[5] A la croisée des serments (1/7)
[1.]
Lundi,
Rien ne vaut des retrouvailles en famille réussies et une semaine entière de congés pour se remettre les idées en place. Et même si elles sont loin d’être reposantes, les fêtes de fin d’année ont au moins le mérite de m’avoir apporté plaisir et réconfort après ces derniers mois plutôt difficiles nerveusement. Me retrouver en compagnie de ma famille pour partager un repas, faire la fête et déballer des cadeaux en observant joyeusement les visages constellés de surprise autour de moi font partie des instants que je considère comme les plus précieux de ma vie. Et cette année tout particulièrement, je ne les aurais échangés pour rien au monde…
Tout en progressant à nouveau dans les couloirs bondés de monde de l’hôpital, je me prends à espérer intérieurement que cette longue semaine de pause loin – très loin – du CHU aura été suffisante pour me permettre de reprendre mon service du bon pied et le regard ébahi que m’adresse Solène en me voyant suffit à égayer mon début de journée.
— Waouh ! s’exclame la jeune femme tandis que je tourne sur moi-même en pénétrant dans la salle des internes dans ma toute nouvelle robe cintrée. Tu es resplendissante, vraiment !
— Merci.
Je rougis légèrement de satisfaction et m’approche afin de déposer mon trench sur le dossier de ma chaise, libérant mes longs cheveux désormais méchés de blonds afin de faire ressortir le bleu de mes yeux. Le résultat de ce « changement » est au rendez-vous : Solène semble véritablement impressionnée.
— Eh ben dis-moi ! Nouvelle coupe, nouveaux vêtements, nouvelles résolutions ? Qu’est-ce qui t’es arrivée pendant cette semaine de congés ? s’inquiète la jeune femme.
Je ris devant le sous-entendu à peine masqué de son visage.
— Ne t’inquiète pas : je n’ai rompu avec personne et je ne suis pas enceinte ! J’ai juste fêté mes vingt-trois ans ce weekend et j’avais besoin de changements alors… J’en ai profité pour « rafraîchir » un peu mon apparence.
J’adresse un clin d’œil complice à la jeune femme.
— Mais contente que tu apprécies ! Au fait, ça te dirait que l’on mange ensemble ce midi ? Cela fait longtemps que l’on n’a pas passé un peu de temps toutes les deux à discuter…
Le regard que me lance la jeune femme me fait comprendre sa réponse bien avant qu’elle ne me la donne.
— Je suis désolée Laura… mais mon copain a prévu ce déjeuner depuis plusieurs semaines et comme c’est nos deux ans…
— Oui bien sûr ! dis-je en secouant la main, je comprends ne t’inquiète pas ! On fera ça une autre fois alors ?
Je lui adresse mon plus beau sourire, même si intérieurement, je suis forcément un peu déçue. Solène ouvre la bouche afin de répliquer lorsque son téléphone portable se met à vibrer sur la table. Je remercie le ciel de couper court à cette situation gênante.
— C’est mon responsable, murmure Solène en consultant rapidement le message des yeux, je dois y aller.
Un long soupir lui échappe. La jeune femme se lève et m’adresse un sourire contrit.
— Tu es sûre que tu ne m’en veux pas pour ce midi ?
— Bien sûr que non ! dis-je en secouant la tête. Ne t’en fais pas pour moi, je suis une grande fille, je trouverai bien quelqu’un pour manger avec moi ! Tu peux partir tranquille ! Allez, file donc !
Je lui adresse un clin d’œil enthousiaste qui la fait sourire. Solène ramasse ses affaires entre ses bras.
— On se voit plus tard alors ? demande la jeune femme en se dirigeant vers la porte de la salle.
— On se voit plus tard, confirmé-je en hochant la tête.
Je la regarde s’éloigner en direction du couloir avec un dernier sourire. Et une excuse maladroite à l’intention de Mélanie qui s’apprêtait apparemment à rentrer à son tour, ses yeux cernés comme d’habitude entourés d’un trait d’eye-liner noir lui donnant l’air d’un mannequin égaré et ses longs cheveux ébène impeccablement lissés. Le regard mêlé de surprise et de courroux qu’elle darde à l’intention de Solène en dit long sur son humeur du jour. Je décide de ne pas trop m’attarder à ses côtés, le souvenir de son discours morbide et pourtant effrayant de véracité ancré dans un coin de ma tête.
J’attrape prestement mes affaires pour sortir de la salle lorsque sa voix claire m’interpelle :
— Sympa ta nouvelle coupe de cheveux. J’aime beaucoup.
Je redresse la tête et adresse un sourire gêné à la jeune femme.
