Chapitre 4 - L'éveil - Partie 2
Meltia avait connu le même sort que les autres colons. Et pourtant, elle sentait une différence. Elle n’arrivait pas à comprendre laquelle. Elle s’était levée et dirigée vers le ruisseau et avait bu. Elle, comme d’autres colons, avait été enlevée dans son sommeil. Elle était revêtue d’un léger tissu dont les teintes reflétaient son statut. Elle regardait autour d’elle, observant d’un air détaché les colons qui s’activaient. Elle voyait leurs lèvres bouger. Ils s’affairaient à la faire réagir. Mais, une autre chose prenait place peu à peu dans son esprit, une tâche importante. Elle dépassa doucement les quelques colons, en les poussant lentement mais fermement de ses bras.
Ils viennent. Ils m’accueillent, pensa-t-elle.
Lekia, Trabo et Celet observaient la scène. Meltia se dirigeant vers les êtres d’un pas assuré et serein. Ils étaient grands et gracieux. D’un noir profond, comme si la lumière une fois passée ne pouvait plus ressortir. Cette singulière couleur était similaire aux algues en surface et à la base des piliers. Les trois êtres longilignes semblaient glisser sur le sol. Ils s’arrêtèrent devant Meltia. Tous les quatre restèrent immobiles quelques secondes, l’ensemble des colons aussi. Le temps et l’espace semblaient entre parenthèses. L’humanité venait de perdre sa solitude. Meltia se retourna vers les colons. Sa voix fut entendue par tous, malgré sa distance. Elle fut claire et précise, sans ambiguïté possible.
« Nous serons bientôt réunis. Je dois nous rencontrer auparavant. Notre futur se dessine par ici. »
Meltia indiquait de sa main la direction que les colons devaient emprunter. Puis les trois êtres et Meltia partirent en direction d’un pilier. Arrivés à sa base, ils furent absorbés.
L’ensemble des colons semblaient sortir d’un rêve éveillé. Lekia, Trabo et Celet se regardèrent un instant.
« Je n’ai jamais ressenti une telle communion de toute ma vie. C’est comme si nous étions tous en symbiose, intervint Lekia.
— C’était si irréel et si palpable à la fois, dit Celet.
— Nous savons désormais où nous diriger », lança Trabo.
Une fois cette première expérience passée, les réactions fusèrent de toutes parts. La fascination de cet instant magique résonnait dans chaque esprit. Il n’y avait pas de frayeur, de peur ou même d’inquiétude. Un sentiment de bien-être avait accompagné l’intervention de Meltia.
Dans un seul grand mouvement, l’ensemble des colons se préparèrent à une sorte de procession. Les différents décurions se réunirent rapidement pour désigner un remplaçant à Meltia. Un décurion, Jobias, reconnu pour son sens de la diplomatie et ses qualités en exobiologie, fut déclaré centurion. Après un rapide briefing, les décuries se rassemblèrent. Il y avait été décidé que chacune devrait prendre un peu de distance par rapport aux autres, pour des raisons de sécurité, liées aux lieux inconnus qu’ils allaient traverser. Le peu de logistique permit un départ rapide. Lekia prit la tête de son équipe. Elle donna un rapide signal de la main pour signifier leur départ peu après trois autres décuries. Celet se mit à son niveau pour échanger avec elle sur les différentes hypothèses concernant les êtres qui avaient invité Meltia à les suivre. On sentait en lui une soif de partage et de connaissance au sujet de leur toute récente expérience.
« Fascinant : en postulant pour cet ensemencement, j’espérais secrètement rencontrer d’autres êtres vivants. Mais là, je suis comblé », lança Celet.
Lekia connaissait les talents des archivistes. Durant sa jeunesse, pendant sa formation, elle s’était intéressée à cette spécialité. Un fait la troublait au plus haut point, comme de nombreuses femmes d’ailleurs. Seuls les hommes pouvaient devenir archivistes. Pourtant, la lignée du Markind 55 Cancri ne mettait pas en avant le patriarcat. Toutes les autres disciplines, spécialités, étaient ouvertes aux deux sexes. Les femmes étaient d’ailleurs depuis les évènements d’Ition-g d’autant plus mises en avant. Beaucoup d’entre elles occupaient des postes primordiaux sur Baure. Mais, il n’existait pas de femme archiviste. La raison tenait à la technique pour améliorer les capacités de la mémoire eidétique. Les biologistes s’étaient perdus en diverses théories et expériences plus ou moins désastreuses. L’issue de l’humaniformation en ce domaine était fatale. L’état des recherches actuelles n’avait pas permis de mettre en surbrillance une possible cause, favorisant la naissance de croyances et renforçant l’aura sacrée des archivistes.
