19 - Jen part 1
Dès que Shawn quitte la suite, je m'effondre sur le canapé, totalement perdue. Je ne sais même pas pourquoi j'ai accepté de sortir avec lui cet après-midi... enfin si, je le sais. La raison se nomme Jayden Miller, ce grand brun au regard ténébreux que je ne dois plus approcher, mais qui me fait monter le rouge aux joues dès que je pense au baiser enflammé qu'il m'a offert hier soir en guise d'adieu. Malgré la douleur entre mes côtes, je peux comprendre qu'il n'ait plus envie de me voir. Je ne sais pas comment je réagirais si je venais à me disputer avec Antonio. Certainement pas mieux que Jay. Je suis même sûre que je ferais tout pour réparer mes erreurs, au même titre que lui. Quitte à perdre quelqu'un qui m'est cher, mais moins que mon meilleur ami.
Je ferme les yeux et revois le visage peiné de Jay avant qu'il ne me quitte pour de bon. Ce sourire triste sur ses lèvres me brise le coeur encore ce matin. J'aurais aimé apprendre à le connaître plus en profondeur et pas seulement sous la couette, parce que là je sais qu'il excelle. Ce que j'ai appris sur lui au cours de notre sortie au restaurant m'a déjà beaucoup plu. Et sa loyauté envers Shawn fait de lui une personne admirable. En deux jours à peine, il a su me réchauffer de l'intérieur. Moi qui me sentais morte depuis deux mois, je me suis à nouveau sentie vivante sous ses regards de braise.
Tout a disparu, avant même que cela ne commence réellement.
Une larme solitaire roule sur ma joue. Seule, tout comme je me sens à cet instant. Je la chasse du revers de la main, énervée de me laisser encore aller à cette faiblesse, et décide d'aller me préparer pour ne pas trop faire attendre mon père.
Ce n'est qu'une fois sous la douche que je repense à la chanson de Shawn. Ses mots restent gravés dans ma mémoire sans que je le désire vraiment. Sa façon de me demander pardon a été très touchante, mais puis-je y croire après tout ce qu'il m'a fait ? Bien qu'il m'en ait expliqué la raison, je ne peux toujours pas admettre tous ses mensonges. Me faisait-il si peu confiance pour ne pas me parler de qui il était et de ce qui le tourmentait ?Je l'aimais tellement qu'il aurait pu être le pire criminel sur Terre, mes sentiments n'auraient en rien changer. Même s'il avait été Satan en personne, j'aurais absous tous ses péchés. À ce moment-là, mon amour pour lui allait au-delà du concevable. Cette passion qui nous unissait m'élevait en permanence sur un nuage, grisée à la manière d'une drogue dure. Le jour où j'en suis redescendue, le sevrage a été brutal, violent même. Impossible que je le laisse me retourner à nouveau le cerveau. Plus maintenant que j'ai appris à vivre sans lui et à le haïr de toutes mes forces. Et encore moins à présent que j'ai rencontré son meilleur ami.
Est-ce que les choses auraient été différentes entre Shawn et moi si j'avais fait la connaissance de Jayden à l'époque ? Je ne crois pas. J'aurais juste su plus tôt qu'il me mentait, mais c'était avec lui que je voulais être et personne n'aurait réussi à me faire dévier de ma trajectoire tant j'en étais amoureuse... enfin presque personne. Wendy Johnson a su m'écarter en un claquement de doigt de ce chemin onirique.
Toutes ces pensées me minent le moral. J'ai intérêt de me reprendre si je ne souhaite pas que mon père s'en rende compte. Il serait capable de me poser un milliard de question et d'obtenir les informations qu'il souhaite. On ne devient pas un requin des affaires sans s'aiguiser les dents au préalable. Avec son faux air innocent et ses sourires charmants, il vous amène toujours là où il désire être. Comme chaque fois, je finirais par me confier à lui, trop faible pour lui résister.
Tandis que je me brosse les dents, je tente de me constituer un masque de façade. Celui qui fera en sorte que mon père ne se rende pas compte que deux de ses clients me retournent l'esprit, bien plus que Pete, qui me semble très loin dans ma vie d'un coup.Shawn Black, mon grand amour et Jayden Miller, celui pour lequel mon cœur semble vouloir battre à nouveau.
