Cachée derrière les ados qui nous ont, heureusement, interrompus, je reste rêveuse, caressant mes lèvres du bout des doigts. Ce baiser inespéré m'a totalement retournée. Mon coeur en bat encore la chamade. Je n'en espérais pas moins en venant le retrouver, néanmoins je pensais qu'il n'oserait pas s'adonner à la passion qui nous lie.

Cette semaine, loin de lui, s'est révélé un véritable calvaire. Chaque jour, je me suis battue pour ne pas sauter dans le jet et venir le retrouver. D'autant plus que Shawn m'a dit que tout allait mieux entre eux. Je ne voulais pas, du coup, les séparer de nouveau. Puis, je dois avouer que j'avais peur. Une frousse effroyable de me faire rembarrer comme dans mes pires cauchemars. Chaque fois que j'y songeais, j'ai cru perdre la tête. J'ai donc préféré rester loin de lui, terré dans un petit village tranquille du sud de la France, à essayer de l'oublier comme je le lui avais promis.

Pourtant, quand papa m'a appelée pour me forcer à venir à Lisbonne, me menaçant de me foutre à la porte pour insubordination, je n'ai pas eu d'autres choix que de m'y rendre. Même si je suis son associée depuis des années, il aurait mis ses paroles à exécution si je ne l'avais pas écouté. Je me demande encore qui a bien pu me dénoncer. Leslie ? Je ne crois pas, elle n'est pas au courant du travail que m'a confié notre père. Le manager du groupe ? Ça m'étonnerait qu'il soit encore en contact avec le PDG des hôtels Hollister. C'est donc forcément un employé. Toutefois, je ne pourrais dire lequel, ni même ses motivations. En tout cas, si un jour je tombe sur lui, je lui rappellerai de s'occuper de ses fesses plutôt que des miennes.

— C'est bon, madame, ils ne sont plus en vue, m'annonce l'un des trois ados, le regard posé sur la partie de ma poitrine non dissimulée par mon haut de maillot de bain.

Mécontente, je croise les bras et fronce les sourcils. Il ne manque vraiment pas de culot ce gamin. Ce n'est pas parce qu'ils m'ont sauvé la mise qu'il peut se permettre ce genre de geste. C'est quoi la suite ? Il me pelote ? Il ne manquerait plus que ça ! Ce n'est pas parce que je leur ai promis une tournée qu'il peut se croire tout permis.

— Ça va tu te rinces bien l'œil ? grogné-je.

À peine ai-je prononcé ces mots que l'un de ses amis, un blond, à peine plus grand que moi, lui donne un coup de coude pour attirer son attention. Quand l'autre se penche pour entendre ce que le blondinet a à lui dire, je m'attends à des excuses plus qu'à leurs rires moqueurs.

— Tu ferais mieux de me présenter tes excuses ! m'emporté-je, outrée par leur attitude.

— Je suis désolée, m'dame, mais vous êtes tellement canon que ce serait dommage de ne pas profiter de la vue. Puis, il faut dire qu'avec le gars de tout à l'heure, c'était vraiment chaud bouillant.

Non, mais pour qui il se prend lui ? Ce n'est pas une tournée que je vais lui offrir s'il continue, mais une expulsion de mon hôtel en bonne et due forme. Je le regarde complètement, sidérée.

— J'attends des excuses !

Ma voix est calme, mais mon intonation ne peut que lui laisser comprendre que je ne plaisante pas.

— Sinon quoi ? me demande-t-il sans se démonter.

— Sinon, je te fais virer de cet hôtel.

Il éclate de rire, comme si la situation était des plus comiques.

— Vous savez qui est mon père ?

D'accord, je vois à qui j'ai à faire. Il fait partie de cette catégorie qui se planque derrière son nom pour obtenir tout ce qu'il veut. Ce genre de personnes m'ecœure vraiment. Ils me rappellent trop Wendy Johnson.

— Bien, j'attends, explique-moi qui est ton père !

— C'est le directeur de l'hôtel. Alors, excusez-moi, madame, mais je ne vois pas comment vous pourriez me faire virer.

