Chapitre 1 - L'aboutissement - Partie 1
Une lumière teintée de rouge bordait une partie du hublot et du siège. Elle le tirait lentement du sommeil. Cela faisait près de deux années standards que le vaisseau mère préparait son arrivée en orbite de Parelas-d, troisième planète de type tellurique du système Parelas. Depuis sa découverte, plusieurs années auparavant, elle avait attisé les passions de toutes parts. Bien qu’elle ne fut pas la première planète découverte par l’humanité, elle intriguait au plus haut point. À bord, on la surnommait Rød. Phel observait du coin de l’œil cette boule noire et rouge semblant flotter dans l’immensité du vide. Bientôt, les préparatifs de l’arrivée allaient agiter l’ensemble des membres d’équipage et de leurs précieux passagers, les colons. Ces derniers seraient la première vague d’humains dont les pas marqueraient Parelas-d. L’humanité s’étendait désormais dans l’univers. De nombreuses planètes devenaient de nouveaux berceaux. Plusieurs lignées, comme on les nommait, parcouraient des distances incroyables pour les ensemencer, y évoluer et les faire perdurer.
Pour les colons, dont Phel faisait partie, et les membres d’équipage, ce voyage n’avait pas été de tout repos. Bien que la majeure partie du temps fut consacrée aux loisirs et aux soins, l’humaniformation avait transformé les corps. Elle les avait préparés à la vie sur Parelas-d. Sa gravité était plus importante que les autres planètes standards où l’humain avait posé les pieds. De plus, la composition de son atmosphère n’était pas propice à la vie humaine. La terraformation avait été abandonnée depuis bien longtemps et se présentait comme une technique coûteuse, violente et dépassée. Elle avait été le théâtre de pertes inestimables pour l’univers. L’humanité lui avait préféré l’humaniformation, cette méthode plus rapide et adaptée. Les progrès et découvertes en biotechnologie offraient désormais de nombreuses possibilités. La nature, impérieuse, plaçait encore çà et là des limites inattendues. Mais la soif de savoir humain les repoussait toujours plus loin. Cette technique avait permis aux humains de s’installer durablement en dehors de son berceau originel la Terre. Elle avait, en outre, l’intérêt de laisser, en dehors des activités directement humaines, la planète globalement intacte.
« Je ne la voyais pas si rouge. » Phel tourna la tête, pour faire face à celui qui venait de prononcer ces mots. Il s’agissait d’un membre d’équipage qui s’assurait du confort des colons.
— Effectivement, la teinte réelle est quelque peu différente des simulations et des images issues des systèmes de visions à longue portée, lui répondit Phel.
— Nous allons devoir nous y habituer, c’est un aller sans retour, poursuivit son interlocuteur.
— De toute façon nous ne pourrions plus vivre sur notre planète d’origine, enchaîna Phel.
Une certaine nostalgie l’emplit durant un instant fugace. Les colons provenaient du monde de Baure. La forte gravité de cette planète avait déjà modelé les corps. Ceux-ci étaient peu gracieux, petits et robustes. Phel avait passé toutes les étapes de la sévère sélection. Formé en géologie dans les mines de Sikrat, il y avait passé plusieurs années standards pour y être préparé comme colon, dévolu aux futures installations au sol de Parelas-d.
Le membre d’équipage continua à passer en revue les sièges des passagers. Phel se détendit les membres. Puis, il parcourut les dernières informations remontées sur son pupitre d’information mobile, appelé communément PIM. Ce bijou technologique, léger comme une plume, ouvrait pourtant à une montagne d’informations diverses et variées. Il fit un tour rapide des dernières entrées et eut la confirmation que cette journée allait être intense. Plusieurs rendez-vous la ponctueraient. Il ne restait que quelques heures avant le débarquement. Chaque colonisation de planète avait son lot d’aventures heureuses et malheureuses. Et celle-ci n’y dérogerait pas.
Le groupe d’une centaine de colons était rassemblé pour échanger sur les préparatifs de leur débarquement. Phel se fraya un chemin parmi la foule pour rejoindre ses équipiers.
Trabo fut le premier à le remarquer et l’accueillit chaleureusement.
« Ah ! Voilà notre force de la nature. Comment te sens-tu ?
Le physique de Phel dénotait avec sa personnalité introvertie. Il était large d’épaules, son corps musculeux était porté par de solides jambes.
— Plutôt bien, répondit Phel qui regarda rapidement autour de lui. Lekia n’est pas encore arrivée ?
— Aux dernières nouvelles, elle discutait des préparatifs avec l’équipe chargée de nous déposer sur Rød et Meltia », lui répondit Trabo.
Le brouhaha régnait, comme à chaque fois, lors d’un regroupement de colons. L’excitation était palpable et chaque équipe discutait, riait ou s’invectivait. Phel aperçut Lekia qui faisait son entrée en même temps que l’équipe de débarquement. Elle les rejoignit rapidement en se faufilant.
