5 - Rêve
Le bourdonnement, ce doux murmure porte loin dans le silence. L’onde se loge dans mes entrailles, pulsation rythmée qui éclipse tout le reste. Je vibre à l’unisson avec l’atmosphère oppressante.
Noir.
J’ouvre des paupières fatiguées sur une pièce plongée dans l’obscurité la plus totale. Un mince rai de lumière filtre soudain dans la pièce. Le grondement s’amplifie avant de s’éloigner à nouveau. Je me lève, transie. Mes paumes palpent la couchette tiède que je viens de quitter. De l’autre main, je longe la cloison métallique avant de sentir une fente. Quelques tâtonnements de plus et je trouve le système d’ouverture. Un flash bleuté clignote un instant. La paroi coulisse et révèle un corridor vide.
Je plisse les yeux, incommodée par la clarté ambiante. Des lampes rouges et vertes tapissent le haut des murs incurvés. Le mélange des couleurs confère un aspect fantomatique à l’infrastructure. D’épais câbles sillonnent le sol. Le bruit se fait de nouveau entendre plus loin, au tournant. J’avance, prudente, dans cet imbroglio de tuyaux caoutchouteux.
À moitié ici, et en partie ailleurs, je ne peux deviner ce que je vais découvrir de l’autre côté du sas devant lequel je me trouve à présent. Un sifflement et un léger panache de vapeur en provenance du plafond accompagne mes pas. L’ouverture est encore commandée par un scanner.
Pourtant, là où je m’attendais à entrer dans une salle de commandes ou quelque chose de semblable, je suis déçue de ne découvrir qu’un nouveau couloir identique au précédent. Je continue à avancer, incertaine. Je crois déjà être venue ici auparavant, dans une autre vie. Mais impossible d’en être certaine.
Un hublot rectangulaire découpé dans le revêtement cuivré me permet de jeter un premier regard à l’extérieur. Comme je m’en doutais, l’espace de l’autre côté de la vitre est sombre et piqueté d’étoiles.
Le verre vibre sous ma main. Cela ne peut signifier qu’une chose : cet engin est en mouvement. Une ancienne histoire surgit à la lisière de mon esprit. Le récit d’un petit garçon qui devait combattre des monstres dans un vaisseau en construction…
Le claquement retentit une seconde fois derrière moi.
Je sursaute. Mais le couloir demeure désert. Je connais la machine à la source du bruit : un robot d’entretien monté sur roues. Je voudrais en avoir le cœur net, mais je préfère laisser cela de côté pour le moment. Le murmure des moteurs au ventre, je reprends ma marche tandis que le plan du cargo se dessine peu à peu dans ce qu’il me reste de souvenirs. Je ne tiens pas compte de la légère douleur qui commence à poindre dans mon crâne.
Et soudain, elle est là. La fille aux cheveux de feu.
— Kaylee ? demandé-je.
— Oui.
— Je voulais te parler.
— Je sais.
Son regard perçant demeure fixé sur moi. Je me vois, plantée là devant la baie vitrée. L’univers s’étend autour de nous.
— Perdue au milieu de la galaxie… murmure-t-elle.
— Comment peut-on être perdu au milieu de quelque chose ?
— Bonne remarque !
Je me laisse tomber dans l’un des fauteuils, en proie à une légère nausée. Outre le décor, quelque chose d’autre a changé.
— Le bourdonnement, me rends-je soudain compte. Les moteurs sont coupés.
— Oui. Nous dérivons.
— Dans quel but ?
— Comment pourrais-je le deviner ?
— Arrête de te comporter aussi mystérieusement !
Elle me sourit. Ses cheveux flottent à peine dans la gravité reconstituée du vaisseau.
— Et toi, Kaylee ? Il s’arrête où, ton monde ?
Mes mains vides posées sur les genoux, j’attends qu’elle continue.
— Là où commence le tien...
Un vertige me saisit, et je réalise soudain ce que j’avais occulté toutes ces années.
Mes yeux s’ouvrent dans le silence d’une chambre bien trop familière.
Cette vie n’est pas réelle, je l’ai imaginée.
Rien de tout cela n’est arrivé.
Ses souvenirs ne sont que des mots sur le papier.
J’ai confondu le rêve et la réalité...
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