Chapitre 30

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**** 7.50 lundi 30 mars 1857

Dans la cour, environ 40 personnes, les notables de la ville, les conseillers municipaux, et des curieux venus assister à l'exécution. Et derrière les fenêtres qui donnent sur l'emplacement du châtiment , combien sont-ils à attendre, à scruter les allers et les venues des uns et des autres ? Ben, Adam, Joe et Hoss sont là aussi; Joan est là. Dayve, l'assistance de Roy Coffee monte sur l’échafaud, ajuste la corde de la potence et retourne ensuite dans la prison pour y chercher le condamné. Il ressort avec le shérif, tous deux ont le revolver à la ceinture et l'étoile qui étincelle, le révérend Browne en paletot, avec à ses côtés le condamné à mort. Le cortège monte les seize marches de l’échafaud lentement, avec solennité même. Le révérend prie avec Marchildon qui se place sur la trappe du gibet. Dayve lui lie les bras et les jambes avec des courroies, couvre sa tête d’un bonnet noir et ajuste le nœud coulant de la corde qui lui enserre le cou.

« Dieu toi qui regarde tout, prends pitié de cet homme qui va expier ses fautes. Fais que le Bien triomphe du Mal. » A huit heures deux, Edmond Marchildon meurt.Au moment où le corps bascule lourdement dans le trou béant pratiqué dans le plancher de l'échaufaud, un cri retentit alors que tout le monde s'est tu.

« NON...... »

L'auteur du cri se lance en courant vers la potence; mais quelqu'un a déjà parcouru la distance qui les sépare. Quelqu'un qui déjà a compris.

« calme-toi. »

Celui qui a crié , c'est Corvet et celui qui a couru ; c'est Hoss. Il entoure de ses bras puissants le corps du gamin qui gesticule de douleur et de rage. Hoss l'emmène à part. Éprouvé, ce gamin est en désarroi, en peine, et cherche du réconfort. Et Hoss Cartwright, tout comme son père, sait prendre un bras, une main, offrir une épaule. Seules réponses à donner, celles qui sont les plus propices à l'apaisement. Le fait de reconnaître le chagrin par le toucher et l'attention, crée un climat de confiance. Cette communication tactile, bien que silencieuse, est une aide précieuse pour le jeune garçon désorganisé et ébranlé. Cela lui permet de se sentir soutenu à travers la souffrance. C'est un état de choc , une stupeur incommensurable.

« Rendez-le moi. » Un frisson parcourt l’assistance et, de la rue, où la foule a les yeux rivés sur les poutres du gibet , s’élève un murmure de sympathie. Paul Martin se précipite alors pour constater le décès et soutenir le corps. Dayve coupe la corde , le docteur et Roy, aidés de Ben et d'Adam mettent le corps de Marchildon en bière. La foule se disperse silencieusement.

Ben, suivi de peu par Paul Martin, se fraie un passage et joue un peu des coudes pour rejoindre son fils. C'est un long, un très long regard qu'ils échangent.

***Dans la chambre d'hôtel. Corvet est assis sur son lit. De nombreux sentiments l'habitent , à ce moment: isolement, culpabilité, inquiétude, gêne. Mort, il est mort, cette fois pour de vrai. Pas une mort inventée, pas un scénario germé dans sa tête. Non, mort de la façon la plus effroyable qu'il soit. Ces terribles images ne quitteront jamais son esprit. Mort dans la honte et la vindicte populaire; mort d'avoir donné la mort, deux fois. Cet homme qui a triché, cet homme qui a menti; cet homme qui a assommé ; cet homme qui a poignardé, c'est son père. Son père.

*** dans le couloir

« Quand as-tu su, Hoss ? »demande Ben.

- Au tribunal, quand Marchildon a dit qu'il avait un don pour contrefaire. Tu sais pa , le jour où je suis retourné à Ponderosa , j'ai dû me lancer à la recherche du gamin. En réalité, il était dans la maison. Il a reconnu y être entré sans autorisation, il cherchait un crayon. Il voulait dessiner et son crayon n'avait plus de mine.

- Oh Hoss, je me sens tellement mal; mal pour ce gamin, à cause de ce à quoi il a assisté. Mon dieu, mais qu'avons-nous fait ?

- Pa, comment aurions-nous pu nous douter. Toi aussi tu l'as entendu parler de la mort de son père ? - oui je crois. Enfin, j't'avoue que je sais plus exactement.

- Moi il m'a clairement dit que son père était mort dans une galerie.

- Que dieu lui vienne en aide, maintenant. Pauvre gosse. » répond Ben tristement

***Une semaine plus tard. Lundi 5 avril 1857

-Alors Joan, c'est décidé ?