« Le débarquement se déroulera comme prévu, tous les paramètres sont au vert », indiqua Lekia, après un rapide salut aux membres de son équipe dont Phel et Trabo faisaient partie.
Le silence prit place peu à peu. Les colons se tournèrent dans la même direction. Un homme de stature moyenne, aux cheveux noirs et au regard acéré parcourait la foule du haut d’une estrade. Il prit la parole d’une voix claire.
« Chers colons, demain sera un jour qui restera gravé dans nos mémoires. Il ouvrira un nouveau chapitre de l’Humania 55 Cancri. Tant d’attente après ces deux années passées à bord. Une graine d’humanité va enfin éclore sur Parelas-d. Chacun de vous sera pionnier dans son domaine. Vos corps ont été forgés, durant ce périple, pour endurer les conditions de vie difficiles sur cette planète. Nous comptons sur vous pour vous adapter et permettre à l’humanité d’acquérir de nouveaux talents. » L’homme marqua une pause. Il balaya du regard l’ensemble des colons qui se tenaient devant lui. Aucun bruit ne rompit le silence. L’atmosphère était chargée, à la fois, d’émotion et d’une certaine tension.
« Libre à vous désormais d’écrire une nouvelle page de l’histoire de l’humanité. Vos descendants partiront un jour de Parelas-d, forts de vos exploits et de vos réussites. Ils deviendront, comme vous, une nouvelle graine pour ensemencer un monde aujourd’hui inaccessible. »
Ces derniers mots du responsable de l’ensemencement, Milo Vard, déclencha un tonnerre d’applaudissements. Phel, Trabo, Lekia et le reste de leur équipe se regardaient mutuellement le sourire aux lèvres.
Milo Vard céda sa place à une femme de petite stature. Sa carrure trapue et musculeuse ne laissait pas de doute sur son appartenance aux colons.
« Salutations à vous. Comme prévu au planning, notre graine quittera le vaisseau mère à sept heures, heure universelle. D’ici là, les différentes décuries devront rester ensemble et suivre les instructions sur leur pupitre d’information mobile. Je me suis entretenue personnellement avec chacun de vos décurions. Ils vous livreront les détails de notre entretien. Je voudrais avant tout saluer le sérieux de chacun dans la préparation de cette étape cruciale de notre périple vers notre nouveau monde, Parelas-d. Vous pouvez regagner vos quartiers. » Ainsi Meltia, leur centurion, conclut ce dernier échange collégial. Une nouvelle salve d’applaudissements retentit dans la salle.
Trabo fut le premier à prendre la parole alors que chaque équipe rejoignait ses quartiers.
« Bref, mais intense !
— L’essentiel a été dit, enchaîna Lekia. Il est toujours bon de s’assurer de la cohésion des équipes avant chaque étape critique.
— Meltia semblait à l’aise et confiante », indiqua Phel.
L’équipe de Lekia, composée de neuf autres colons, dont Phel et Trabo, arrivèrent dans un espace rempli de matériel. Vivres, éléments nécessaires à l’installation des habitats primaires, vêtements et combinaisons, ustensiles pour les différentes recherches sur place et bon nombre d’autres outils étaient chargés dans des cubes de trois mètres sur trois. Ils seraient déchargés de la graine au fur et à mesure de leur installation sur Parelas-d. Finalement, ils contenaient toutes sortes d’éléments nécessaires à la survie de la centaine de colons pour les premiers mois, la production sur site relayant peu à peu les besoins qu’ils fourniraient.
Lekia menait son équipe à travers les salles de chargement. Elle était leur décurion. La division en centuries et en décuries était utilisée sur le Markind et sur les différentes planètes qui avaient été colonisées par les humains. Elle faisait référence au découpage militaire de la période antique romaine en Europe. Mais il n’était pas là question de martialité. Chaque décurie permettait d’obtenir un groupe homogène en compétences et limitait les problèmes décisionnels.
Elle s’arrêta et leur fit face.
« Prenez connaissance des dernières instructions sur vos PIMs. En cas de doute, je compte sur votre entraide. Ces derniers cubes doivent être chargés et arrimés à la graine. Au travail. »
Chacun prit sa place dans le ballet du chargement de la graine. Bientôt, celle-ci, comme tant d’autres, toucherait le sol d’un nouvel astre. Monde à venir d’une humanité en devenir.
Sur la surface parélienne, vue du ciel, on aurait pu penser à un tsunami noir dont le film aurait été joué à rebours. La masse sombre refluait découvrant une vaste zone d’un rouge vif. Le phénomène fut suivi scrupuleusement par les équipes en charge de l’observation du site d’ensemencement. Le repli de la végétation parélienne surprit les observateurs sur deux points : sa soudaineté et sa vitesse. Les questions fusaient dans leurs esprits. Mais la plus prégnante était de savoir quel stimulus avait déclenché une telle réaction.
Annotations