Chapitre 18
On est samedi matin lorsque je me réveille, complètement engourdie, sur le canapé du salon. La lumière traverse les jolis voilages pourpres des fenêtres donnant une ambiance tamisée à la pièce et me permettant de ne pas être complètement éblouie par le soleil qui pointe à l’extérieur. On m’avait dit qu’à Paris il fait moche presque toute l’année, ces deux dernières semaines nous avons eu de la chance.
Je me redresse sur le sofa et tente de trouver une explication logique à ma présence ici et non dans ma chambre. Je me souviens avoir veillé une bonne partie de la nuit dans l'espoir de recevoir une réponse de Jonathan ou d'entendre un bruit sur le palier qui pourrait me faire penser qu'il est rentré. Mais en vain. J'ai dû m'endormir devant FRIENDS. Vous savez l'épisode dans lequel Ross et Rachel se dispute au sujet de la tromperie de Ross et que ce dernier ne cesse de clamer qu’ « ils avaient rompu ». Bien que ce soit cucul, cette série est géniale lorsque l'on a le moral dans les chaussettes et que l’on a juste envie de se divertir sans réfléchir. Moi en tout cas, J’adore !
Alors que je suis encore dans les vapes, je jette un coup d’œil à la grande horloge du salon. Après un temps de réflexion pour remettre en ordre les chiffres romains qui s’affichent, je me rends compte qu’il est dix heures. Déjà ! Moi qui aie horreur de me lever tard parce que j’ai toujours l’impression que c’est du temps de perdu pour autre chose, me voilà déjà avec une demi-matinée de gâchée. Je me hâte pour ranger le petit plaid rose qui m’a service de couverture et je m’apprête à me lever pour aller me faire un café quand Mathieu apparaît dans le salon en tenant un plateau sur lequel j’aperçois deux tasses. L’odeur de la caféine qui me parvient jusqu’aux narines me réveille immédiatement. Il a lu dans mes pensées ou quoi ?
- Café au lait avec un sucre pour la belle au bois dormant, annonce-t-il en contournant le canapé gris et en me tendant une des tasses.
Il a choisi ma préférée : un gros mug rouge avec, en relief, un sapin joliment décoré et un bonhomme de pain d’épice qui sert d’anse. Je me souviens que ses parents me l’avaient offert il y a quelques années, alors qu’ils nous avaient emmené au marché de Noël à Strasbourg. On y avait passé un super week-end. Depuis, peu importe la saison, c’est ma petite tasse du matin.
- Tu es un amour, réponds-je avec un léger rictus. C’est exactement ce dont j’avais besoin.
- Je serais toujours là pour soutenir une demoiselle en détresse, me répond-il en faisant une révérence.
Puis il me sourit à pleine dent et, son visage est si crispé, que cela forme une grimace. Evidemment, je ne peux m’empêcher de rire. Vraiment, je me demande bien ce que serai ma vie si je n’avais pas rencontré cet énergumène. Il participe à quatre-vingt-dix pourcents de ma joie au quotidien.
-Tu sais que l'on a loué deux chambres, m’informe-t-il en s'affalant près de moi. Du coup, tu n’es pas obligée de camper dans le salon. Tu as un lit bien plus confortable qui t’attend.
Je le regarde du coin de l'œil, en soufflant sur mon café brûlant et lui répond.
- J'ai voulu rester éveillée pensant que j'aurais des nouvelles de Jonathan dans le courant de la nuit mais je me suis finalement endormie ici.
- Oui j’ai bien compris lorsque je suis venu éteindre la télé qui te regardait dormir. Tu étais tellement cramponnée à ton téléphone, que j’ai bien cru qu’il allait finir par s’incruster dans ta joue. Du coup, je l’ai posé sur la table basse.
Je regarde le petit objet posé sur le verre trempé de la table qui me fait face. D’un coup, je réalise que, depuis mon réveil, je n’ai même pas vérifié ma messagerie. Je me penche en avant pour appuyer sur le bouton de déverrouillage : pas de notification.
Cette situation commence vraiment à me peser. J’en arrive même à me dire que s’il ne lui est rien arrivé, c’est moi qui vais le tuer de m’avoir laissé sans nouvelles alors qu’il doit avoir au moins cinquante appels en absence et une quinzaine de messages. Mon humeur se brouille, ce qui ne semble pas échapper à mon colocataire.