Il paraît si sûr de lui que je ne peux contenir un léger rire. Voyons s'il garde de sa superbe lorsque je lui dirais qui je suis.

— Vraiment ? Ça tombe bien qu'Eduardo soit ton père, il devrait m'écouter plus facilement.

— Vous connaissez mon père ?

Ses amis éclatent de rire.

— Oui, lui souris-je, énigmatique, avant de m'éloigner en direction de l'échelle.

J'ai à peine mis un pied sur la première marche, qu'il me rappelle.

— Comment vous le connaissez ?

Il semble vraiment stressé que je puisse le connaître. Aurait-il des choses à cacher ? Son père lui aurait-il interdit de venir ici ?

— Je m'appelle Jen Hollister. Je suppose que c'est suffisant pour que tu comprennes qui je suis vraiment.

Avant de finir de grimper l'échelle, je jette un coup d'oeil à l'insolent. Ma réplique a fait mouche. Non seulement, il a perdu de sa splendeur, mais aussi quelques couleurs. À le voir ainsi, n'importe qui pourrait penser qu'il va faire un malaise. Tant mieux ! Il évitera à l'avenir de déshabiller une femme ainsi du regard.

Sans plus lui prêter attention, je me sèche brièvement avant de renouer mon paréo autour de ma poitrine, comme s'il s'agissait d'une robe bustier. Puis sans prêter attention aux traces que mon maillot humide y laisse, je rejoins l'intérieur du bâtiment. Il est hors de question que je laisse passer cette petite effronterie et je suis bien décidée à aller en toucher deux mots à son père. Le connaissant assez bien, pour être descendue plusieurs fois ici, je sais qu'il ne laissera pas passer.

Alors que je me dirige vers l'ascenseur, des voix d'hommes me surprennent. Je constate à cet instant que mon paréo est tout mouillé. La panique me gagne au moment où des pas s'approchent de moi. Si ces mecs sont Shawn et Jay, comment vais-je expliquer au premier pour quelles raisons je me trouve dans cet état ? Si la cage métallique ne s'ouvre pas assez rapidement, Jay et moi risquons d'être grillés, au même titre que des merguez sur un barbecue en plein été. Je trépigne du pied de plus en plus impatiente et me mordille l'ongle du pouce gagnée par l'angoisse.

Plus vite, bon sang !

Un coup d'oeil sur l'écran digital m'annonce qu'il lui reste encore deux étages à descendre. Je croise les doigts dans mon dos, jusqu'au moment où les hommes en question apparaissent dans mon champ de vision. Quel soulagement de voir qu'il s'agit de simples clients ! Les portes métalliques s'ouvrent au même instant, je m'y engouffre sans me précipiter, le plus naturellement du monde.

Une fois au sixième, je me dirige vers ma suite au fond du couloir. Quand je passe devant la chambre de Jayden, voisine à la mienne, j'hésite a y toquer. Je reste quelques secondes le poing en l'air avant de rabaisser mon bras dans sa position initiale. Ce serait une très mauvaise idée de frapper maintenant, alors que je ne suis pas certaine que Shawn ne soit pas avec lui. De toute façon, j'aurais toute l'occasion d'aller le voir puisque nous serons, durant les quatre prochains jours, voisins de palier tandis que les autres membres du groupe se trouvent à l'étage inférieur. Quand j'ai appris, fortuitement, en discutant avec la réceptionniste, qui était le client qui dormirait de l'autre côté de ma cloison, mon cœur a failli me lâcher tant j'étais heureuse et à présent, je frissonne en m'imaginant dormir dans ses bras.

Quelques minutes plus tard, après avoir revêtue une tenue bien plus adéquate, je redescends pour aller trouver Eduardo. Je ne veux plus que ce gosse se promène dans les parages. S'il agissait avec une cliente comme il l'a fait avec moi, il pourrait nuire à la réputations de nos établissements, ce que je ne tolérerai pas. Et mon père encore moins.

