Lorsque nous eûmes terminé notre repas, j’embrassais Krust et Abelord en leur souhaitant une agréable journée. Je savais que je les reverrais bientôt, car Abelord ne tarderait pas à me contacter pour définir les objectifs de ma mission.

Il était encore tôt dans l’après-midi, alors je me permis un détour par l’École de Magie de l’Arbre Trinitaire. C’est ici que les mages, dès l’âge de huit ans, commencent leur apprentissage dans l’une des plus prestigieuses institutions du royaume, un véritable temple du savoir.. J’ai eu la chance inestimable d’y étudier moi-même, aux côtés de grands noms. Beaucoup de rois et reines, ainsi que des mages légendaires, ont foulé ces couloirs avant moi. C’est un lieu où, quel que soit votre âge, vous pouvez venir approfondir vos connaissances, pour peu que vous en ayez la capacité, car les exigences y sont élevées et les élèves progressent à un rythme soutenu.

Le bâtiment se trouve non loin de celui dans lequel j’étais, formant, avec la bibliothèque et la Maison du Roi, un vaste ensemble en U. En marchant dans la cour centrale, je remarquais les arbres et plantes qui l’embellissaient, exactement comme dans mon souvenir. Jadis, j’aimais m’installer à l’ombre de ces grands arbres pour réviser. Je me cachais même parfois derrière des buissons, utilisant mon sort de camouflage naturel qui me permettait de disparaître aux yeux de ceux qui ne cherchaient pas activement à me trouver. Ce sort souvent utile pour passer inaperçue.

Curieuse de revoir les jeunes élèves et d’anciens professeurs, je franchis la porte principale de l’école. Les couloirs étaient déserts, signe que les cours avaient repris après le déjeuner. Tout semblait exactement comme je l’avais laissé, et je me sentis envahie par une douce nostalgie. Je me trouvai bientôt devant la salle où j’avais reçu mon diplôme, ce parchemin que je garde précieusement dans ma chambre. Je me souviens encore de ce jour, de la tenue de lin rouge que ma mère m’avait confectionnée, rappelant la cape de mon père. Mes cheveux roux, détachés, ondulaient jusqu’à mes omoplates, et brillants comme des flammes, avaient attiré tous les regards.

Ce jour-là, je ne cherchais pas à passer inaperçue. Je voulais que l’on me voie, que l’on sache que mes efforts avaient porté leurs fruits, que mes parents, que le Roi, soient fiers de moi. Un sourire étira mes lèvres à ce souvenir, mais je fus tirée de ma rêverie par une voix familière.

“— Tyanä ?” appela quelqu’un.

Je me retournai et vis Madame Poiture, mon ancienne professeure d'herboristerie. Elle n’avait pas changé, petite et ronde, avec la même douceur dans le regard.

“— Ah oui, c’est bien toi. Ce regard violet et ces cheveux de feu… Tu es devenue une si belle jeune femme, dit-elle avec douceur. Que fais-tu ici ?

— Bonjour Madame, répondis-je en souriant. Ma nostalgie m’a ramenée ici, et je me suis laissée emporter par mes souvenirs.

— Oh, je vois, répondit-elle en riant doucement. Eh bien, que dirais-tu de m’aider à faire visiter l’école à nos nouvelles recrues ? Nous avons quelques jeunes élèves, âgés de huit à douze ans, tout juste inscrits. Ils ne sont que huit, mais je suis ravie de voir de nouveaux talents arriver.”

En observant les enfants, je ressentis à travers mes pouvoirs leurs émotions : de l’émerveillement, mêlé à une curiosité presque palpable. Chez l’un des plus jeunes, un garçon, je perçus une soif d’apprendre semblable à celle qui m’habitait à son âge.

“— C'est avec plaisir, dis-je. J'ai un peu de temps devant moi. Voulez-vous bien me suivre, jeunes mages ?”

Certains rougirent, tandis que d’autres gonflèrent la poitrine avec fierté, mais tous acquiescèrent avec un enthousiasme évident.