- Cara, avant d'envisager le pire pour Jonathan, ne penses-tu pas qu'il a simplement passé la soirée chez un pote et qu’il a peut-être trop bu pour pouvoir rentrer ?
C’est vrai que c’est une possibilité que je n’ai pas vraiment envisagée car je me suis simplement dit que si cela était le cas, il m’aurait au moins envoyé un texto de réponse. Enfin moi c’est ce que je ferais si je recevais un sms du type « Tu es où ? Tu vas bien ? » ou encore « Jonathan, s’il te plait, dit moi juste que tout va bien ! ».
- Tu ne pourras pas m’enlever de la tête que quelque chose de louche se trame, Matt, lui dis-je, peu convaincue par son argument. Je veux dire, si la même personne t’appelle à de nombreuses reprises et t’envoie un tas de sms alarmant, tu finis par lui répondre quand même, non ?
Il acquiesce d’un mouvement de tête mais ne semble pas pour autant approuver ce que je viens de dire.
- Peut-être bien Cara, me dit-il sans conviction. Sauf si c’est la nana qui m’a mis un vent une semaine plus tôt. Il a peut-être simplement besoin de prendre du recul vis-à-vis de toi.
- Ah oui ? Mais attend, Matt, on a eu la discussion dimanche dernier et pourtant on a continué à se côtoyer comme avant jusqu’à jeudi et là te me dit que d’un coup vendredi il aurait eu un cas de conscience ? Désolée, mais je n’y crois pas !
Ses yeux bleus s’assombrissent et je vois son corps se crisper même à travers son t-shirt blanc de pyjama. Il est en train de perdre patience.
- Tu sais, Cara, tu es bien placée pour savoir que l’être humain n’est pas un robot. Alors il se peut très bien que notre cher voisin se soit rendu compte plus tardivement que cela est trop douloureux pour lui de te voir tous les jours.
Bon, ok, il marque un point. Voir Mathieu dans cet état de nerf me dissuade complètement de continuer à plaider ma cause. Je ne tiens pas à ce que cela dégénère entre mon colocataire et moi.
- Ok, tu as raison, concédé-je en me redressant. C'est pourquoi, je te propose de lui envoyer un dernier message et après, promis, je passe à autre chose. Je n’aurais pas la force d’affronter une dispute contre toi.
Son regard s’adoucit et ses yeux reprennent leur bleu azur. L’ambiance, qui était devenue pesante, s’allège et mon colocataire affiche de nouveau un magnifique sourire.
- Ah bah en voilà une bonne résolution, me dit-il enjoué. Si tu veux, j'ai même une super proposition pour toi.
Ah, tient, il pique ma curiosité. Enfin je reste tout de même sceptique parce que je les connais les bonnes idées de Mathieu Garbe et elles peuvent vite nous attirer des problèmes. Un jour, nous étions en cours de récréation et je m’étais fait confisquer mon super cahier de coloriage tout neuf parce-que Mathilde était jalouse. Elle avait décrété que, comme je ne voulais pas partager mes mandalas avec elle, elle allait aller se plaindre à notre maitresse. Evidemment, pour régler le problème, l’enseignante m’avait retiré le cahier ce qui m’avait mise dans une rage folle et je m’étais jeté sur les nattes parfaites de cette garce. Inutile de préciser que mes grands-parents n’ont pas laissé passer cet affront et m’ont puni un sacré bout de temps : plus de coloriage et plus de sortie à vélo avec Mathieu après l’école. Juste moi, ma chambre et mes devoirs. Alors Mathieu avait eu la merveilleuse idée de se dire que si je ne pouvais pas sortir, il pouvait entrer. Son plan avait tenu quinze minutes, car on avait été tellement bruyant pour le faire monter que mes grands-parents avaient vite compris qu’il se tramait quelque chose. En conclusion, j’ai eu le droit à un beau verrou à ma fenêtre après cela. Depuis, j’ai tendance à toujours mesurer le bénéfice/ risques des idées de Mathieu.
- Je t’écoute, lui réponds-je un peu sceptique.
- Je te propose que ce matin on bosse nos cours, en plus j’ai un tas de boulot monstre qui m’attend, et que cet après-midi on se fasse une virée shopping rien que tous les deux.