Afin de me rendre dans le bureau du directeur de cet hôtel, je suis obligée de passer par le bar. À l'instant même où j'y pénètre, Paola, la barmaid quitte son comptoir pour venir me saluer. Je m'apprête à lui serrer la main quand mon cœur cesse de battre. À quelques tables de là, Shawn et Jay sont en compagnie d'une jolie femme, dont les doigts caressent sans retenue la main et l'avant-bras du bassiste. Après le baiser que nous avons échangé, je croyais qu'il désirait la même chose que moi. Visiblement, je me suis plantée et en beauté. Comment ai-je pu être aussi stupide ? Shawn me volera toujours la vedette. Jamais je ne pourrais m'immiscer dans leur amitié, sauf de bien faire comprendre à mon ex que plus jamais je ne pourrais l'aimer comme avant, mais je ne suis même pas certaine que ça y changera quoi que ce soit.

Ma gorge se noue alors que je continue à regarder cette main se balader sur la peau de l'homme qui me plaît un peu trop. Je me mords la joue pour ne pas crier sur cette pétasse qu'il est à moi. Il n'y aurait rien de tel pour se faire remarquer par toutes les personnes qui se trouvent là. Puis qui sait si Jay ne se moquerait pas de moi, comme les autres ? S'il se laisse ainsi toucher, c'est qu'il n'éprouve rien pour moi, sinon il aurait dégagé cette fille depuis belle lurette.

—Tout va bien, mademoiselle Hollister ? s'inquiète Paola.

Mon malaise n'a pas dû lui échapper. Sans quitter la table des yeux, je hoche la tête. Shawn se retourne, surpris tandis que Jay me fixe avec intensité. Comprenant que tout est de sa faute, il me lance un regard désolé, avant de retirer la main de sa voisine dans un geste sec. Inutile, toutefois, puisque c'est beaucoup trop tard.

— Qu'est-ce que tu fais là ? me demande Shawn qui vient de me rejoindre.

Je me tourne vers lui, un large sourire sur les lèvres. Jayden veut jouer, très bien jouons.

— Un imprévu, lui réponds-je en plongeant mon regard dans le sien. Dis-moi, ça te dit de dîner avec moi ce soir.

Il me sourit, enthousiaste face à cette idée.

— Et comment ! On se retrouve ici ?

— Oui ou tu pourrais venir me chercher dans ma chambre. Elle est au sixième étage, juste à côté de celle de Jay.

Au moment où il lance un regard vers son ami, j'en fais autant pour satisfaire ma curiosité face à mon petit jeu. Jay semble aussi blanc que le drap posé sur mon lit, pourtant quand il voit que nous le regardons, il détourne les yeux vers la jeune femme. Il lui lance ce sourire charmeur qui me fait grave craquer, avant de replacer une mèche derrière son oreille. Je fulmine. Je vais le castrer s'il continue à la séduire sous mes yeux. Je tente de me contenir pour éviter que Shawn le remarque.

— Je pourrais voir avec lui pour échanger nos chambres, si t'en as envie, m'annonce Shawn.

Je hausse les épaules, il est inutile d'aller jusqu'à cet extrême. Puis, maintenant que je viens de lâcher cette info, je ne suis pas certaine que le bassiste ait envie de changer de chambre. À le voir draguer ouvertement, cette femme, je suis presque certaine qu'il va se faire un malin plaisir à la ramener là-haut, pour bien me faire comprendre que je dois passer à autre chose. J'ai vraiment été trop cruche de me laisser aller à ce que je ressens. Et dire qu'il m'a embrassé comme si sa vie en dépendait ! Ce type est pire que Shawn, un véritable comédien, qui maîtrise parfaitement son art.

Malgré la colère ressentie contre Jayden et le dégoût qui me ronge, je prends sur moi pour faire face à Shawn. Je lui lance un sourire séducteur avant de lui demander :

— Tu passes me chercher à dix-neuf heures ? Ça nous laissera le temps de profiter du repas avant que votre soirée commence.

— J'y serai, me sourit-il.

Je me hausse sur la pointe des pieds, pose un doux baiser sur sa joue, tout en regardant Jayden dans les yeux. Ça ne semble pas lui plaire. Tant mieux. Au moins, il comprendra que désormais, je ne me laisserai plus avoir par son côté séducteur. Il vient de me vacciner méchamment.