— Merci.
— De rien.
Sans rien ajouter, Mélanie se débarrasse de son manteau hors-de-prix et bordé de fausse fourrure sur le dossier de sa chaise, attrapant au passage dans son dernier sac à mains Gucci le porte-monnaie contenant la carte Gold offerte par sa mère à son anniversaire.
— Je vais me chercher un capuccino, annonce la jeune femme sans m’adresser le moindre regard, on se retrouve plus tard, ok ? Bon courage pour ta reprise !
J’accueille les encouragements de la jeune femme avec un sourire pantois. Lorsque la porte se referme enfin dans son dos, je sens comme un énorme poids quitter mes épaules. Je pousse un soupir de soulagement. Je n’étais peut-être pas si prête que ça finalement…
-
Tout en montant lentement les marches jusqu’au service de cardiologie, je réfléchis à ce que je pourrais bien prétexter pour échapper à la visite médicale du jour. Je n’ai aucune envie de reprendre après une aussi bonne semaine de congés par un tête-à-tête forcé avec le docteur Linois et ses remarques acerbes. Je passe mon badge dans le lecteur à fentes en songeant à inventer une pile d’entretiens en retard mais j’ai à peine franchi la porte de la salle des internes qu’une silhouette surgit brusquement devant moi en ouvrant largement les bras pour m’y recueillir en une étreinte dévorante. Je manque faire un pas en arrière tant le geste me surprend.
— Bon anniversaire ma belle ! s’écrie Alexandra, visiblement de très bonne humeur. Enfin, je sais que c’était la semaine dernière mais on va faire comme si aujourd’hui était encore bon alors… Dis-moi ce qui te ferait plaisir ! Qu’est-ce que tu as envie de faire ?
J’ouvre de grands yeux surpris. Comment Alexandra peut-elle savoir pour la date de mon anniversaire ?! Nous n’en avons pourtant jamais parlé ! Je fronce les sourcils, curieuse, et m’apprête à poser la question qui me préoccupe lorsque la jeune femme m’éloigne brusquement de ses bras afin de me dévisager plus en détails, rayonnante.
— Waouh ! Tu es resplendissante dis-moi ! Ces vacances t’ont fait un bien fou ! On dirait que tu as pris des couleurs, non ? Oh ! Nouvelle coupe de cheveux ?
Je ne sais plus par quelle question commencer ! Il y a tant de réponses à donner tout à coup ! Je ne peux m’empêcher de balbutier en fronçant un peu plus les sourcils, à la recherche des mots qui semblent avoir subitement désertés mon pauvre cerveau agressé par tant de réflexions après cette semaine de pause bien méritée.
— Euh… oui… oui, oui ! J’avais besoin de… de changements je crois. Ça doit être l’effet du passage aux vingt-trois ans, non ?
Je souris à l’intention de ma responsable. Cette dernière saisit mon menton entre ses doigts pour me faire tourner la tête de droite et de gauche afin de contempler mes nouvelles mèches avant d’annoncer, sur le même ton enjoué :
— J’aime beaucoup ! Ça te va vraiment bien ! J’ai hâte de voir ce que ça donnera avec les premiers soleils !
Moi aussi, songé-je en secouant la tête pour me dégager de l’emprise de la jeune trentenaire. Cette dernière repose ses mains sur mes épaules, visiblement d’humeur débordante d’énergie.
— Mais revenons-en aux faits ! Dis-moi donc ce qui te ferait plaisir ! Aujourd’hui est un jour vraiment particulier et j’aimerais qu’il t’appartienne alors, vas-y, dis-moi simplement ce que tu veux et je m’arrangerai pour te le faire faire !
Malgré la présence d’Alexandra en guise de bouclier humain face à moi, je sens plusieurs paires d’yeux curieux et indiscrets tenter de se pencher afin de m’observer. Je m’efforce de les ignorer afin de me concentrer sur la question de la pharmacienne. Je sais bien que la jeune femme souhaiterait de tout cœur m’entendre dire « peu importe du moment que tu me montres quelque chose de nouveau ! » après notre brillante expérience ensemble de la dernière fois mais c’est pourtant une toute autre réponse qui me vient à l’esprit.
Je dois me racler la gorge afin de m’éclaircir la voix et décide de plonger mon regard dans celui, étonné, d’Alexandra, afin de me donner contenance.
— Je me demandais s’il était possible que j’assiste à une pose de stent ?
Un hoquet de surprise manque faire s’étouffer quelqu’un dans la salle sans que je ne sache qui et une quinte de toux vient ensuite accompagner l’étrange silence qui accueille mes propos. Face à moi, Alexandra ouvre de grands yeux surpris.