Après m'être rincée la bouche, je jette un coup d'oeil au miroir. Mes yeux sont encore légèrement rougis, mais aucune trace de mon chagrin ne devrait subsister une fois que je rejoindrais le restaurant. Je retourne dans la chambre, afin de m'y préparer. Pas question de revêtir n'importe quoi pour ce petit-déjeuner avec le grand PDG des hôtels Hollister, afin ne pas salir notre image. Du moins j'essaie de me convaincre que si j'hésite devant mon armoire c'est pour cette raison. Au fond de moi, la vérité me paraît bien différente. J'ai envie de plaire. Non pas à mon père, mais à Lui. Je veux que Jay ne voit que moi lorsqu'il se rendra au restaurant. Je sais que ça n'apportera rien d'avoir de tels désirs, néanmoins c'est plus fort que moi. Je rêve encore de sa bouche sur la mienne à chaque seconde qui s'écoule et rien que d'y penser un feu ardent s'allume entre mes cuisses. Si seulement, il pouvait venir l'éteindre... Je ne demande pas plus qu'une dernière nuit entre ses bras.
Je finis par dénicher un slim noir qui met mes fesses en valeur et un cache-coeur prune qui relève le vert de mes yeux. Mes escarpins aux pieds, les mêmes que ceux que je portais au cours de la soirée où je l'ai embrassé pour la première fois, j'applique un rouge à lèvres rose et rehausse mes yeux d'un trait d'eye-liner prune. Je relève mes cheveux dans un chignon décoiffé, laissant quelques mèches rebelles embellir cette coiffure. Satisfaite de mon look, pour une fois, je pars rejoindre mon père.
À peine arrivée au restaurant, je remarque de suite le célèbre groupe de métal. Jay et Shawn se toisent durement. Je reste en retrait pour observer la scène, priant de toutes mes forces pour qu'ils parviennent à se retrouver. Jayden souffre beaucoup d'avoir perdu son meilleur ami. En mettant un terme à l'histoire que nous aurions pu vivre, il me l'a fait comprendre. J'inspire un long coup pour chasser cette douleur qui veut noircir mon âme, avant de me faufiler entre les tables pour rejoindre mon père à l'autre bout du restaurant. Après avoir déposé une bise sur sa joue, je prends place sur la chaise face à lui. Dans un geste paternel, il se saisit de mes mains, puis me demande de mes nouvelles.
— Je vais très bien, lui souris-je, même si ce n'est qu'un piètre mensonge.
— Ça me fait plaisir de l'apprendre. Écoute, Jenny, je voulais que tu saches encore une fois que j'étais désolé pour l'autre jour. Je ne sais pas...
Entendre mon père s'excuser à nouveau me plombe un peu plus le moral et je n'en ai pas vraiment besoin à cette heure. Je désire juste passer un agréable moment père-fille et lui annoncer que j'ai l'intention de reprendre mon poste.
— C'est bon, papa, je t'ai déjà dit que je ne t'en voulais pas.
Un petit sourire illumine son visage tandis que je serre sa main. C'est tellement rare de le voir ainsi, que j'ai envie de redevenir une petite fille pour aller me lover dans ses bras et l'écouter me conter une histoire.
— Je pense être prête pour reprendre le travail, lâché-je après un court moment de silence.
Il me jauge, cherchant sûrement à déceler si j'en suis vraiment apte ou non. Quand il réalise que je ne lui ferai pas défaut, ses lèvres s'étirent un peu plus.
— Je suis heureux que mon associée reprenne du service, me déclare-t-il. J'ai, d'ailleurs, une mission...
— Monsieur Hollister. Mademoiselle, nous interrompt April. Que prendrez-vous ce matin ?
Elle attend notre réponse, son carnet et un crayon à la main. Pas une seule fois, elle ne porte son regard sur moi. Si bien que j'ai l'impression d'être transparente. Il vaudrait mieux qu'elle arrête de suite d'agir de la sorte, ça commence sincèrement à me fatiguer. Je n'oublie pas que si Leslie ne me parle plus, c'est par sa faute. Si elle ne lui avait pas montré les vidéos, ma sœur n'aurait jamais su que son idole était mon ex.
— La même chose qu'hier, réponds-je, avec une extrême froideur.
Mon père lève un sourcil broussailleux en signe d'interrogation, avant de passer commande à son tour.
— Un problème avec cette jeune employée ? me questionne-t-il dès qu'elle s'est suffisamment éloignée.
— Un léger accrochage. Rien que je ne puisse gérer seule.