— À tout à l'heure.

Sous ma voix mielleuse, Shawn sourit à nouveau. Jay semble vouloir notre mort à tous les deux. Ses iris sont si sombres qu'elles se confondent avec ses pupilles. Dédaigneuse, je lui lance un dernier regard, puis je repars en direction du couloir où se trouve les bureaux.

J'ai à peine le temps d'atteindre celui d'Eduardo que quelqu'un m'attrape par le coude et m'oblige à lui faire face. Furieuse, je lève la main, prête à cogner l'enquiquineur. Quand je me rends compte qu'il ne s'agit que de Jay, je la laisse retomber et pose mes poings sur les hanches. Une drôle de lueur traverse ses iris, il semble à la fois triste et fou de colère.

— Tu m'expliques à quoi tu joues ? me demande-t-il sur un ton méprisant.

Un rire jaune quitte ma gorge. Il est sérieux ? C'est à moi de lui fournir une explication ? C'est un comble tout de même ! Ce n'est quand même pas moi qui séduisait cette femme !

— Et toi, ça te prend souvent de draguer une femme juste après en avoir embrassé une autre ?

— Oh, je vois, tu es jalouse !

Et puis quoi encore ? Qu'est-ce qu'il va s'imaginer ? Bon d'accord, peut-être un peu. Mais est-ce une raison de jouer ainsi avec moi ? Était-ce son but, voir comment je réagirais si monsieur emballait une grognasse juste sous mes yeux ?

— Moi, jalouse ? Je ne vois vraiment pas de quoi tu parles !

Pourtant quelque chose dans mon comportement semble me trahir, car il se met à sourire franchement. Mon cœur totalement sous l'emprise de l'ennemi se met à battre comme un fou. Non, mais il va cesser oui ? Jayden est un coureur de jupons, tout ce qu'il cherche c'est à s'amuser. Je me répète ces mots en boucle pour ne pas me laisser une nouvelle fois avoir par sa gueule d'ange.

— Dommage ! J'aurais apprécié que tu le sois. Tu es vraiment belle en colère.

Désabusée, je secoue la tête. Je commence à en avoir marre qu'il se moque de moi. Il est temps d'arrêter ce stupide jeu qui ne nous mènera nulle part. Sans plus attendre, je reprends ma marche en direction du bureau.

— Jenny ?

Il m'appelle avec tant de douceur que j'en frissonne. Et zut ! Il faut que j'évite de ressentir ce genre de choses.

Malgré le trouble qu'il vient de provoquer en moi, je croise les bras sur ma poitrine avant de lui faire face.

— Quoi encore Jayden ?

Il mordille sa lèvre et baisse à plusieurs reprises ses yeux vers le sol, peu à l'aise, semble-t-il. Le silence qu'il laisse planer m'inquiète. J'espère qu'il ne va pas encore me sortir une absurdité plus grosse que lui, qui risque soit de me briser, soit de me faire sortir un peu plus de mes gonds.

— Ne mange pas avec lui, finit-il par lâcher.

J'ai dû mal entendre ! Ce n'est pas possible autrement. Et pourquoi je ne le ferais pas d'abord ? Je fais ce que je veux de ma vie, ce n'est pas lui qui va me dire avec qui je suis en droit de manger ou non. Manquerait plus que ça !

— J'ai dû mal comprendre, tu...

— Tu as très bien compris, me coupe-t-il. Je ne veux pas que tu dînes seul avec lui, ce soir.

— Et pourquoi donc ? Je suis certaine que toi, tu ne vas pas te gêner pour ramener cette fille dans ton lit !

Il éclate de rire.

— C'est bien ce que je dis, tu es jalouse. Et non, je ne la ramènerai pas dans ma chambre. Je ne voudrai pas que ma copine me trucide.

Il glisse une main sur sa nuque et m'observe, les lèvres pincées. Vu sa réaction, il ne doit pas souvent prononce ce genre de choses. On dirait presque un petit garçon, timide.

