Chapitre 14
Après plusieurs minutes à errer au sein de l'université, je parviens à trouver un coin isolé, sous un arbre. Je m'y adosse, sors mes écouteurs et lance une Playlist des musiques du groupe THE POLICE sur YouTube. Non ce n’est pas ringard ! J’ai des goûts musicaux très hétéroclites et Sting est un très bon chanteur en plus mon grand-père est un fan absolu. Tous les dimanches matin, alors qu’il faisait ses mots croisés, papy lançait tout son répertoire et l’écoutait en boucle jusqu’à l’heure du déjeuner. La chose dont j’ai le plus besoin actuellement c’est de cette sensation familière et réconfortante que ravivent les souvenirs qui me viennent quand j’écoutes ces chansons.
Je ferme les yeux, me laissant totalement emporter par la musique. Je suis si bien dans ma bulle, hors du temps, complètement déconnectée de la réalité, que je ne remarque même pas que Mathieu m’a rejoint. Ce n’est que lorsqu’il me retire un des écouteurs que je constate qu’il est, là, debout face à moi, visiblement agacé.
- Je te cherche depuis un bon quart d'heure, lance-t-il inquiet. Je t'ai envoyé plusieurs messages pour lesquels j'attends toujours ta réponse.
Je me relève, me frotte les fesses et lui répond :
- Désolé Matt, mon portable est en silencieux, expliqué-je en retirant le second écouteur.
Ses traits se radoucissent.
- J'ai croisé Simon et Elodie au resto U, m'informe-t-il. Simon n'avait pas l'air bien alors il m'a expliqué pour ton père. Tu veux qu'on en parle ?
J'hésite un instant, mais je ressens le besoin de mettre un peu d’ordre dans mes pensées, alors je finis par me confier à lui.
- Il était devant la fac quand je suis arrivé ce matin, commence-je. J'aurais passé un sal moment si Simon et Élodie n'étaient pas arrivés eux aussi. Face à sa présence, je me suis légèrement sentie pousser des ailes et, du coup, je l'ai provoqué en faisant la bise à Simon, confessais-je d'une voix honteuse. Mon attitude l'a sûrement mis en colère, car il est reparti à grande vitesse, rouge comme une tomate. Je triture mes doigts avant de poursuivre. Je savais que la partie ne faisait que commencer et ça n'a pas loupé, car, au cours de la matinée, j'ai reçu un SMS de sa part qui n’a rien d’amical.
Je lui tends mon téléphone ouvert sur le message en question. Il le lit et son visage se durcit immédiatement. Deux nous deux, Mathieu est le moins impulsif mais je sais qu’il ne reculera devant rien quand il s’agit de protéger les personnes qu’il aime. C’est bien pour cela que je redoute sa réaction.
- Les menaces et le harcèlement sont punis par la loi, me sermonne Mathieu en me rendant le téléphone. Tu ne peux pas garder ça pour toi, Cara, il faut aller voir les autorités compétentes.
Son air mécontent m’intimide. J’ai l’impression d’être une petite fille qui vient de faire une bêtise et qui se fait sermonner. Je ne tiens pas à partir à la confrontation avec mon meilleur ami, alors je tente d’apaiser la situation :
- D'accord Matt, concédé-je d'une voix peu convaincante. Mais il tire tout un tas de ficelles et qui sait de quoi il est capable. Je ne peux rien faire tant que je ne sais pas jusqu'où, il peut aller.
- Mais Cara...
Je le coupe et perd patience. Ma résolution de tout apaiser n’aura finalement pas tenu. Foutu caractère !
- Mais... Quoi ? Hein ! (Mes nerfs lâchent.). Admettons que je fasse quelque chose. Admettons que j'aille en parler dans un commissariat. Qui nous dit qu'il ne va pas quand même s'en prendre à l'un de vous ? Et qui nous dit qu'il n'a pas des yeux et des oreilles partout ?
Plus mon discours avance plus je me laisse gagner par la colère qui m’anime. Mathieu ne se laisse pas démonter et me tient tête. Il n’y a pas à dire, on s’est bien trouvé tous les deux.
- C'est juste ton père Cara, constate-t-il, pas un personnage de film ! Tout ce que tu t'imagines, ça n'arrive pas dans la vraie vie. Il va falloir que l’on cesse nos soirées marathon de série, il semblerait que cela te monte à la tête. On ne peut pas corrompre les forces de l'ordre de telle sorte et passer au-dessus des lois.
Il a l'air exaspéré. C’est bien la première fois qu’il s’emporte face à moi.
- Tu la dis à Simon, demande-t-il de but en blanc me forçant à marquer un temps d'arrêt.
- Quoi ? L'interrogeais-je faisant semblant ne pas comprendre où il vaut en venir.
- Pour le SMS, développe-t-il, tu en as parlé à Simon ?
J'ai un rire nerveux.
- Bien sûr que non. C'est aussi son père, je te signale, lui rappelé-je comme s’il n'avait pas déjà l'information. Le but n'est pas de le monter contre lui. Déjà que je lui ai fait part de l’épisode d’hier…
-Cara ! Conteste-t-il mécontent. Il a le droit de savoir. Tu attends quoi ? Qu'il te tourne le dos et qu'il se range du côté de Samuel ?
Il me sermonne, encore… C’est drôle comme les rôles sont inversés depuis notre emménagement à Paris. Je ne peux pas me retenir plus longtemps, la situation est totalement en train de m’échapper et je finis par exploser. J’avais prévenu, quand je suis partie, je suis inarrêtable. En général, je finis par m’en mordre les doigts.
