Un pari, une pinte, une fille

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J'étais là, dans la jungle, l'épaule suintante de sang et les bras écrasés par le poids de mon fusil. Ils m'avaient poursuivis depuis la caserne mais je crois que je les avais enfin semés. Je n'avait pas couru autant depuis mon cycle de demi-fond au Bac. J'avais une quinzaine de types à mes trousses, une balle dans le côté droit et le pire c'est que j'étais mort de rire ! En même temps si vous étiez à ma place vous le seriez aussi. Comment j'avais pu m'embarquer dans une situation pareille ? J'étais au milieu de la jungle Brésilienne poursuivis par une bande de soldats de la caserne Juaréz au fin fond de l'Amazonie. Caserne de formation de soldats d'élites entraînés par la CIA à chasser les guérilleros. Et évidemment, avec ma chance délicieuse et mon adorable caractère, il fallait forcément que j'en soit un de Guérillero. J'étais donc là, complètement perdu au fond de la plus importante et hostile forêt au monde, seul en territoire ennemi, une vingtaine de balles dans mon chargeur et peut-être quinze centilitres d'eau dans ma gourde. Pas dormis depuis trente-six heures et toujours pas le temps de me reposer. Non en effet ça n'était pas drôle. Ce qui est vraiment drôle par contre c'est comment j'ai fait pour me retrouver dans cette situation. J'ai toujours été sensible à deux choses, aux paris et à l'amour. Imaginez alors à quoi pourra me conduire le pari que m'a faite une fille un soir de Février. On prenait une pinte au Delhi's à Nantes avec des amis du Bafa mais beaucoup étaient partis et les autres discutaient entre eux. Je me retrouvais donc seul à discuter avec Claire depuis une dizaine de minutes des choses les plus importantes de l'Univers. Elle me parlait de féminisme et de sa passion pour la musique et moi je lui racontais mes rêves de voyage et d'écriture. Je lui racontais comment le sacré était devenu la chose la plus importante pour moi et que la vérité ne valait rien face à la sincérité. Toutes ces grandes phrases ! « -Mais tout est physique ! Il n'y a pas de sacré ou de mystique, tout est dû à une réaction... -Il y a un acte sacré qui n'est pas physique, c'est l'amour ! -C'est juste une réaction physique... -Oui mais pourquoi cette personne à ce moment précis ? Pourquoi pas n'importe qui d'autre qui lui ressemblerait ou qui aurait plus de points communs avec ce que tu recherches ? On peut comprendre les réactions physiques du cerveau mais pas celles de l'esprit, pas celles de l'âme ! Ta religion c'est la Science, mais peut-être que comme quand on a découvert que la Terre tournait autour du Soleil, la Science sera vaincue par une autre religion d'ici dix siècles ! » Un extrait rien que pour toi cher lecteur de ce que pouvait être cette joute orale, ce débat de charisme et d'argumentation ! Comme maintenant je croyais ferme à quelque chose qui pourrait dépasser le physique, quelque chose de mystique et de sacré ! Cette fille si intéressante, si fascinante était tombée du ciel il y a une semaine mais je ne commençais à la connaître enfin que depuis la veille. Cette discussion semblait être l'apogée de la rencontre de nos âmes d'explorateurs. Je tombais plus amoureux d'elle à chaque mot qui sortait délicatement et justement de sa gorge. Je ne sais plus si c'est elle ou moi qui initiait le stratagème, mais afin d'être certain de nous revoir un jour, nous trouvâmes une idée brillante. Vois-tu mon ami, Claire n'était pas le genre de personne que tu revois sans raison. On ne pouvait pas venir discuter avec elle de banalités, il fallait du grand et c'est ce qui m'attire le plus chez elle. Elle refuse le sacré mais il ne faut pas la rencontrer sans avoir des choses à dire sinon le mystique meurt. Nous avions déjà pariés la veille et j'avais remporté une compote, mais là l'enjeu était tout autre, il fallait trouver un sujet dont nous pourrions parler des jours durant, qui nous permettrait de rester amoureux lorsque nous nous reverrions enfin. Il fallait aussi que le contexte soit suffisamment attrayant, suffisamment grave pour que nous mordions à l'hameçon avec envie. Géronimo ! « -Si dans dix ans tu n'as pas fait le tour du monde , tu me devras une pinte à Dublin ça te va ? -D'accord mais si d'ici dix ans j'écris un livre, tu me devras une pinte à New-York. Marché conclu ? -Marché conclu. » Une poignée de main, un sourire et maintenant vous savez comment je me suis retrouvé dans cette situation. Que voulez-vous ? L'amour d'une femme et la possibilité de gagner un pari, comment résister ? Je savais qu'on ne se reverrai pas avant longtemps. On a à peine pu se dire au revoir, pas même un sourire. Quelques échanges utiles par SMS ensuite, mais c'était tout. Je savais qu'il n'y avait qu'une seule solution si je voulais la rejoindre. Attendre ma majorité, convaincre quelques