Ne réalisant pas vraiment ce qu'il vient de me déclarer, je reste pantoise, sans savoir quoi répondre. Vient-il vraiment de me demander d'être officiellement avec lui ? D'un coup, ma colère s'envole. Rien d'autre ne compte que ces deux mots qui m'emmènent sur une autre planète, bien plus belle.

— Ta copine ?

Il s'approche de moi sans me quitter du regard, craignant sûrement que je m'enfuie, puis pose sa main sur ma joue. Sous sa peau rugueuse, mes joues prennent feu et mon rythme cardiaque s'emballe. Mon ventre se réchauffe instantanément sous la chaleur qu'il me transmet. Il sonde un moment mon regard du sien, avant que ses lèvres se relèvent légèrement. Visiblement satisfait de ce qu'il vient d'y découvrir.

— Ouais... enfin si tu veux bien tenter de faire un bout de chemin avec moi.

Traversée par trop d'émotions, je suis incapable de lui répondre. Je hoche simplement la tête, avant de venir poser mes lèvres sur les siennes. Notre baiser plein de tendresse scelle l'engagement que nous venons de conclure. Entre ses bras, je me sens aussi légère qu'une plume. Je profite de l'instant présent jusqu'à ce que le souvenir de notre dernier baiser me revienne en tête.

Dans notre équation, il reste une donnée qui n'a risque se prendre une réelle importance, Shawn. Comment puis-je être certaine qu'il ne me tournera pas le dos dès que son meilleur ami apprendra notre relation ? Comme j'ai besoin de la réponse tout de suite, je mets un terme à notre échange et le repousse légèrement afin de plonger mes yeux dans les siens. Il affiche une drôle de mimique, surprise et doute se lisent sur son beau visage.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Est-ce que... enfin, tu sais, Shawn.

La crainte laisse place à un léger amusement devant mon pragmatisme.

— Je vais faire en sorte qu'il comprenne que je ne laisserai pas tomber. Pour le moment, on va faire comme si de rien n'était, d'accord ? me questionne-t-il en caressant mes lèvres du bout du pouce.

Je hoche la tête.

— D'accord.

Sous son regard plein de tendresse, je me sens terriblement bien. Ça fait si longtemps que je ne me suis pas sentie aussi détendue.

— Je vais devoir y aller. Leo va me tuer sinon.

— Ce serait dommage de perdre déjà mon copain, plaisanté-je.

Il me lance un sourire qui me fait fondre comme la banquise sous le réchauffement climatique, avant de poser un doux baiser sur mon front. Je connaissais Jayden Miller, le dieu du sexe, je suis en train de découvrir une nouvelle facette de sa personnalité, celle du petit-ami doux et attentionné. Ce que je ressens pour lui ne peut qu'aller en s'accroissant. Les battements de mon cœur ne me trompent pas.

Je le suis des yeux tandis qu'il longe le couloir. Après avoir effectué quelques pas, il s'arrête et se retourne vers moi. Une ride d'inquiétude barre son front.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Tu vas vraiment diner avec lui ?

Je lui lance un sourire espiègle, décidément il ne lâchera pas cette histoire.

— Serais-tu jaloux ?

Il secoue la tête, en souriant à son tour.

— Disons que je serais obligé d'étrangler mon frère s'il avait le malheur de te toucher et, franchement, je n'en ai pas trop envie.

Sa jalousie le rend vraiment adorable.

— Je vais lui dire que j'ai changé d'avis pour ce soir, que j'ai plutôt envie de manger avec vous tous, que Haley m'a manquée... enfin, tu vois, je vais trouver une excuse.

Son sourire satisfait s'élargit jusqu'aux oreilles, puis il m'envoie un clin d'oeil. Si Leo et le reste du groupe ne l'attendaient pas, je me jetterai sur lui pour l'embrasser à en perdre la tête. Avec un peu de chance, nous finirions même au sixième étage dans l'une de nos suites.

J'attends qu'il disparaisse de ma vue avant d'aller frapper à la porte du bureau à quelques pas de moi. Malgré cette agréable interlude, je n'ai pas oublié pour quelles raisons je me trouve dans ce couloir. Dès qu'on m'y invite, je pousse le battant et entre dans la pièce. Un homme de taille moyenne, mais à la carrure imposante, me regarde avancer à l'intérieur. Ses sourcils se froncent de surprise. Il ne s'attendait sûrement pas à me voir.