— Euh… je… oui… oui, oui, bien sûr… Je pense que ça doit être faisable… Mais dis-moi, pourquoi une pose de stent ?
Je vois bien que la jeune femme ne s’attendait visiblement pas à une telle réponse de ma part et que je la prends pour une fois totalement au dépourvu. Et elle n’est pas la seule. Lui avouer d’ailleurs que cette curieuse idée m’est venue après mon weekend de garde forcé mais très enrichissant aux côtés de l’interne le plus récalcitrant au monde ne me parait pas une bonne option alors je me contente de hausser les épaules.
— J’ai eu beaucoup de temps pour réfléchir ces derniers jours sur ma façon de fonctionner dans ce service et je me suis dit que pour faciliter mon travail et mieux m’harmoniser avec les autres membres médicaux et paramédicaux du staff, il était temps pour moi d’apprendre à comprendre leurs jobs. Alors si je veux pouvoir travailler avec les internes en médecine, il faut d’abord que je comprenne comment ils fonctionnent.
Menteuse… songé-je en sentant mes joues se pâmer. En réalité – et je dois bien avouer qu’il m’est encore difficile de l’admettre à voix haute – Ethan a réellement su piquer ma curiosité médicale et l’envie dévorante de pouvoir ressentir à nouveau toutes les sensations et les émotions - aussi complexes soient-elles - apparues durant la garde m’a consumée durant ces derniers jours au point d’en rêver chaque nuit sans interruption. Bon ok, Ethan est fort… très fort…
Mes ongles s’enfoncent au creux de ma paume en songeant que je dois paraître complètement folle. Je ne suis d’ailleurs pas sûre que mon explication soit réellement claire et limpide, étant donné que je bafouille encore, gênée mais le sourire qui étire le visage fatigué d’Alexandra me convainc qu’elle connaissait déjà cette réponse. Elle semble compréhensive, presque émue.
— Bien. Tu as raison. Je… je vais essayer d’arranger ça. Ça sera mon cadeau d’anniversaire. Bien sûr, je ne peux pas te promettre que ça aura lieu aujourd’hui même mais… je ferais tout mon possible.
Je souris largement tout en la remerciant. Assister à ce genre d’interventions n’est pas donné à tous les pharmaciens et l’idée d’être l’une des rares à pouvoir vivre une telle expérience me galvanise. Je dois me mordre la lèvre inférieure pour ne pas laisser exploser ma joie.
Le raclement d’une chaise sur le sol interrompt brusquement ma bulle de bonheur.
— Je peux peut-être vous aider, annonce Ethan tout en s’approchant, les mains dans les poches de sa blouse. L’interne en chirurgie cardio-thoracique est un ami, je peux voir avec lui s’il est possible de négocier directement avec le chef de service pour que Laura aille au bloc en fin de matinée. Je crois qu’ils ont une pose de stent prévue à onze heures.
Je reste complètement hébétée face à la proposition de l’interne. C’est bien la première fois qu’Ethan se montre aussi agréable dès le matin ! Mes connexions neuronales arrêtent définitivement de fonctionner et Alexandra a beau m’inciter de ses plus magnifiques battements de cils inquisiteurs à remercier le jeune homme, je suis tout bonnement incapable d’aligner trois mots. Je reste donc la bouche négligemment ouverte de surprise tandis que j’entends ma responsable répondre :
— Ça serait super merci !
Ethan hoche la tête, satisfait, avant de me sourire tranquillement.
— Au fait, Alexandra a raison : sympa ta nouvelle coupe ! Elle te va bien en effet.
Je pique un fard et détourne vivement la tête pour me soustraire aux deux prunelles noires qui me scrutent si intensément qu’elles m’en font rougir.
— Bon, eh bien… Comme Laura semble aussi avoir perdu sa langue pendant ses vacances, je crois qu’elle te remercie également. On te laisse gérer ça avec l’interne en chirurgie. Envoie-nous un message dès que tu as sa réponse !
Ethan nous lance tour à tour un regard amusé. Je m’apprête à protester lorsqu’il me coupe :
— Ça sera fait.
— Parfait ! s’enthousiasme à nouveau Alexandra, en attendant, viens là demoiselle ! On a du travail qui nous attend !
-
Je suis tout bonnement incapable de tenir en place durant toute la matinée, attendant avec impatience des nouvelles d’Ethan qui tardent à arriver. Et tout en rentrant les informations de mes différents entretiens sur l’ordinateur de la salle des internes du service, je continue de scruter attentivement l’écran de mon téléphone portable, dans l’expectative.