- Oui, Benjamin. »

Ses malles sont closes; cadenas fermé sur un passé, sur une vie. Elle n'emporte que quelques affaires; et puis ses rêves, ceux envolés, ceux qu'elles conservent encore dans son coeur. Elle a perdu beaucoup; pas tout, mais beaucoup. Elle n'est plus qu'une femme meurtrie. Mais elle n'est pas seule; elle porte en elle une vie; la vie de son enfant; le fruit de son amour pour Henry. Et dire qu'elle avait entendu les femmes de la tribu répéter si souvent que les femmes qui sont enceintes devaient éviter ce qui pourrait les perturber. Joan n'a rien évité, elle a tout affronté, elle a tout subi.

« Me voilà prête à rentrer chez moi, chez les miens. »

« Laissez-moi vous accompagner, m'assurer que vous serez bien accueillie. » lui dit Ben en l'aidant à rassembler ses malles et ses sacs.

« Les choses sont différentes. Le chef a rejoint le pays des braves. Son fils a repris le bâton de parole et la grande parure de son père. Il dirige la tribu avec sagesse. »

- Je ne savais pas que le chef Numaga n'était plus.

- Je l'ai su le jour où je suis retournée à la tribu, quand vous étiez si malade.

- Oh Joan » murmure-t-il en la serrant contre lui. ,

« Chut Benjamin, s'il vous plaît. Ne dîtes rien, ce sera trop difficile. »

- Mais Joan.

- Je sais ce que vous allez me dire; et sachez que je voudrai vous dire les mêmes mots.

-Alors si nous devons nous quitter, que ce soit un au revoir, et pas un adieu. Et permettez que. »

Et prenant le visage de la jeune femme dans ses mains, Ben y dépose un baiser. A l'instant où ses lèvres touchent celles de Joan, le goût amer et salé d'une larme le fait reculer.

« Joan, pourquoi ?

- Je vous aime, Benjamin. Dès le premier jour où vous avez posé vos yeux sur moi, j'ai su que mon coeur allait vous appartenir. J'ai tenté d'oublier, j'ai essayé; Benjamin, mais comment dominer un sentiment, comment faire taire la voix de son coeur ! Cette voix, j'ai réussi à l'endormir quand j'ai rencontré Henry, mais elle n'a jamais cessé de protester dans un coin de mon coeur.

- Oh Joan...ma douce. »

Ben, à ce moment, ne peut s'empêcher de repenser à ce qu'Adam lui avait dit, le soir où ils rentraient de la soirée chez les Dexter. Ainsi Adam avait vu juste; tout comme il avait vu juste, déjà la première fois, en lui faisant comprendre que oui, Joan, allait faire davantage que s'adapter. Dès le début, il avait compris que la jeune blanche chassée de la tribu s'attachait à Ben Cartwright.

Ben tient la jeune femme contre lui, elle s'écarte un peu, il ne veut pas lui lâcher la main. Il la retient encore un peu. Il la ramène près de lui, l'enserre dans ses bras.

« Il vaut mieux que je parte. Je veux me retrancher auprès des miens. Me mettre à l'abri. J'ai eu trop mal; Benjamin. J'ai cru que j'allais être heureuse dans ce nouveau monde; le monde que vous avez ouvert , ce monde que vous m'avez offert.

- Pardon Joan, ce n'est pas la vie que je souhaitais pour vous.

- Vous n'y êtes pour rien, Benjamin. Et sachez qu'à chaque lever de lune; à chaque saison , j'aurai une pensée pour vous; Benjamin. Et dernière chose; Benjamin, occupez-vous de ce jeune garçon. Soyez un second père pour lui. Faîtes avec lui ce que vous avez fait pour moi et pour tant d'autres; soyez un guide.

- Tout ce que vous voudrez; ma chère Joanie. »

*** Ben s'éloigne, le coeur lourd. S'éloigner encore; ne pas se retourner. Surtout ne pas se retourner; se retourner ce serait déjà y retourner. Quand bien même sa peine est grande, il doit la laisser, il doit respecter sa décision. Il est malheureux de laisser la femme qu'il aime. Sur sa peau tannée par le soleil, marquée par les années, une larme coule. Il a vu Joan disparaître dans le tipi des Lunes ; réservé aux femmes. Finalement, il se rend compte que construire des maisons solides comme un roc ne met pas les hommes à l'abri du malheur. Le tipi lui apparaît comme un havre de paix : peau tendu sur 28 bâtons; 28 comme le cycle de la lune. Et 9 pièces de peaux cousues ensemble, comme les neuf mois que dure la grossesse... Joan lui a décrit cette tente de l'attente; les femmes de la tribu veilleront sur elle et l'aideront à l'aube des premières douleurs.

Epilogue

Que la plaine est morne au moment des au revoir. Ses yeux couleur des bois, son front indocile et lisse lui manquent déjà, lui manqueront encore demain et les autres matins. Oh Joan, je ne voulais pas vous voir partir. J'ai aimé tout de suite votre coeur d'enfant, votre visage de femme décidée, votre charme de femme courageuse. Vos colères, vos insultes, votre insoumission …. Je ne vous oublierai pas, Joan.....

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