— Mademoiselle Hollister, me salue-t-il d'un signe de tête, avant de se lever pour venir me serrer la main. Bien qu'on m'ait prévenu de votre arrivée, je suis surpris de vous voir si tôt. D'autant plus que votre père m'a dit que vous êtes ici seulement pour la soirée du groupe. Donc, dites-moi que puis-je faire pour vous ?

Il retourne s'asseoir tandis que je pars m'installer dans un des fauteuils en cuir face à lui.

— J'ai eu une petite altercation avec votre fils...

— Mon fils ?

Sa mâchoire crispée et ses doigts noués m'indiquent qu'il ne semble pas avoir l'air d'apprécier que j'aborde ce sujet.

— Qu'a-t-il fait encore ?

Je lui explique l'incident de la piscine, sans omettre le moindre détail quant au comportement déplacé de son enfant.

— Imaginez qu'à ma place se soit une de nos clientes, comment pensez-vous qu'elle aurait réagi ?

— Mal, sans aucun doute. Je vais faire le nécessaire pour qu'il ne mette plus jamais les pieds en demandant à notre service de sécurité de ne plus le laisser entrer. Je vous prie d'excuser son comportement mademoiselle Hollister.

Son regard me prouve qu'il est vraiment désolé pour ce petit accrochage. Je passe l'éponge sans rien ajouter. Il a de la chance que mon père n'ait pas été présent et encore plus que ce ne soit pas Leslie à ma place. Elle aurait sûrement fait un esclandre.

Après lui avoir serré la main en signe d'acceptation, je me lève et quitte la pièce. Un coup d'oeil sur ma montre m'indique que j'ai encore une heure avant que Shawn vienne me chercher. Une boule d'angoisse me noue la gorge au moment où je pense à lui. Je crains sa réaction lorsque je vais lui dire que je refuse que nous mangeons juste lui et moi. Et s'il se doutait de quelque chose ? Avec un peu de malchance, Jay a dû arriver en retard à leur réunion, ce qui n'est pas forcément un bon point pour nous. Les deux faits cumulés pourraient amener mon ex à découvrir la vérité. Deux choix s'offrent à moi, soit je déçois mon copain, en allant manger avec son meilleur ami, soit j'appelle Haley, pour qu'elle me vienne en aide. Je ne sais pas dans quoi je m'engage, pourtant je ne laisserai ma place à personne. Ce que j'ai ressenti durant toute la semaine écoulée m'a fait mal. Beaucoup trop. Je ne veux plus m'éloigner de lui.

Quelques minutes plus tard, après être passée par la réception pour vérifier la chambre qu'occupe Haley et son mari, je frappe à la porte. Les doigts croisés derrière mon dos, je prie pour qu'elle soit bien là et non pas partir balader son fils. Quand elle ouvre enfin, je pousse un profond soupir de soulagement.

— Jen ! Quelle surprise ! Je ne t'attendais que dans deux jours.

Son large sourire me prouve à quel point elle est heureuse de me voir. En même temps, être en permanence avec des hommes ne doit pas être évident tous les jours.

— Oui. Mon père a fini par apprendre que je ne vous suivais pas. Je te jure que le jour où je tomberai sur ma personne qui m'a dénoncée, elle va passer un sale quart d'heures !

Elle pouffe.

— Antonio et moi t'avons dit que ce serait une mauvaise idée. Tu n'as voulu en faire qu'à ta tête, maintenant t'en vois le résultat. En tout cas, je suis super contente de te voir. Vas-y, entre.

Elle se décale un peu pour me laisser passer. Tandis qu'elle part s'asseoir sur le lit, je vais m'assoir sur le magnifique fauteuil style baroque, aux multiples couleurs. Ashton est en train de dormir comme un bienheureux dans son petit lit de voyage. Cet enfant réveille chaque fois mon cœur de maman, qui fond avant de se serrer au souvenir de ma fille.

— Les garçons savent que t'es là ?