Cette fois, c'est un regard suspicieux auquel j'ai le droit, mais je préfère l'ignorer en reprenant la conversation là où nous l'avions laissée. Il n'a pas besoin de savoir que le groupe qu'il reçoit dans l'un de ses établissements est la cause de cet accrochage, puisque cela m'amènerait à lui en dévoiler beaucoup trop sur ma vie privée, dont mon passé avec leur leader.
Lorsqu'il a appris que j'étais enceinte, il a tenu à rencontrer le père de mon enfant. J'ai été obligée de lui avouer que ce n'était pas possible et, quand bien même je ne lui ai jamais dévoilé son identité, il sait, cependant, que cet homme m'a brisée. Connaissant mon père, il serait bien capable de mettre Shawn à la rue et de lui faire payer d'un gros chèque tout le mal qu'il m'a fait.
Tourné en direction d'April, mon père ne m'a pas vraiment écoutée. Je suis donc dans l'obligation d'insister pour savoir quelle mission il souhaite me confier. En attendant sa réponse, je croise les doigts, dans l'espoir que mon rêve se réalise. Depuis que j'ai intégré notre société, je souhaite prendre le dossier d'implantation d'un nouvel hôtel de A à Z. Pour le moment, aucune nouvelle localisation suggérée par notre personnel n'a été validée par mon associé. Et ça me navre qu'il soit aussi difficile.
— Il semblerait que tu aies des affinités avec le groupe.
J'avale ma salive de travers et tousse immédiatement. Qui lui a dit ça ? J'espère que Leslie n'a pas été le trouver pour lui raconter comment j'ai passé ma première nuit dans cet hôtel. Si jamais elle l'a fait, je ne laisserai pas passer ! Quand j'en aurais fini avec elle, elle ne sera même plus où se mettre.
— Tout va bien, Jen ? s'inquiète-t-il.
— Oui, le rassuré-je, en l'invitant à poursuivre d'un signe de la main.
Il m'observe de ses grands yeux verts, les mêmes que les miens, en me sondant encore une fois. Désabusée, je lève mes prunelles au plafond et pousse un profond soupir.
— Leur manager aimerait que quelqu'un s'occupe des soirées VIP de son groupe durant leur tournée européenne. Elles auront toutes lieux dans l'un de nos hôtels, puisque c'est là qu'ils descendront à chacune de leurs étapes. J'aimerais que tu supervises tout ça pour notre image de marque. Vu que tu t'entends bien avec eux, il sera encore plus aisé pour toi de savoir ce qu'ils désirent exactement. Qu'en penses-tu ?
Le retour d'April avec notre petit-déjeuner me donne le temps de réfléchir à cette proposition. Machinalement, je tourne la tête vers la table du groupe en question. Mon regard s'accroche alors à Jay en pleine conversation avec une jolie blonde, que je n'ai jamais vue jusqu'alors. Une nouvelle cliente sans aucun doute. Vu les sourires qu'il lui lance, il est en train de la draguer. Jayden Miller, le dragueur invétéré dans toute sa splendeur. Devant cette évidence, mon cœur pleure, lui hurle que je suis là, que nous deux, nous pourrions remplir des pages vierges pour créer notre histoire. Je devrais détourner les yeux de cette scène qui me blesse, pourtant, je n'y parviens pas.
J'entends mon père me parler, mais les mots effleurent seulement mes oreilles sans pouvoir atteindre leurs objectifs.
Quand Jay finit par remarquer mes yeux fixés sur lui depuis plusieurs secondes, il tourne la tête vers moi. Son regard happe le mien et à cet instant, il n'y a plus que lui. Que nous. Sous ses légers sourires, mon cœur s'apaise peu à peu. Détendue, je finis par les lui rendre jusqu'à ce qu'il m'ignore de la plus belle des manières en se retournant vers la blonde. Je sais qu'il fait ça pour Shawn, mais ça me blesse, bien plus qu'il ne peut le penser. Bien plus que je ne l'aurais cru possible. Et c'est encore pire, lorsqu'elle griffonne quelque chose sur un bout de serviette en papier, qu'elle lui tend avec un clin d'oeil. Certainement son numéro de chambre. Rien que pour ça, j'ai envie de trouver une excuse pour la mettre à la porte de notre établissement.
J'ai tellement mal, que mon cœur semble vouloir s'enfuir de ma cage thoracique, pour ne plus souffrir de cette vision.