amis, préparer mon sac, mon itinéraire, économiser mon argent et organiser une dernière soirée avant mon départ et voilà, me voilà Sur la route. Cela s'est fait si naturellement que je pourrais presque commencer à croire au Destin si ce n'est déjà le cas. Nous étions trois. J'étais le jeune optimiste qui essayait de s'éloigner de la réalité, comme le héros de Doyle dans Le Monde perdu, je rêvais de voyages et de contrées lointaines mais surtout de l'amour d'une fille. Gwen était notre rêveur réaliste. Non pas qu'il soit terre à terre ou ennuyeux, non loin de là, mais il était prêt à faire n'importe quoi dans le monde réel pour voyager. William était notre humain vivant. La philosophie l'ennuyait, ce qu'il voulait c'était de l'éclate et du mouvement, il rêvait mais sans se poser de questions, il était encore plus loin de la réalité que nous. Sac de couchage, bouteilles d'eau, riz, pâtes, carottes et saucissons, casserole, poêle, briquet, allumettes, allumes-feu, lampes, tapis de sol gonflables, tire-bouchon, couteaux, couverts, assiettes, vêtements, livres, enceinte, médicaments, brosse à dents, rasoir, tabac, alcool, thé et « thé », courage, envie et espoir. Nous étions prêts à partir. Une cigarette en regardant le Soleil se lever depuis Nantes la vieille cité moderne, une dernière pinte de Triple-Carmélite au Brady's et un cri de joie transperçant l'aurore et Géronimo ! Nous marchions vers le Nord, vers la Bretagne où nous devions assister au festival de musique celtique de Lorient auquel Gwen avait toujours rêvé d'assister. Nous marchions depuis le Cardo et tendions nos pouces au passage des voitures. « Trop tôt. » pensais-je, « Ils vont au boulot pour l'instant. Tant pis, nous marcherons jusqu'à midi. » et nous le fîmes. Nous déjeunâmes humblement d'une rondelle de saucisson et d'une carotte, notre budget restait très mince, et nous rimes. Je les connaissais depuis des années tous les deux et ils étaient aussi heureux que moi de partir enfin. Toutes ces années d'attente pour trouver enfin ce que nous cherchions, « l'aventure » comme l'aurait dit London, « la vie » comme l'aurait dit Kerouac. Juste « devant » pour moi avec tout ce que ce magnifique terme impliquait. Vers quinze heures nous étions pris par un homme d'âge mûr. Un véritable cow-boyqui parlait peu et posait beaucoup de questions. Il nous encourageait à parcourir le monde et je voyais une telle fougue, une telle nostalgie dans son discours que je lui demandait : « -Vous avez déjà voyagé non ? Il sourit en une langue inconnue, probablement celle de la vieillesse. -Oui. Il le faut pour vivre. -C'est tout ce qui compte. -Oui. » Qu'il était impressionnant cet homme au regard d'acier et à la voix de bronze ! Il m'aurait inspiré un roman si j'avais pu boire une nuit avec lui. « -Vous savez où aller après la Bretagne ? -On pensait voir l'Europe puis récupérer mon voilier et partir pour l'Amérique. -L’Ouest ! Voilà où vous devez aller ! Quand vous ne savez pas où aller, il faut toujours aller vers l'Ouest ! » Nous le quittions à Lorient et après l'avoir remercié je l'invitait à boire un verre avec nous : « -Non j'ai trop à voir. -Il y a beaucoup à voir ici, et à boire aussi ! Ajoutait William. -Où est-ce que vous pensez aller ? Demandait Gwen, notre cow-boy de Nantes. -Aucune idée. A l'Ouest ! » Il accéléra précipitamment et nous cria un vif « Yyyyiiiihhhaaa ! » qui résonna à-travers les nuages en ce crépuscule d’Été. Je n'ai encore jamais revu l'Esprit de l'Ouest depuis mais ses mots resteront toujours gravés dans ma mémoire. Je n'ai pas eu le temps pourtant de méditer dessus ce jour-là, ni Gwen d'ailleurs parce que William nous entraînait déjà vers la musique. Nous entrions dans cet immense festival celtique, la terre de Gwen le Breton, un peuple étrange et mystique à la musique envoûtante et à la bière mielleuse. « -C'est vraiment de l'hydromel ? -Oui c'en est ! » Nous jubilions tous les trois, depuis le temps que nous voulions en boire ! La musique était fantastique mais nos esprits embrumés étaient surtout attirés par un groupe de cinq filles qui dansaient en nous regardant. Leurs regards brûlants semblaient inciter à la débauche et nous firent honneur à leur cœur comme si une ancienne croyance bretonne nous l'avait intimé. En réalité je ne me souviens plus vraiment de ce qui suivit excepté que William réussit à coucher avec une des jolies filles et que Gwen et moi non. Nous dansèrent pourtant avec elles, nous bûmes avec elles et nous les firent rire mais malheureusement nous apprîmes que ces demoiselles de vingt-trois ans, nous en avions dix-huit, « ne nous connaissaient pas encore assez », nous ne tarderions pas à apprendre la vraie raison. Alors quand William couchait déjà avec l'une d'elles dans un appartement pas loin et que nous commencions juste à embrasser les deux filles. La mienne s'appelait Marie je