Chapitre 1 - L'aboutissement - Partie 3

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Les colons s’installaient de façon ordonnée, dans le calme. Phel regarda du coin de l’œil Lekia. Elle entrait dans son siège avec souplesse malgré le port de sa combinaison. En tant que décurion, elle s’était assurée que son équipe soit installée correctement. La centaine de sièges s’alignaient sur une longueur d’une cinquantaine de mètres. Ils étaient mobiles et allaient s’adapter aux différentes phases de l’approche et de l’arrivée sur Parelas-d. Les décurions étaient placés alternativement à droite et à gauche de chaque rangée. Une place au centre restait vide.

De son siège, Phel aperçut Meltia entrant dans la salle d’embarquement. Elle marchait d’un pas calme et assuré. Elle passait en revue chaque décurion, finissant chaque inspection par une petite tape amicale sur le casque. Elle fit de même pour sa décurion, Lekia. Ces petits rituels étaient-ils les mêmes pour chaque colonisation ?, se demanda intérieurement Phel.

Cette question pourrait aisément trouver une réponse auprès de l’Humania 55 Cancri et des archivistes du vaisseau mère. Mais elle ne pourrait couvrir que cette lignée de colonisation humaine. Il pourrait y apprendre que la colonisation de Baure, sa planète d’origine, s’était déroulée presque sans encombre. La forte gravité avait seulement endommagé du matériel mal calibré. En conséquence, une partie des installations du camp embryonnaire était inaccessible pendant les deux premiers mois. Tandis que celle qui la précédait avait provoqué la mort de nombreux colons.

Certains avaient étudié en détail chaque entrée de l’Encyclopedia Humanis 55 Cancri, que chacun appelait Humania. Elle agissait comme une mémoire ouverte et partagée, préparant les colons aux difficultés qu’ils pourraient rencontrer. Certains, comme Phel, étaient moins consciencieux dans leur étude. Ils comptaient davantage sur leur instinct, ne souhaitant pas alourdir leurs esprits avec les passages les plus noirs des colonisations passées. Des versions personnalisées et très allégées de l’Humania étaient chargées sur leur PIM. Celui de Phel contenait, en détail, tous les éléments récoltés sur la géologie complexe de Parelas-d, l’ensemble des entrées concernant ses spécialités et d’autres sources qu’il avait jugées intéressantes. Des entrées plus légères étaient couramment utilisées par les colons comme des réplications issues de planètes colonisées ou provenant de leur passé commun, la Terre et Mars.

En particulier, Phel était un fervent observateur du spectacle saisissant des aurores boréales et australes qui emplissaient les latitudes les plus hautes des hémisphères terriens. Phel avait fait le voyage au nord de Baure, mais les différences de composition de ces deux planètes ne pouvaient s’égaler. Les Terriennes restaient parmi les plus belles.

Une fois installée, Meltia fit signe à deux membres d’équipage pour vérifier à son tour son siège. Leur inspection se termina par un rapide hochement de tête. Ils repartirent de la zone sans se retourner vers les colons.

De ses pupitres de contrôle, Milo Vard et la nuée de ses subordonnés scrutaient l’ensemble des paramètres. Ils emplissaient la majeure partie des écrans. Une reproduction de la graine se tenait au centre de la salle de contrôle. En temps réel, les techniciens et ingénieurs pouvaient visualiser chaque détail, jusqu’au moindre élément. La tension était palpable. Les visages restaient concentrés et fermés. Les minutes menant à la séparation de la graine du vaisseau mère se réduisaient lentement. Le temps semble s’allonger comme souvent dans ces moments cruciaux, se dit intérieurement Milo Vard.

Activant la communication audio avec la graine, la voix du responsable de l’ensemencement retentit dans chaque casque de colon.

« Nous voici arrivés à ce moment déchirant et exaltant où le connu sera remplacé par l’inconnu, où chaque instant testera vos capacités. L’ensemble des membres d’équipage du Markind 55 Cancri se joignent à moi pour vous souhaiter une première phase de colonisation sans heurt ni malheur. Nous veillerons sur vous depuis les cieux. » Il coupa la communication tandis que raisonnaient autour de lui des applaudissements nourris.

