31 - Jay
Plus que quelques heures à tenir et je pourrais enfin me casser. Supporter la tronche de l'autre connard est devenu invivable. Sans cette putain de pression des producteurs, ça fait longtemps que j'aurais foutu le camps, en disant adios à ce fils de pute. Par sa faute, j'ai tout perdu. Je lui en veux à mort et ce n'est pas prêt de me passer. D'ailleurs, Tim et Tom ne nous ont pas lâchés d'une semelle chaque fois que nous étions à proximité l'un de l'autre. À croire qu'ils ont senti combien je bouillonne à l'intérieur. Qu'on me dise comment faire autrement ? Parce que j'en suis incapable. Malgré mes tentatives pour rester le plus calme possible, je crève d'envie de lui sauter à la gorge chaque fois que je le vois. D'autant plus que, durant le mois qui vient de s'écouler, j'ai tenté à plus d'une reprise de joindre Jen, en vain. Je voulais m'expliquer, lui dire pour quelles raisons je n'ai jamais rencontré mon gosse. Ce n'est pas de ma faute, bordel ! Je n'ai juste pas le droit de m'en approcher. Interdiction formel du juge. Je paie une putain de pension alimentaire pour un mioche dont je ne pourrais jamais voir les traits, même pas en photos.
Si seulement, elle m'écoutait, elle comprendrait, mais elle est trop bornée je crois pour le faire. Elle a ignoré chacun de mes messages sur son foutu répondeur. Pire, elle a laissé dire à Haley qu'elle n'était plus là alors que je savais pertinemment qu'elles passaient la journée ensemble, même au début lorsqu'elles cohabitaient sous le même toit. Faut pas me prendre pour un con, Dan m'informait presque de tous ses déplacements. C'est même lui qui m'a annoncé la semaine dernière que celle dont je suis dingue venait de partir vivre avec un autre mec.
J'ai cru crever ce jour-là, bien qu'il m'ait assuré que ce n'était qu'un ami. Visiblement, il s'agit d'un de ses collaborateurs, son bras droit, celui qui la secondera dans le futur hôtel qu'elle est en train d'implanter dans la ville où je me trouve ce soir. Mais, putain, qu'est-ce que je déteste la savoir proche d'un autre ! Elle est tellement belle qu'il ne va pas falloir longtemps pour qu'il essaie de la foutre dans son plumard. Et rien l'imaginer avec un autre gars me tord les boyaux, au point où j'ai envie de me lever pour planter mon poing dans le foutu mur qui se trouve en face de moi.
J'enfonce mes ongles dans ma paume pour tenter de canaliser cet accès de colère. Ce n'est pas le moment de me bousiller les doigts. Sans eux, je ne pourrais pas offrir une prestation digne de moi à mon public. La dernière. Demain, Leo se chargera d'annoncer sur tous les médias la fin de cette belle aventure.
Est-ce que ça me rend triste ? Ouais, un peu quand même, car ce serait mentir que de dire que je n'ai pas apprécié toutes ces années. Toutefois, Black et moi, ne pourrons plus jamais bosser ensemble. Ce n'est pas les quelques messages qu'il a posté en privé sur mon compte instagram ces derniers jours qui y changeront quoi que ce soit. C'est trop tard. Il pourra s'en vouloir autant qu'il le souhaite, ça n'y changera rien. Notre amitié est de toute façon morte et enterrée depuis la deuxième fois où j'ai couché avec Jen.
Aux souvenirs de cette nuit complètement magique pour moi, mon cœur se serre douloureusement. Ce n'est pas la première fois qu'il le fait. En trente jours, j'aurais dû m'y habituer. Malheureusement, je dois admettre que ce n'est pas le cas. Ça fait toujours aussi mal. Elle me manque tellement. Tout en elle me manque. Son sourire. Son parfum. Sa façon de s'exprimer ou de froncer le nez quand quelque chose la contrarie. Le goût de sa peau sur ma langue et ses formes délicieuses sous mes doigts. Quand je dis tout, c'est vraiment tout de tout. En partant, elle a vraiment laissé un vide sidéral dans mon cœur et mon âme.
Je sais que je devrais passer à autre chose. J'ai tenté à quelques reprises. Les femmes que j'ai ramenées dans ma suite ont très vite été déçues. Moi, le dieu du sexe, je me suis retrouvé incapable de bander devant même la plus jolie des nanas. Jen est la seule capable de faire dresser ma queue. Il suffit que je l'imagine pour me retrouver avec une trique d'enfer. Jen est une putain de drogue dont mon organisme a sacrément du mal à se débarrasser.
