1 Chap.
Le manteau des « peut-être » enfilé sans réfléchir, lassée de la chaleur des connus insensibles, elle part, comme un épouvantail, sur les chemins du vent.
Autour d'elle des fantômes anonymes, aux visages fermés rôdent le long des murs têtus, impossible pour eux de les démolir, ou de voir au-delà. Les fantômes jacassent leurs dépits inutiles et oublient de vivre l'instant présent.
Le vent dilue leurs fades existences.
Elle détourne les yeux, elle ne voudrait pas que son chagrin l'encrasse et qu'au final, comme eux, elle déserte sa vie.
« Peut-être » ? elle en voit un qui se profile, à la croisée d'un chemin qu'elle ne connaît pas. Il n'y aucun spectre par là. « Peut-être », comme une brassée d'espoir, quand elle pousse et monte du sol. « Peut-être »... Un autre, comme elle, cherche-t-il un miroir pour son âme ?
Les épouvantails attirent les oiseaux en dépit de leur fonction. Ils les laissent semer le désordre, ne pouvant renoncer à leur chahut joyeux.
Elle aime tant les oiseaux mais elle est sans doute trop triste pour les retenir, sa compagnie les déprime.
Elle est un épouvantail bien seul et bien singulier qui n'effraye qu’elle-même. Son corps creux de paille, noué de solitudes, elle regrette les plumes et la poésie moqueuse des moineaux, des mésanges... leurs surprises en émois.
Elle ne chasse personne : sur son champs, il ne pousse rien.
Le chemin s'engage et plonge dans l'inconnu d'une brume de frissons. Elle avance sans se presser, timorée. Elle regretterait presque ses vieilles habitudes. Comme il lui est difficile de changer ses humeurs familières !
Le vent ne dissipe rien, il s'amuse simplement à sculpter des volutes aériennes, dans les goutelettes en transit vers le ciel. Il l'empêche de voir et d'anticiper quelque chose succeptible de la faire fuir et la conduirait, plus tard, à regretter une fausse et lâche aventure.
Et « peut-être » s'incarne soudain !
La brume se dissipe tout à coup, la laissant voir un homme à quelques pas. Il lui ressemble : c'est un autre épouvantail. Il est crucifié à son ossature de bois par le lierre obstiné de ses erreurs passées. Il la regarde, muet. Son désir de danser est si fort, qu'autour de lui l'air vibre de passion.
Elle s'approche timidement, raidie par l'inquiétude : Dieu sait qu'un épouvantail qui bouge est plus dangereux qu'un autre lié. Néanmoins, ses creux de solitude voudraient tant être comblés, qu'elle prend le risque de connaître son pareil en détaché.
Elle dénoue une à une les tiges de lierre, comme autant de mystères à l'origine des ratés de l'homme de paille. Le vent les envoûte se mêlant à la passion de l'air.
Et voilà que tombe le dernier lien.
Le prisonnier enfin libre bondit sur pied, s'envole et sautille, habité par un feu follet.
Elle sourit : libérer un inconnu change le manteau des « peut-être » en robe de joie. Des cordes végétales ont laissé quelques lignes foncées sur le corps relâché . « Ces marques lui vont bien. » Pense-t-elle.
Elle redoute un instant que leur rencontre ne s'arrête là et que tout à son allégresse, son sauvé ne se sauve. Mais il n'est pas ingrat ! quoique prudent quand même. Il tourne autour de la belle pour vérifier qu'aucun fantôme ne se cache ou qu'une tige de lierre ne prend racine en elle.
Elle semble tellement sincère et seule et résignée. Son visage et ses cheveux, couleur de paille l'attirent et il aperçoit son propre reflet dans le miroir de ses yeux.
« Pourquoi pas » est un autre chemin qu'il faut suivre pour rejoindre la route des évidences, elle n'est pas si loin.
Ni fantômes, ni épouvantails quand une femme et un homme surprennent l'image de leur âme dans l'incarnation d'un autre, fut-il de paille, l'aventure est belle et les routes sans fins seront bordées de sens, de lumières et d'enfants.
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