- Et si c'était la meilleure option ? Hurlé-je à Mathieu, les yeux emplis de larmes. Et si la meilleure chose pour tout le monde était que Simon me tourne le dos ? Et que Nate ne m’adresse plus jamais la parole ? Tu y as pensé à ça, monsieur, je prodigue des conseils ? Je pense que j’ai été bien bête de venir ici et de penser que moi, Cara, j’aurais assez de poids et de courage pour oser défier ce père qui m’a raillé de sa vie il y a douze ans.
Je suis à bout de souffle et couvert de larmes. J'ai crié si fort que mes oreilles bourdonnent. Jamais, auparavant, je ne m’étais mis dans un tel état.
Je prends conscience de la dureté de mes mots et aussi de leur répercussion. Mathieu n'insiste pas. Je crois qu'il est tout aussi choqué que moi. Je reprends mon souffle et je sèche mes larmes quand j'entends une voix derrière moi.
- Alors c'est ce que tu penses ? Interroge la voix dans mon dos
Je reste interdite en prenant conscience que toutes les personnes environnantes ont été témoins de ma perte de contrôle. Non sans un sentiment de honte, je me retourne pour confronter cette voix qui m’a sortie de ma torpeur.
- Simon ! Tu as tout entendu ?
Là, à quelques pas de moi, mêlé à la foule qui s’est entassée pour profiter du spectacle, mon frère se tient droit, la main droite fermement ancrée dans celle d’Elodie. Il la lâche et s’approche de moi d’un pas décidé.
- Tu as crié si fort que toute la Faculté t'a entendu, je pense, dit-il en rigolant comme si la situation le permettait.
Oups !
- Je suis désolée ! Je crois que j’ai encore perdu l’occasion de passer inaperçue.
Un petit rire nous échappe à tous les deux, puis il reprend :
- Tu sais que tu as oublié un détail important dans ton raisonnement ?
Il me parle si calmement que mon esprit s'apaise.
- Lequel ?
- Mon avis, répond-il. Et de mon point de vue, saches que je ne suis pas d'accord avec toi. Il est hors de question que je te laisse te dépatouiller toute seule de cette situation. Je ne te tournerais pas le dos au profit de notre père, Cara. Je refuse de te perdre à nouveau. Je le répète, car je ne suis pas certain que tu m’aies bien entendu tout à l’heure, mais Nate et toi vous vous ressemblez bien plus que vous ne le croyez. Lui aussi, pensait être seul contre la terre entière quand votre mère s’est interposée dans notre amitié. Il a passé des mois à se ronger les sangs et il a bien failli finir en thérapie pour dépression. Alors il serait bien que tu ne commettes pas les mêmes erreurs et que tu ouvres rapidement les yeux. Tu n’es pas seule.
Il jette un coup d’œil rapide à Mathieu et poursuit :
- Tu ne l’as jamais été. Fais-toi une raison ou tu risques de perdre bien plus que cette bataille contre Samuel.
Sa tirade me fait l'effet un électrochoc. J'ai passé la matinée à vouloir régler seule un casse-tête qu'il faut résoudre à plusieurs. Je me sens bête et aussi gênée par toute cette foule qui attend un dénouement comme s’il regardait la meilleure série télé. Finalement, je me jette dans les bras de Simon et évacue toute cette tension qui n’a fait que me gagner depuis ce matin. La foule applaudit mais je l’ignore totalement. Ce qui m’importe le plus c’est de réaliser qu’il va falloir que j’apprenne à laisser une place à ces personnes qui viennent de me rappeler que je ne suis pas seule à mener mon combat.
Une fois tout le monde apaisé, enfin surtout moi, nous sommes restés un long moment à discuter tous les quatre. D’abord de mon père, puis la conversation a dévié, sans que je ne sache comment, sur la rencontre entre Simon et Elodie. Comme Mathieu et moi, ils se connaissent depuis l’enfance mais, contrairement à nous, au collège ils se sont rendu compte que leur amitié avait quelque peu évoluée. Cependant, ce n’est qu’au Lycée qu’ils se sont décidés à franchir le pas et depuis ils filent le parfait amour. C’est beau et ça fait rêver mais bon de ce que j’ai compris, ils n’ont pas connu que de beaux moments rose bonbon. Ils ont même failli se séparer peu de temps avant l’entrée à la fac et devinez à cause de qui ? Dans le mile ! Samuel était fermement opposé à l’emménagement de Simon avec sa « conquête du moment ». D’après notre paternel, les femmes sont une distraction qui t’éloignent de tes objectifs réels. J’ignore pourquoi, mais cela ne m’étonne pas de lui. Heureusement pour mon demi-frère, il a une mère qui se soucie de lui et qui a tenu tête au Tiran qui nous sert de géniteur.
- Et vous ? questionne Elodie en nous regardant à tour de rôle Mathieu et moi. Vous ne vous êtes jamais dit que peut-être …
- NON ! répondons-nous en cœur.
- Eh bien si ce n’est pas catégorique, constate Simon amusé.
Alors qu’Elodie allait enchaîner Mathieu la stoppe dans son élan.
- Je dois y aller ! Les cours vont reprendre et le miens se déroule à l’opposé du campus.
Il nous quitte sans même un regard dans ma direction. Inutile de préciser qu’avec cette fuite on ne peut plus suspecte, je n’ose pas imaginer les idées qui germent chez mes deux compères. Finalement, après avoir regardé l’heure sur mon téléphone, je me rends compte qu’il nous reste moins de dix minutes à Elodie et moi pour nous rendre à notre prochain cours. Il est clair que l’on ne va pas avoir les meilleures places cette fois-ci dans l’amphithéâtre.
Elodie prend le temps d’embrasser Simon, et c’est à vive allure que nous nous frayons un chemin jusqu’à notre destination.
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