Le décompte touchait à sa fin sur chacun des casques des colons. Lorsque le zéro si redouté, ou souhaité ardemment par certains, fut atteint, Phel fut presque surpris par l’absence de phénomène. Pas de choc, de sensation d’accélération ou d’autres indices lui révélant que la graine avait quitté le ventre du vaisseau mère. Cependant, il remarqua un détail. Un fin ruban semblait flotter au-dessus de sa combinaison. Il regarda les paramètres affichés sur son casque et confirma son observation avec l’indication zéroG.

La vie à bord du vaisseau mère s’effectuait avec la même gravité que connaîtraient les colons sur Parelas-d. L’expérience de l’apesanteur ne passait que par des sorties de maintenance, des exercices d’évacuation de zones dépressurisées ou d’une panne du système gravitationnel heureusement jamais endurée par un équipage. De rares parties du Markind 55 Cancri permettaient de connaître ces sensations de façon régulière. Elles étaient, cependant, réservées, en temps normal, aux membres d’équipage. Parfois les colons participaient à des exercices. Phel s’en remémora un rapidement, en compagnie de l’ensemble de son équipe menée par Lekia. Durant cette sortie, il suivait de près ses coéquipiers, Trabo le précédait. Ce dernier semblait apprécier l’escapade qui les menait d’un pont du Markind à un autre. Le spectacle du vide sidéral autour d’eux était saisissant. Pourtant, ils étaient habitués à l’observer de longues minutes durant, à travers les parois transparentes du vaisseau mère. Mais s’y trouver, à quelques mètres près, prenait une tout autre dimension. Une sensation de vulnérabilité mêlée à un sentiment d’émerveillement. A contrario de Trabo, Phel et sa coéquipière, avaient hâte de ressentir, de nouveau, la gravité rassurante du vaisseau.

Un rapide signal sonore et un indicateur dans son casque le tira de son souvenir. Lekia allait intervenir dans les secondes suivant ce signal. « Comme vous pouvez le constater les paramètres sont corrects, la graine va entamer la descente dans l’atmosphère de Rød. Tout va se dérouler très vite. Une fois posés, nous attendrons notre tour pour débarquer notre matériel. »

Depuis plus d’une minute, le fin ruban restait collé à la combinaison de Phel. Il luttait pour l’observer sans relever la tête. Les systèmes de la graine compensaient au mieux les changements de gravité, mais ils avaient des limites. Puis, peu à peu, il sentit le poids sur son corps se réduire. De nouveau, un signal sonore retentit et un indicateur sur son casque apparut. La voix de Meltia indiqua : « La graine est posée. Nous allons enfin pouvoir fouler le sol de notre nouveau monde. Les archivistes seront heureux d’enregistrer notre arrivée sans encombre sur Rød. »

Meltia sentait la jubilation monter en elle. Elle avait beau tenter de la réfréner, l’enchaînement des différentes phases de leur arrivée sur Parelas-d s’était déroulé dans les meilleures conditions. Relevant légèrement son bras, elle activa certains paramètres sur son PIM. Puis, elle se leva de son siège. Tout en effectuant les différentes tâches nécessaires, elle établit une liaison audio avec Milo Vard.

« Je débute la séquence de débarquement. Rien à signaler de notre côté », indiqua-t-elle.

— Heureux de l’entendre, Meltia. Tout semble parfait de notre côté aussi. Les drones s’affairent à déblayer votre zone de débarquement », répondit Milo Vard.

Meltia se dirigea vers chaque décurion et vérifia si tout était en ordre. Deux colons s’étaient évanouis pendant la phase la plus ardue de la descente. Leurs paramètres vitaux étaient stables. Les intenses émotions plus que les conditions de vol avaient eu raison d’eux. Une fois son inspection terminée, chaque combinaison changea de couleur. Des bandes indiquaient la spécialité de chacun et la couleur générale l’appartenance à leur décurie. Phel observa ses manches bleuirent et une bande de couleur marron les parcourir. Il remarqua sur celle de Lekia apparaître le rond jaune synonyme de décurion. Les combinaisons des deux colons évanouis présentaient des triangles verts clignotants, indiquant qu’ils retrouvaient peu à peu leurs esprits.

Dans sa combinaison blanche auréolée d’un triangle jaune Meltia se dirigea vers l’écoutille principale. Elle fut suivie par la première équipe dont l’un des membres avait totalement repris ses esprits. Elle entra les commandes sur son PIM puis les confirma sur le panneau de l’écoutille. Un léger bruit métallique retentit tandis que celle-ci glissa doucement, laissant apparaître une lueur rougeâtre qui se reflétait sur sa combinaison immaculée.

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