J’ai les yeux tellement perdus dans le vague que je n’entends pas la porte s’ouvrir et se refermer près de moi et une silhouette grande et longiligne se faufiler prudemment jusqu’à moi. Lorsque ses mains se posent brusquement sur mes épaules, je sursaute de surprise en poussant un couinement plaintif. Le jeune homme ne peut retenir un éclat de rire franc en posant une main dans le creux de mes reins. Je fronce les sourcils, peu disposée à la plaisanterie.
— Merde, mais tu m’as fait une de ces peurs Ethan ! Tu aurais au moins pu t’annoncer putain !
— Ça aurait gâché le plaisir de la plaisanterie ! fait remarquer le jeune homme en essuyant le coin de ses yeux encore pétillants du revers de la manche.
Je le foudroie du regard, lui intimant silencieusement de se calmer. Il toussote en détournant la tête afin de lancer un coup d’œil à la salle pourtant vide autour de lui.
— Désolé, c’était trop tentant, s’excuse-t-il, mais bon, trêve de plaisanteries !
Ethan se penche vers moi en arborant son plus beau sourire. Il ressemble à un enfant à qui on aurait annoncé que Noël allait de nouveau revenir le lendemain. Je rosis en évaluant rapidement la trop grande proximité de son visage par rapport au mien. Je tente de soustraire mon regard au sien mais lorsque mes yeux tombent sur ses mains posées sur les accoudoirs du siège à quelques centimètres de mes jambes, je me sens rougir de plus belle alors je préfère reporter mon attention sur son visage, fixant un point au hasard.
— J’ai une bonne nouvelle : l’interne dont je te parlais tout à l’heure a eu le temps de parler au chef de la chir cardio et il est d’accord pour te laisser venir au bloc pour la pose de stent de onze heures.
Mon cœur fait une embardée dans ma poitrine. Je ne m’attendais pas à ce qu’il réussisse aussi rapidement !
— Oh putain mais c’est super ! m’enthousiasmé-je en me levant subitement de ma chaise, forçant Ethan à reculer, surpris par mon excès de gaieté. Mais attends…
Je jette un rapide regard à l’horloge de la salle annonçant dix heures quarante.
— Mais c’est dans à peine vingt minutes !
Mon visage doit se vider d’une bonne partie de ses couleurs car le sourire d’Ethan s’élargit, moqueur.
— Allez viens, lâche donc tes dossiers, je vais t’emmener ! Ça t’évitera de t’égarer.
Le clin d’œil malicieux qu’il m’adresse fait que je lui assène une petite tape réprobatrice sur l’épaule mais il n’a pas besoin de se faire prier pour que j’accepte de le suivre à travers les couloirs de l’hôpital. Après tout, Ethan le connait sans doute mieux que moi…
Nous franchissons au pas de course plusieurs escaliers aux marches en lino défraîchi et une bonne dizaine de portes et d’enchevêtrements de couloirs alambiqués jusqu’à atteindre une nouvelle double porte à hublots jusqu’à laquelle je ne m’étais encore jamais aventurée. J’ignore dans quel secteur de l’hôpital nous nous trouvons actuellement mais la faible luminosité ambiante me fait penser aux sous-sols hébergeant la pharmacie intérieure. Je frissonne. Ethan me lance un coup d’œil étonné, la main sur la poignée en métal.
— Anxieuse ?
Je secoue la tête.
— Non, juste : impatiente, je mens.
Je tente de maîtriser l’émotion dans ma voix en me tordant les doigts dans le dos. Ethan hoche la tête. Curieusement, il ne semble pas vouloir insister cette fois-ci. De l’épaule, il repousse l’un des lourds battants en m’invitant à me glisser sous son bras et je m’exécute.
L’autre côté de la porte ne se compose que d’un tout petit couloir équipé de larges casiers et hautes étagères où se trouvent impeccablement pliés plusieurs tenues de blocs.
— Retire ta blouse, ordonne Ethan en se saisissant d’un pantalon et d’une chemise de bloc de petite taille. Et enfile ça. Ah, et ça aussi ! ajoute-t-il en me tendant une calotte pour mes cheveux.
Pour la première fois, je choisis de lui obéir sans trop poser de questions. Malgré notre rythme de course soutenu dans les couloirs, nous avons perdu beaucoup de temps à nous rendre jusqu’ici et je ne dispose donc plus que de quelques minutes pour me changer. Les interrogations viendront plus tard…
Après avoir rapidement enfilé les survêtements et arrangé mes cheveux en un chignon quelque peu débraillé, je tente de maîtriser le mouvement de mes doigts devant fixer le nœud de la calotte derrière mon crâne. Sans miroir, je ne me suis jamais sentie aussi démunie…
— Attends, je vais t’aider.