crois et était d'un roux flamboyant et naturel tandis que celle de Gwen, je ne me souviens plus de son nom, désolé pour le sexisme mais j'avais bu, était brune et bien plus jolie que Marie. Les deux filles étaient intelligentes et intéressantes et alors que nous les embrassions en dansant, je fus brusquement poussé à terre sur le côté par celui qui s’avérait être son fiancé. Gwen le poussa à son tour mû par les réflexes confondus de l'alcool et des femmes. Il m'aida à me relever et nous nous retrouvâmes très vite engagés dans une violente bagarre que nous perdions à deux contre trois. William nous rejoignant bientôt se mit à frapper de toutes ses forces, il avait beaucoup moins bu et sortait d'une heure de plaisir. Le combat s'égalisa bientôt et lorsqu'il tourna à notre avantage, un des hommes appela les vigiles à son aide. Nous n'avions pas déclenchés la bagarre et nous étions aussi coupables sinon moins qu'eux, mais il s'est avéré que les trois hommes étaient musiciens et nous furent violemment rejetés hors de l'enceinte de la ville. Mais qu'importais ! Nous nous sentions vivants et prêts à tout ! L'éthanol coulait en mes veines et mes paroles déversaient autant de rage de vivre que William de conneries et Gwen de vérités ! Nous étions trois frères parés à la bagarre perdus au milieu de la campagne sans possibilité de sommeil. Notre sang était si échauffé que William eut une brillante idée : « -Allons nager les mecs ! -Yem yem yem ! » répondis-je, enthousiasmé comme peut l'être n'importe quel homme après sa première victoire au combat. Nous déposâmes nos affaires près du lac que nous avions repérés plus tôt et plongeâmes dans un grand bain de joie ! Tout était si sincère, si beau et l'eau si pure. Un lac parmi les collines, le soleil se levant pour tout réchauffer et mes deux meilleurs amis à mes côtés après une soirée enflammée ! Mais le plus beau c'était la liberté. Pas besoin de rentrer chez soi maintenant, aucune conséquence à assumer, aucune responsabilité, juste l'amitié et la liberté. Nous nous sortir de l'eau pour regarder le soleil se lever, bière et cigarette à la main, musique dans les oreilles et l'avenir droit devant nous, que demander de plus ?
J'ai probablement oublié de vous dire que nous écrivions, vous l'aurez sûrement compris en lisant ces lignes, mais vous ne savez pas de quelle façon nous écrivions. Je pense qu'à l'origine tout partait de nos discussions, au bar, chez l'un de nous, dans la rue, complètement bourré, sobre, malade, épuisé, excité, dingue surtout. Nous étions une vrai bande d'intellos New-yorkais sortant tout juste du Lycée et cherchant à décrire les sensations merveilleuses du monde et à colorer nos réminiscences, mais pas à les expliquer. J'étais le L le plus cliché du monde et je pense avoir lancer ce qu'on pourrait appeler notre impulsion créatrice. J'ai toujours écrit, mais c'est sur nos soirées que j'ai vraiment commencé à devenir un véritable écrivain. Et j'ai décidé d'écrire sur eux et je leur ai envoyé mes textes, puis Gwen a écrit et William ensuite. Gwen prenait des notes quand de bonnes idées lui venaient, je n'ai jamais eu ce bon réflexe et j'ai beaucoup oublié, il fallait le voir ce vieux cow-boy à s'escrimer sur son carnet aux moments calmes. Moi j'écrivais en me laissant emporter par l'instant, c'était fantastique, mais j'écrivais peu, alors je me suis forcé à écrire de temps en temps, ou plutôt forcé à m'y mettre parce qu'une fois dedans je ne pouvais plus m'arrêter. J'écris plutôt lentement, pour vous donner une idée je passe en moyenne une heure sur une page quand je la retravaille, une heure pour deux ou trois pages sinon. Je m'emporte et j'exagère beaucoup mais je ressens un tel bonheur quand je trouve les mots justes ! Quant à William, il s'est mis à écrire assez tard, mais si ce que j'écrivais moi ou Gwen était beau et sincère, les textes de William m'ont immédiatement frappé par leur sacré. Malheureusement il a toujours préféré se concentrer sur l'instant et nous le faire comprendre en discutant plutôt que de perdre son temps à écrire : « tenter de restituer la ressemblance de la possibilité de la prétention de ce qu'on a vécu alors que c'est impossible par les mots et qu'on ne peut que le vivre », je ne sais plus si c'est lui ou moi qui disais ça, mais je pense cela autant que lui et pourtant je me dis que si une bribe de sincérité peut arriver jusqu'à l'âme d'un de mes lecteurs un jour et que je brise ainsi l'ultime solipsisme, alors j'aurais tout réussi. J'ai prédis après avoir discuté longuement avec William un jour, l'une des discussions les plus importantes de ma vie, que s'il se mettait sérieusement à l'écriture, il serait le plus grand écrivain au monde.

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Le pariChapitre7 messages | 7 ans

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