« Avez-vous des références liées à de tels êtres ou formes de vie dans votre mémoire?, demanda Lekia.
— Non. Les concernant, non. Cependant, les algues du sol semblent… Il faudrait la confirmation d’un biologiste ou d’un exobiologiste, bien entendu. Elles semblent liées au cycle chlorophyllien. L’écosystème qui nous entoure me fait penser à un milieu marin, commenta Celet.
— Qui commencerait à coloniser le milieu terrestre, ajouta Lekia.
— Tout à fait. D’ailleurs ceci n’est pas trop étonnant. En effet, Belgi et Ition-g sont remarquables pour la profusion de leur vie marine. Je parierais beaucoup sur le fait que la plupart des formes de vie présentes sur les différentes planètes habitables pour l’humanité soient des algues, acquiesça-t-il en argumentant son propos. Sur Baure, la présence d’algues a aussi été confirmée. Cependant, dans des proportions beaucoup plus faibles, ajouta-t-il.
— Oui, Celet, d’ailleurs ce type d’organisme vivant a même été repéré sur des lunes. Mais, de souvenir, dans des configurations biochimiques différentes, répondit Lekia.
— Effectivement. La vie semble avoir vraiment une capacité d’adaptation étonnante. D’ailleurs, une question se pose. À la vue de ce qui nous entoure, nous sommes vraisemblablement sous la surface. À quelle profondeur ? Je ne saurais pas le dire. Mais pourquoi ? , questionna Celet.
— Un refuge ? Les conditions de vie à la surface ne permettent peut-être pas à la flore et la faune de s’y épanouir ?, ajouta Lekia.
— Je ne pense pas. L’atmosphère et les températures en surface sont compatibles avec le développement de la vie. L’humidité y est suffisante. D’ailleurs les algues noires semblent plus qu’en profiter, répondit Celet.
— Excusez-moi de vous interrompre, intervint Trabo, mais nous approchons d’une gorge un peu plus à droite. Je vois d’autres équipes y pénétrer.
— De toute façon, nous n’avons pas trop le choix. Allons-y. Ayons confiance en Jobias », lança Lekia.
La longue procession des dix équipes s’étendait sur plusieurs centaines de mètres. De façon ordonnée malgré les styles vestimentaires variés. Certains ne portaient qu’une fine combinaison protégeant en majeure partie leur corps de contaminations extérieures. D’autres avaient conservé la combinaison de sortie. Les qualités des matériaux offraient à leur porteur des mouvements aisés et un poids minime. La combinaison légère était connue et reconnue comme une seconde peau. La fatigue ne se faisait aucunement ressentir. La soif de découverte occupait les esprits. Étrangement, l’environnement mêlait un sentiment de connu et d’inconnu. Comme lorsque l’on revient sur un lieu d’enfance au crépuscule de sa vie.
Après quelques minutes de marche, les parois rocheuses se découpaient de chaque côté du passage. Large d’une cinquantaine de mètres environ, l’accès continuait de serpenter tout en s’enfonçant toujours plus. Bientôt, au loin, il semblait régner une plus grande clarté. Lekia remarqua que les décuries les précédant s’étaient arrêtées. Elles s’alignaient et des colons naviguaient d’un côté à un autre avec une excitation notable.
Lekia et sa décurie, après avoir légèrement pressé le pas, arrivèrent à leur niveau. Un colon se retourna vers eux.
« C’est incroyable ! Toute cette profusion de vie », s’exclama-t-il. On pouvait lire dans ses yeux une véritable exaltation.
La vue était effectivement à couper le souffle. Une vallée bouillonnante de vie s’étalait devant eux. Ce qui ressemblait à un grand lac occupait la partie droite de leur champ de vision. À gauche, de hautes parois rocheuses empêchaient toute progression. La plaine, à perte de vue, abritait des animaux étranges : certains longilignes, d’autres ressemblant à d’énormes salamandres sombres. Et toujours, à intervalles plus ou moins réguliers, les énormes piliers rappelaient leur situation souterraine.
« Tout ceci est bien merveilleux, mais restons prudents. Nous sommes assez vulnérables. Si un prédateur souhaitait goûter de l’humain, je doute fort de notre capacité à l’en empêcher, dit Trabo.
— Tu as raison. Restons groupés. C’est notre plus grande force », répondit Lekia.
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