enfin décompresser. Je me surprends à détailler la pièce plus en détail. Je n’ai jamais été très fan du style scandinave qui est très à la mode en matière de mobilier mais je dois admettre que cela rend l’endroit chaleureux. Je m'y sens bien malgré la pointe de tristesse qui germe en moi quand je pense à mes grands-parents que j’ai laissés en Bretagne.
- Alors encore dans tes pensées ma p'tite, me charrie Mathieu tout en me rejoignant.
Je me redresse pour lui faire un peu de place.
- Non, réponds-je presque offusquée. Je me délecte de notre nouveau chez nous. On n’est pas mal installé, tu ne trouves pas ?
- J'appréciais déjà cet appartement lors de notre première visite, mais là... Wow. Il est canon. Franchement, je pense qu’il y a peu d’étudiants qui peuvent se vanter de loger dans un tel endroit.
Il balaye la pièce du regard et ses yeux pétillent. On dirait un gamin le soir de Noël. J'adore le voir ainsi, il reprend toute l'innocence de notre enfance.
- Cependant, j'espère que l'on n'aura pas besoin de rappeler le propriétaire, ajoute-t-il contrarié. Je l'ai trouvé antipathique et dénué d'émotion. "C'est un appartement avec un certain standing, merci d'éviter les fêtes ravageuses."
Il l’imite en grimaçant, ce qui me fait éclater de rire.
- "Vous avez de la chance d'avoir de bons garants, car je n'aurais jamais loué à des jeunes tels que vous" me moqué-je à mon tour.
Nous continuons ainsi un moment. Notre bonne humeur me fait du bien, car entre la route, l’état des lieux et toutes ces petites contrariétés que peuvent apporter le changement, la fatigue commence à se faire sentir.
- Qu'est-ce qu'on est bien dans ce canapé, je pourrais y faire une sieste monumentale, ballai-je en me frottant les yeux.
- Certes ! Constate Mathieu en me claquant la cuisse pour m'empêcher de sombrer dans la paresse. Mais la voiture est pleine à craquer alors avant de nous transformer en loques, profitons de nos derniers élans de motivation pour la vider.
L'idée de décharger la voiture maintenant ne me plaît guère, d'autant plus que l'ascenseur est en panne et, au vu du nombre de sacs et cartons que l'on a, les allers-retours ne vont pas manquer.
-Tu es sûre de vouloir faire ça maintenant ? lui demandé-je en faisant la moue.
- Ça ne me plaît pas trop de savoir que tout ce que l'on a est à la vue de tous. Je ne voudrais pas que l'on se fasse fracturer la voiture et voler nos affaires, juste parce-que nous n'avons pas été prudents.
La crainte de Mathieu est tout à fait logique. Lorsqu'il était plus jeune, ses parents se sont fait cambrioler alors qu’ils étaient simplement partis faire des courses, depuis il est devenu craintif de tout ce qui concerne les cambriolages, les pickpockets et autres tentatives de vol.
- Tu as raison, me raisonné-je, en me levant. Je ne tiens pas à perdre la moitié, ou plus de ce que j’ai pu apporter de chez mes grands-parents. Et puis, nous n’avons que ta voiture alors autant y faire attention.
Nous voilà partis dans une longue valse de montées et descentes. Heureusement pour nous que l'appartement est au premier étage, car nous n'avons pas trouvé de place de parking proche du bâtiment. Surement les joies de vivre dans une grande ville. À la fin de l'après-midi, la voiture est complètement vide et nos sacs et cartons sont presque tous rangés.
- Quelle journée ! dis-je en me laissant tomber sur le canapé.
-Oh oui ! Je ne suis plus bon à rien, me répond Mathieu, en s'affalant à côté de moi. Ça y est, on est chez nous !
- Oui ça y est, on est des grands dans un monde de grand, Matt. Et d'ici quelques jours les portes de la fac s'ouvrent à nous.
À ces mots, un frisson me parcourt le corps. Je réalise que je suis à quelques jours de revoir mes frères, enfin de revoir Nate et de rencontrer Simon. Plus le moment approche, plus les doutes s'installent dans mon esprit et plus les questions me submergent à nouveau. Après tout qui suis-je pour intervenir comme ça dans leur vie ? Et si j'étais à leur place, est-ce que je voudrais renouer contact avec mon passé ou continuer ma vie présente ?
Il va vraiment falloir que je me penche sur une stratégie d'approche, car je peux difficilement me contenter du « Salut les mecs, je suis votre sœur !». Heureusement, j'ai encore quelques jours pour y réfléchir et demander conseil à Mathieu.
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