— Jen ! Jenny ! insiste mon père.
Comme sorti d'un cauchemar, je tente de reprendre mes esprits. Très lentement, je tourne la tête vers mon père. Le V un peu trop marqué sur son front m'annonce qu'il s'inquiète vraiment pour moi. Pour camoufler mon trouble, j'attrape un scone. J'en découpe un morceau avec mes doigts, le porte à ma bouche et prend le temps de mâcher.
— Dis-moi ce qu'il y a entre toi et ce Jayden Miller, ma puce.
Quoi ? De quoi il parle ? Et comment il connait son nom ? Je hoquète de stupeur, tant je suis étonnée.
— Qu'est-ce qui t'étonnes le plus, ma chérie : que je sache son nom ou que ton vieux père ait remarqué la façon dont cet homme te regarde ? me questionne-t-il.
Cette fois, j'écarquille carrément les yeux tellement je suis ahurie. Comment a-t-il pu lire ainsi en moi ? La situation commence à devenir un peu trop embarrassante à mon goût.
— Si on pouvait éviter d'en parler, j'apprécierais. En ce qui concerne ta demande....
— Je suppose que c'est non, à cause de ce qu'il se passe entre toi et ce musicien, c'est bien ça ? me coupe-t-il brusquement.
En effet, ma réponse devrait s'apparenter à un non, mais pas en raison de ce qu'il se passe avec Jay, mais plutôt de ce qu'il s'est passé entre son meilleur ami et moi.
— Il n'y a rien entre lui et moi. Et je vais accepter, afin que tu cesses de m'ennuyer avec lui.
Entendre mon père glousser à cet instant me paraît si étrange que je me demande où il a traîné cette nuit.
— Je ne suis pas né de la dernière pluie, ma fille et vu la façon dont il ne cesse de te regarder, je dirais que tu lui plais énormément. Sans compter que j'ai vu à deux reprises la vidéo sur laquelle vous vous embrassiez de façon très...
— Papa ! l'interromps-je en lui donnant un léger coup sur le bras.
Malgré moi, je me tourne en direction de la table où se trouvent Jayden et les autres. Au moment où mes prunelles tombent sur lui, il détourne les siennes. Il articule quelques mots inaudibles de ma place avant de se lever et de quitter le restaurant, sans même un regard vers moi. Tout ça me rend tellement triste. Pourquoi n'ai-je aucune chance avec les hommes ? Shawn, Pete, puis maintenant Jay. Je me demande une nouvelle fois ce qui cloche chez moi.
— Je ne sais pas ce qu'il s'est passé entre cet homme et toi, mais je suis certain qu'il reviendra, tente de me rassurer mon père en me caressant la main avec tendresse.
Je suis vraiment chanceuse d'avoir un tel père, même s'il est très loin de la vérité. Jayden ne reviendra jamais dans ma vie et je ne sais même pas comment je vais faire pour continuer à le côtoyer durant toute leur tournée. J'espère qu'ils n'ont pas prévu trop de dates, cela me permettra de mettre fin à mon calvaire rapidement.
— Combien de temps devrais-je les suivre ? questionné-je mon ascendant.
— Deux mois.
— Pardon ? m'étranglé-je.
J'ai du mal entendre ! Ce n'est pas possible ! Jamais, je ne pourrais tenir deux mois en les voyant tous les jours. Ne pas m'approcher de Jay plus que nécessaire durant tout ce laps de temps risque d'être un véritable enfer, surtout si je suis amenée à devoir lui parler. Et si jamais il se met à embrasser d'autres filles devant moi, serais-je apte à l'encaisser et faire comme si de rien était ? Quant à Shawn, je ne préfère même pas y songer. Si on m'avait tendu un piège, je ne me sentirais pas plus mal.
Complètement paniquée, je renverse ma tasse. Le café brûlant tombe sur moi et m'oblige à me lever d'un bond. Au moment où je renverse ma chaise, les discussions se taisent et toute la clientèle, ainsi que notre personnel portent leurs yeux dans notre direction. J'avise plus particulièrement celui d'April, moqueur, avant de tomber sur celui de Haley, compatissant.
— Quel est le problème, Jeny ? me questionne mon père.
Honteuse de tout ce fracas, je quitte le restaurant d'un pas rapide, la tête repliée entre mes épaules, bien décidée de me faire oublier par tout le personnel, les clients et même mon père
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