Nous parcourûmes les quatre étages de l’école, et je leur expliquais, salle après salle, les matières enseignées, les professeurs qu’ils allaient rencontrer, et les spécificités liées à leurs pouvoirs respectifs. Leur curiosité et leur enthousiasme étaient contagieux, et j’aimais répondre à leurs questions.

Pour conclure la visite, nous sortîmes dans la cour. Je leur assurai que dans cette école, ils seraient toujours en sécurité, et qu’ils trouveraient de l’aide à chaque fois qu’ils en auraient besoin. Je m’accroupis, fermai les yeux pour me concentrer, et déployai mon pouvoir. J’appelai les oiseaux et papillons qui souhaitaient me répondre, et bientôt, ils vinrent se poser sur mes mains et sur les enfants les plus curieux. Leur excitation et leur émerveillement étaient si intenses que je les ressentis avec clarté, amplifiés par ma magie.

— "Un jour, je serai aussi forte que vous !" murmura une petite fille, les yeux brillants.

Mme Poiture et moi nous échangeâmes un sourire complice. La relève était bien là.

Elle me remercia pour cette escale inattendue, et je regardai les enfants s’éloigner, excités et bavards. La cloche sonna, marquant la fin des cours. Il devait être cinq heures après midi. Je me dirigeai alors vers la bibliothèque, sachant que bientôt, les étudiants en quête de savoir viendraient eux aussi.

Je savais déjà où me rendre : la section des archives historiques, là où se trouvaient les écrits sur Balzuk et les magies rares ou oubliées. Je devais consigner autant de détails que possible, pour être prête lorsque ma mission serait officiellement lancée. Je pris les outils à disposition — plumes, encre et parchemins. Les étagères de bois ancien s’étendaient jusqu’au plafond, exhalant une légère odeur de parchemin jauni et de cire d’abeille. Je me plongeai dans les livres, notant méticuleusement tout ce qui pourrait m’être utile.

Les heures passèrent, j'avais rempli plusieurs pages de notes. J'avais également annoté une carte avec des points clés relatifs à mes découvertes. Lorsque je levai enfin les yeux pour m'étirer, je remarquais que la bibliothèque était étrangement calme. Je ne ressentais plus la présence des autres étudiants. Je me levai et utilisai mes pouvoirs pour sonder les environs, sentant la présence d’une personne derrière moi. Cette aura familière…

— "Bonsoir, il est bien tard pour travailler dans cette section," dit une voix grave.

Je me retournai et reconnus un visage familier : Hiboux, l’un des plus anciens professeurs que j’avais eus, un érudit membre du conseil du Roi. Ses grands yeux semblaient percer les ténèbres, son air éternellement âgé et son savoir semblait sans limite. Son aura dégageait une force et une sagesse inégalées.

— "Bonsoir, professeur, répondis-je à voix basse.

— "Tyanä… Que fais-tu ici ?" demanda-t-il en jetant un œil à mes notes. "Ah, je vois. Peut-être qu’une certaine section de la bibliothèque pourrait approfondir tes recherches. Si le Roi est au courant, je peux éventuellement… t’autoriser à consulter certains documents." Sa voix se fit plus insidieuse, son regard perçant.

—” Je n’ai pas encore d’autorisation officielle professeur, répondis-je. Je prends simplement de l’avance sur ce qu’Abelord pourrait me confier professeur.

Je ressentis un léger amusement émaner de lui, bien que son expression restât impassible.

— Toujours aussi prévoyante, constata-t-il. Tu n’as pas changé.”

Il laissa un silence planer avant de reprendre, en s'éloignant :

— “Reviens demain matin, de bonne heure. J’ai peut-être quelque chose qui pourrait t’intéresser. Mais fais-en bon usage, Tyanä. Je me souviendrai de tout ce que tu consulteras, chaque document que tu liras."

Puis il disparut dans l’obscurité. Je frissonnai légèrement en rassemblant mes affaires. Hiboux avait toujours eu cette capacité à me mettre mal à l’aise. Il était clair que tout ce que je faisais dans cette bibliothèque serait mémorisé et rapporté. Mais cela prouverait également à Krust et Abelord que j’étais déterminée à mener cette mission à bien.