Dix minutes avant la fin

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Dix minutes, je n'ai plus que dix minutes avant que tout s'achève. Je suis allongé dans mon lit d'hôpital, entouré par mes proches. J'ai eu une belle et longue vie, mais tout de suite, je n'ai pas le temps d'y penser. Je dois essayer une dernière fois de cracker le code.

Toute ma vie, j'ai pû entrer dans mes rêves comme s'ils étaient un autre monde. Je pouvais explorer ce monde à ma guise et en découvrir les mystères. Beaucoup de ce que j'apprenais là-bas me servait ici, et tous ceux que j'avais rencontré dans les deux mondes le savaient. Lorsque je mourrais dans ce monde, celui dans lequel je suis né, je mourrais aussi là-bas. Mais il me reste un dernier mystère à découvrir.

J'avais un choix à faire : Passer les dernières minutes de mon existence sur terre ou m'endormir et les passer là-bas. J'ai fait mon choix, au risque de ne plus jamais revoir mon frère, ma femme et mon fils. Je leur ai dit aurevoir et j'ai traversé la barrière une ultime fois. Je suis arrivé à l'endroit où j'étais apparu lors de mon premier rêve lucide : Dans ma maison d'enfant, à la campagne.

Je me dépêche d'en traverser les murs pour arriver dans un champ de tombes, celles de tous ceux qui m'ont quitté depuis le jour où j'ai perdu mon premier ami. Mais je n'ai pas le temps, je suis déjà trop souvent passé par là. J'inverse les bords du sol avec les bords d'un ciel lointain. J'ai appris ce tour lors de mes premiers voyages.

Je traverse la nébuleuse des rêves fiévreux, je m'engouffre dans la matière noire, visqueuse et imprévue des rêves prémonitoires, et je m'extirpe en l'éclairant à la lumière des phosphènes. Je cours plus vite que le son, je me mélange à la matière et me transporte dans toutes les dimensions que j'ai visité. Je réalise que tout est encore plus immense que ce que je pensais. Cinq minutes.

Je revois tout de loin, mais je cherche un point précis, celui où j'ai lu ce livre qui pouvait accorder à celui qui le lit une vie éternelle. Je rends visite en un battement de cil à tous ces citoyens du monde des rêves que je n'ai jamais vu en réalité. Je les embrasse, j'aime certains beaucoup plus que je n'aime mes véritables compagnons.

Je dois me dépêcher. Où était ce nuage dans lequel se trouvait un bâteau, dans lequel se trouvait mes parents, dans lequel se trouvait une bibliothèque, dans laquelle se trouvait mon livre ???!

Trois minutes.

Je n'ai plus une minute à perdre. Mon Dieu, vais-je y arriver ? J'ai pris ce risque de toute façon, le risque de finir ma vie dans ce monde. Et ce ne sera peut-être pas plus mal.

Voilà, je l'ai trouvée. La bibliothèque. Je m'y engouffre, et j'y trouve le bibliothécaire. Il me regarde sévèrement.

Je le supplie de me laisser entrer, il accepte sans être très satisfait. Il a toujours fait ça, depuis que je le connais.

Je cherche un livre, mais je n'ai pas le temps de les regarder un à un. Je choisis de tous les mélanger à ma mémoire et tout m'apparaît clair. Je plonge dans mon cerveau l'espace d'une minute. Je cherche dans des centaines de millions d'images et de connexions.

Où est-il ? Où l'ai-je lu ? Comment puis-je être si impotent ?

Deux minutes.

Ca y est, le livre ! Je l'ai trouvé ! Je fonds en son sein et me retrouve au sommet de cette montagne enneigée. J'ai froid et je peux à peine bouger. Une épée est plantée à quelques mètres de là... Je dois y arriver ! C'est bon ! J'ai réussi ! Je saisis la lame et tranche les lanières de la peur et la douleur. Je suis soulagé, je peux avancer tranquillement, maintenant. J'explose en millions de petits "moi" pour me diviser la tâche. Je cherche dans chaque flocon de neige une forme qui me convient.

Je la trouve ! La forme parfaite, avec ses branches en feuilles de gui et ses reflets dorés. J'ordonne à tous mes "moi" d'en découper un petit morceau chacun et de le manger. Je redeviens "un" et je rentre au plus profond de moi.

Tout y est noir, sauf moi, mes vêtements et mon épée qui apparaissent en vert. Je sais qu'il faut que j'écrive quelque chose pour passer à la dernière étape, mais je ne parviens pas à me souvenir quoi. Je peste et je rage en pensant au peu de temps qu'il me reste. Allez, il me faut ce mot. Vite !

Une minute !

C'est insupportable, je prends conscience de tout, à présent, de la mort, de la vie, de mes victoires et de mes échecs. Je sais qu'avec un peu plus de temps, j'aurais sans doute trouvé la solution.

Cinquante secondes.

Oui, je sais, cinquante secondes. J'ai passé ma vie à flemmarder et à traîner, maintenant je manque de temps. Pas la peine de me rabrouer.

Quarante secondes.

C'est fini, oui ? Tu vas vraiment me répéter en boucle le temps qu'il me reste à vivre jusqu'à arriver à zéro ? Sérieusement ?

Trente secondes.

Je t'ai toujours trouvé énervant. Tu m'as toujours trahi, toujours laissé tomber.

Vingt secondes.

Peut-être que c'est que je n'ai jamais sû te comprendre, aussi. Mais je n'ai plus le temps, mon pauvre ami.

Dix secondes.

Neuf.

Huit.

Sept.

Six.

Cinq.

Quatre.

Trois.

Deux.

Oh, j'ai trouvé, j'ai trouvé !

Un.

C'est....!

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