Mardi 12 Octobre 1954
Mardi 12 Octobre 1954 - Matin
Après trois longs mois de vacances, nous voici de nouveau sur les bancs de l’école. Les vendanges viennent tout juste de se terminer, les terres sont labourées de frais, les premiers coups de fusil signalent la présence des chasseurs occupés à traquer le gibier. Les matinées sont fraîches déjà et il n’est pas rare que l’aube ne se lève parfois à la limite de la gelée blanche. Il faut se couvrir et les manteaux sont de sortie annonçant un hiver qui promet d’être rude. Les ‘grands’ de la classe de Fin d’Etudes apprennent aujourd’hui une poésie de Lamartine, tirée de ‘‘Milly ou la terre natale’’. Je suis attentif à ce qui se passe dans la rangée de pupitres à côté et j’écoute avec attention les explications de Monsieur Carrier sur la célèbre phrase ‘‘Objets inanimés, avez-vous donc une âme’’.
Je crois bien me souvenir des commentaires badins de mes camarades de classe, lors de la récréation qui suit. Pour eux, seuls les hommes et les animaux ont des âmes, tout le reste n’est que fantaisie et poudre aux yeux. Ce que je dois m’avouer, à ce moment-là, c’est que je suis troublé profondément par cette question de savoir si les choses vivent d’une manière autonome, si elles possèdent un genre de conscience, si elles peuvent réfléchir, ressentir, enfin si on peut définir le statut des objets en dehors de leur pure matérialité, de leur apparente inertie ? Ce que je crois, en réalité, c’est que le monde inanimé vit sa propre vie, à notre insu. Un arbre éprouve-t-il des sentiments ? Un ruisseau qui coule vers l’aval, a-t-il conscience de la durée ? Un artichaut dont on savoure les feuilles, ressent-il de la douleur ? C’est là une de mes préoccupations de ce temps voué aux découvertes de tous ordres. Il s’agit d’apporter une réponse à cette troublants question. Un problème non résolu est toujours source de soucis et de nuits blanches, autant les éviter !
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