— Oui et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je suis passée te voir.

Elle croise les bras sur sa poitrine en faisant mine de se renfrogner. Je sais qu'elle plaisante. Le jour où quelque chose l'offensera les poules auront des dents.

— Sympa ! Bon, dis-moi quel est le problème et avec lequel des deux surtout ?

Mes pensées s'envolent vers le baiser torride que j'ai échangé avec Jay dans la piscine. Sans que je n'y prête attention, je pose mes doigts sur mes lèvres. Haley toussote pour me ramener au temps présent. Prise ennfaute, mes joues s'enflammen,t à tel point qu'elles doivent être aussi rouges qu'une pivoine.

— Bon vu ta réaction, je dirais que tu as partagé un moment plutôt bouillant, mais je meurs d'envie de savoir lequel des deux, même si j'en ai ma petite idée. Viens là et raconte-moi tout.

Elle tapote l'emplacement libre à côté d'elle pour m'inviter à la rejoindre.

Assise en tailleur l'une face à l'autre, je finis par tout lui expliquer, du baiser dans la piscine jusqu'à a la demande de Jay.

— Euh... Attends, je crois que j'ai mal compris ! Tu parles bien de Jayden Miller, le bassiste des Diamond Angels ?

J'opine du chef. Incrédule, elle fronce les sourcils tandis que ses lèvres dessinent une drôle de mimique.

— Et il veut que tu sois sa copine ?

— Oui, soufflé-je, rêveuse.

Folle de joie, Haley frappe ses mains l'une contre l'autre.

— Quand Dan va le savoir, il ne va pas y croire Depuis la fin du lycée, il ne l'a jamais vue dans une relation... Wouah ! Je n'en reviens toujours pas ! Je suis vraiment heureuse pour vous deux.

Oui, je vois ça ! Elle n'arrête pas de s'extasier et de sauter sur le lit. La voir ainsi me fait rire aux éclats.

D'un coup sa bonne humeur retombe et son regard se fait sérieux.

— Mais, attends ! Dernièrement Shawn pensait qu'entre lui et toi, c'était du tout vu. Il nous a même dit qu'il était certain que vous finirez ensemble dès que vous vous reverrez.

— Oui, je sais. Je n'ai pourtant rien fait pour qu'il le pense. La plupart du temps où je l'avais au téléphone, on parlait de leurs soirées pour que je les organise au mieux. Jamais je ne lui ai laissé sous-entendre que j'avais envie de me remettre avec lui.

Son air grave me laisse comprendre qu'elle voit de quoi je parle. Comme elle, je suis navrée que Shawn se fasse encore des films. Même si ma haine à son encontre s'est amoindrie, mes sentiments pour lui ne reviendront jamais tel qu'ils étaient. J'espère que Jay arrivera rapidement à lui faire admettre que lui et moi désirons être ensemble.

— Par contre, j'ai commis une bourde et je ne sais pas quoi faire.

Haley m'interroge du regard, perplexe.

Honteuse de la façon dont j'ai charmé Shawn pour me venger de Jay, je baisse le regard vers mes mains.

— Qu'est-ce que t'as fait ?

— Je lui ai proposé de manger avec moi.

Cette fois, ahurie, elle écarquille les yeux.

— Tu quoi ?

Mal à l'aise, je triture mes ongles, tout en lui expliquant toute l'histoire, ainsi que la réaction de Jayden.

— Au moins l'avantage, c'est que Jay a fini par réagir dans le bon sens.

— Ouais, mais je ne sais pas comment dire à Shawn que je ne veux plus diner avec lui.

Elle pose deux doigts sur son menton, comme si elle réfléchissait de manière intense. Elle jette un coup d'œil sur sa montre, avant de se lever.

— J'ai une idée. La réunion finit dans dix minutes. Va te changer et ensuite, on va aller les attendre à la sortie. Je vais faire un caprice pour que Shawn accepte de nous laisser manger ensemble. Et je peux t'assurer, qu'il ne va pas avoir le choix.

Heureuse, je me lève à mon tour et me jette dans les bras de ma meilleure amie. Elle vient de me sauver la mise.