Ah Mathieu ! J'avais oublié de vous parler de sa passion pour les fringues. Il passe son temps à renouveler son dressing, c'est incroyable. Survêtements, chaussures, sacs de sport mais aussi jean, polo et veste… Il est complètement accro. Quand il commence, rien ne l’arrête, à part son compte en banque. Je ne peux qu’admettre que c’est une idée géniale. Depuis le temps qu’on rêvait de faire les boutiques dans la capitale.
- Ça c’est une super proposition ! Accepté-je, tout aussi enjouée que lui. Je pense qu’il est temps d’arrêter de gamberger dans cet appart et d’aller prendre un peu l’air. Je vais proposer à Elodie et Simon de venir, ça te va ?
Il perd son air jovial et la déception pointe sur son visage. Mince, j’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? Je n’ai pas le temps de le questionner qu’il se livre de lui-même.
- Pour tout te dire, j'avais espéré passer un peu de temps rien que nous deux, confia-t-il tristement. Ces dernières semaines, avec notre rentrée à la fac, on est presque devenu des colocataires qui se croisent continuellement au quotidien. Alors oui, il y a nos marches matinales jusqu’à l’école mais dix minutes sur une journée c’est assez peu. Et quand on a ne serait-ce qu’un peu de temps libre on est chez Simon ou Jonathan est à la maison. Je les adore, Cara, mais tu me manques alors qu’on vit sous le même toit. Alors j’espérais que cette fois on ait un peu de temps rien que toi et moi, comme avant.
Bah dit donc, je dois bien admettre que la confession de Mathieu me pique en plein cœur. J’ignorais totalement qu’il pouvait ressentir ça. Il faut dire que ces derniers temps je n’ai pas été la meilleure des amies, loin de là. Je me suis laissé embarquer par tout ce qu’il m’est tombé dessus et j’ai complètement délaissé Mathieu. Et là encore, je suis tiraillée entre l’envie folle de passer du temps avec mes frères et celle de remonter le moral de mon meilleur ami. Je commence à me dire que je suis une piètre personne lorsqu’il me vient une idée.
- Je comprends ta position, Matt, lui dis-je pleine d’espoir, et j'ai une contre-proposition pour toi.
Je pique sa curiosité, je le vois dans ses yeux qui retrouvent leur éclat, alors je poursuis.
-On se fait un après-midi shopping avec Élodie et Simon et ce soir, je t'offre un resto en tête-à-tête.
Ses pupilles bleues qui brillent comme des étoiles dans la nuit m’indiquent que j’ai touché dans le mile. La deuxième passion de Mathieu ? La nourriture.
- Je peux choisir le resto ? Demande-t-il d'un air malicieux.
- Celui que tu voudras !
- Alors prépare-toi à raquer ma p'tite, ricane-t-il.
Nous rigolons, alors que Mathieu continue d’afficher sa tête diabolique. C’est si agréable ces moments simples et légers. C’était comme ça, en Bretagne, du fun, de la joie et beaucoup de rire. La vie semblait bien plus facile à porter. Depuis notre arrivée à Paris, j’ai comme l’impression d’avoir pris vingt ans d’un coup et d’être devenu ce genre de personne complètement stressée et envahie par leur quotidien morose.
Je tape un SMS rapide à Simon pour savoir s'ils sont disponibles. Il me répond dans la foulée :
"On est des vôtres, on voulait justement y aller".
Je crie la réponse à Mathieu qui a regagné sa chambre entre-temps.
Une chose de faite, maintenant au tour de Jonathan. Je réfléchis un moment, ne sachant pas trop quoi écrire ou comment formuler mon message. Finalement, je me décide et tape le plus simplement possible :
" Coucou, j'espère que tu vas bien et que tu as passé une bonne soirée hier. Je me disais que l'on pourrait passer un peu de temps ensemble ce week-end. Je te laisse me tenir au courant. Bisous".
J'envoie le message et pars me mettre au travail. Une semaine de cours engendre des heures et des heures de révisions. Je pause mon portable dans un coin et je m'attelle au rangement et aux révisions de mes cours. Il ne me faut que peu de temps pour être complètement absorbé par ma tâche.
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