‘‘Objets inanimés’’

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‘Objets inanimés’’

   Je conforte mon assise sur le banc de bois. J’examine la salle de classe avec toute l’acuité dont mes jeunes yeux ont le secret. Je suis bien, là, en dehors du monde, en dehors de toute inquiétude. J’aime par-dessus tout la fin de la nuit, les premières lueurs bleues de l’aube. Je ne sais si je me suis endormi mais il me semble que beaucoup de temps a passé depuis que je me suis occupé du poêle, y ai disposé le fagot auquel, tout à l’heure, je mettrai le feu et tous les yeux seront tournés vers les sursauts de la flamme, les crépitements des étincelles. Ce sera l’heure des retrouvailles, l’heure du deuil de la solitude. C’est curieux cette manière de double joie paradoxale qui dit le bonheur de la compagnie, le bonheur aussi de la solitude, leur subite confluence dans le cours d’un mince ruisseau. Je crois que, déjà, je vis l’existence sur le mode de la division, de la césure en même temps que sur celui de la rencontre. Rien n’est jamais tout noir ou tout blanc, toujours les choses s’annoncent dans le gris de la médiation.

   « Oh, Mômignard, qu’attends-tu pour me rejoindre ? »

   Puis un long silence qui a pour effet de glacer mon sang. Oui, à n’en pas douter, quelqu’un a parlé. Il ne s’agit nullement d’une voix familière mais de quelque chose d’étrange, pareil à un paysage inouï dont on ne peut dire le nom ni lui attribuer quelque emplacement.

   « Es-tu sourd, Marmot, je ne veux pas m’égosiller et il faut que tu m’entendes ! »

   Je lève insensiblement la tête. La carte ‘Vidal-Lablache’ est toujours au même endroit avec ses montagnes et ses fleuves qui s’étalent paresseusement. Mon regard glisse sur la forêt du tableau vert que ponctuent quelques traits blancs, quelques jambages, pleins et déliés mi effacés, témoins d’une récente écriture dont la brosse de feutre a supprimé la plupart des signes. Ma vue s’est maintenant portée sur la gravure des ‘‘Misérables’’. Oui, je ne rêve pas, c’est bien l’éléphant de la Place de la Bastille que je vois distinctement avec ses flancs de plâtre que traversent en maints endroits les quadrillages de fer rouillé qui lui servent d’armature. Au milieu d’une crevasse d’ombre, qui est l’ouverture pour entrer dans le ventre du pachyderme, un visage hilare, des cheveux en broussaille, un air narquois en même temps qu’accueillant, je pourrais dire resplendissant.

   « Å la bonne heure, Pierre, je croyais que tu ne voulais pas me voir, que ma présence te dérangeait, à moins que ça soit la carcasse de mon éléphant qui te pose un problème ? »

   Je m’entends répondre avec le naturel qui sied aux situations ordinaires, banales :

   « Mais, Gavroche, comment pourrais-je t’en vouloir, toi qui occupes mes pensées, avec qui je m’endors le plus souvent ? Il faudrait que je sois bien ingrat pour ne pas t’accorder la moindre attention ! »

   « Je me doutais bien », reprend Gavroche, avec le ton enjoué de celui qui sait que la partie est bien engagée et qu’il ne tardera pas à être le vainqueur du jeu qui s’annonce.

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