Je peste une dernière fois à mi-voix face à ma gaucherie et laisse les doigts bien plus habiles du jeune homme nouer les ficelles de la calotte chirurgicale et du masque de bloc derrière ma tête. Lorsqu’il se présente à nouveau face à moi, me détaillant prudemment de la tête aux pieds, il semble satisfait du résultat.
— Une vraie petite interne en médecine dis-moi ! plaisante-t-il.
Comme s’il s’attendait à ma réaction, il prend soin de poser une main en guise de protection sur son bras tandis que je lui assène une nouvelle tape amicale.
— Je ne suis pas… commencé-je.
— Médecin, je sais.
Ethan me couve d’un regard protecteur étrange. Je détourne le regard, piquée.
— Bon, il faut que je te laisse. Ils ne devraient plus tarder à venir te chercher pour aller au bloc et j’ai encore pas mal de boulot qui m’attend en service avant de déjeuner. On se retrouve tout à l’heure ?
Je hoche la tête, tout à coup bien plus nerveuse. La présence d’Ethan à mes côtés avait définitivement quelque chose de réconfortant.
— Pas de soucis, chuchoté-je en baissant les yeux pour rajuster les manches de ma chemise de bloc.
Ethan m’adresse un vague signe encourageant de la main en s’éloignant. Je le regarde ouvrir à nouveau la double porte de sortie lorsqu’une illumination éblouit soudain mon cerveau.
— Ethan ! l’interpellé-je.
Le jeune homme se retourne, surpris. Je lui adresse un sourire timide.
— Merci, soufflé-je à son intention.
Un nouveau sourire illumine son visage.
— Tu me remercieras plus tard ! Profite donc en attendant !
Un dernier clin d’œil à mon intention et le jeune homme disparait. Ça ne parait pas, mais cette simple petite attention à mon égard suffit à réchauffer mon cœur glacé dans ma poitrine par l’appréhension.
Une porte s’ouvre avec un étrange bruit de succion dans mon dos.
— Tu dois être l’externe en pharmacie dont m’a parlé Ethan ?
Je me retourne rapidement, surprise et confuse. Celui qui se tient à présent devant moi est à peine plus grand que mon petit mètre soixante-cinq, et sans doute à peine plus jeune qu’Ethan ! Ses yeux pétillants et le sourire malicieux que je devine en revanche sous son masque de bloc opératoire me rappellent Tim. Avec tout notre accoutrement, il est difficile d’appréhender le jeune homme mais je n’ai pas besoin de longues minutes de discours interminables pour décider que j’apprécie d’ores-et-déjà ses yeux marrons brillants et le ton doux et calme de sa voix. Je lui adresse également en retour mon plus beau sourire malgré le masque.
— C’est moi en effet !
Je choisis de paraître enjouée et sûre de moi malgré le trac. Le sourire de l’interne s’étire, comme amusé. J’ignore s’il est capable de percevoir mon angoisse sous la carapace de quiétude et de bonne humeur que j’arbore, mais je constate que la situation semble l’égayer.
— Tant mieux, on nous attend au bloc dans moins de cinq minutes ! Au fait, j’espère que tu as bien mangé ce matin ? Les derniers externes que j’ai ramenés au bloc avec moi se sont soit évanouis, soit évaporés jusqu’aux toilettes les plus proches pour vomir leurs tripes.
L’ensemble de mes muscles se figent brusquement, comme pris dans la glace. Je sens mon visage se vider de toutes ses couleurs.
— Je… je croyais… je croyais que vous ne faisiez qu’une simple pose de stent ce matin ? bredouillé-je.
Dans mes souvenirs, une pose de stent ne comprend ni sang, ni boyaux, ni quoi que ce soit de traumatisants pour une première intervention. Le jeune homme explose de rire. Je soupire de soulagement.
— Tu devrais voir ta tête ! Mais oui, ne t’inquiète pas ! Il n’y a en effet rien d’hardcore dans une pose de stent ! Ça peut juste devenir plus ou moins long en fonction de la complexité du cas donc on risque de ne pas avoir fini pour midi, c’est tout !
L’interne m’adresse un clin d’œil. Je me retiens de lui assener une tape amicale sur l’épaule. Il n’est pas Tim, ou Ethan. Mais ce n’est pas l’envie qui m’en manque…
— Alors, prête ?
Je prends une profonde inspiration avant de hocher la tête en guise d’assentiment.
— Alors, bienvenue chez moi ! me lance-t-il joyeusement en ouvrant la porte devant moi.
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