Assis sur le sofa de ma loge, je me redresse légèrement pour choper le portable dans la poche arrière de mon fute. En deverouillant l'écran, l'image de mon amour me saute à la gueule. Il est temps que je la change. Ce n'est pas en la voyant tous les jours que je serais foutu de me reconstruire. Mais, merde, Jen me manque atrocement !
Je caresse du bout des doigts son doux visage tandis que mes lèvres s'étirent dans un sourire triste. Mon palpitant me fait comprendre que sans elle son monde est rempli de ténèbres, il me hurle sa rage de l'avoir perdu et de ne pas être capable de la retrouver. J'aimerais tellement qu'elle m'offre une nouvelle chance. Dans le pays des bisounours, ce serait sûrement possible, mais dans ce monde, il n'y a aucune chance. Je ferme les yeux pour tenter de canaliser les larmes qui veulent s'échapper de leur prison. L'une d'elle réussit néanmoins à franchir cette barrière pour s'écouler lentement le long de ma joue. Avant qu'elle atteigne ma bouche, je la chasse d'un revers de la main rageur. Puis, je rouvre les yeux, bien décidé à changer cette putain de photo. Je checke ma galerie d'images jusqu'à trouver une qui me plaise. Un loup noir solitaire aux canines bien apparentes. J'hésite plusieurs secondes avant de l'installer. Un coup de pied au cul mental m'est nécessaire pour franchir ce pas. Fort de ce putain d'élan, j'y vais jusqu'à supprimer toutes les photos de ma belle ensorceleuse de mon smartphone. Plus de trace d'elle nulle part, si ce n'est dans ce foutu cœur qui me crie dessus comme un dératé. Il refuse encore d'admettre que tout est fini et qu'elle ne reviendra jamais. Furieux que j'ai pu effacer toutes traces visibles d'elle.
J'ai mal ! Mal à en crever ! Mal à m'en fracasser la tête contre les murs ! Est-ce qu'un jour cette foutue plaie pourra se refermer ? Personne ne meurt pour un putain de cœur brisé, pourtant moi, j'ai l'impression de ne plus vivre depuis qu'elle s'est barrée. Je l'aime plus que ma propre vie. Je vendrai mon âme au diable pour la serrer fort contre mon palpitant, pour qu'elle entende combien il bat fort pour elle. Pour qu'elle comprenne que je ne veux qu'elle. J'ai cette femme dans le sang et personne ne pourra venir changer cet état de fait. Ce n'est pas parce que je viens de virer ses photos que je peux oublier ce que nous avons vécu.
Rembobine, mon gars ! Ne te laisse pas avoir par tes sentiments ! me lance ma conscience pour que je reprenne le dessus.
Je dois admettre qu'elle a raison, je viens de me laisser avoir comme un gosse par les putains de déchirement de mon coeur. Je suis plus fort que ça, je dois juste me battre encore un peu. Pour effacer totalement ce que je viens d'éprouver, je me lève, me dirige vers le portant sur lequel j'attrape ma tenue de scène : un débardeur large qui finira entre les mains d'une jeune femme totalement hystérique et mon fameux jeans noir déchiré sur une bonne partie de la cuisse. Sans perdre de temps, je les enfile. Comme un putain de narcissique, je contemple mon reflet dans le miroir. J'ai un bon look mais une vraie sale tronche. Mon regard est marqué par toutes mes nuits sans sommeil durant lesquelles je n'ai fait que penser à elle en vidant vodka sur vodka à même le goulot. Mes cheveux ont pris quelques centimètres supplémentaires et tombent sur mes yeux. Ça me donne un air dangereux, mais je m'en tape carrément. Ils peuvent bien me craindre autant qu'ils veulent, ce n'est pas mon problème.
Quelqu'un toque à la porte. C'est le signal. Il est temps que nous montions sur scène. Une fois dans le couloir, je me dirige droit vers notre public, sans même jeter un regard aux deux autres musiciens, ni même à Leo. Je me rappelle des premiers jours après la rupture, ce gars tenait de me montrer son soutien chaque fois qu'il le pouvait. Avant le show, il pressait mon épaule. J'avais la sensation de pouvoir souffler un peu. Depuis plusieurs jours, il ne le fait plus. Je crois que mon attitude renfermée ne lui en donne plus envie.
Quelques secondes plus tard, je glisse la sangle de ma basse sur mon épaule. Ma compagne, celle qui ne m'a jamais lâché. Celle qui ne m'a jamais brisée. Demain, j'irai la ranger avec toutes les autres dans mon studio musique.
Dès que Black a salué notre public, le show commence. Je me laisse transporter par les accords de mon instrument. Je me déconnecte de la réalité et laisse ma souffrance derrière moi. Les femmes hurlent mon nom, pourtant leurs cris ne m'atteignent pas. Je suis devenu froid avec elles. Pire qu'un glaçon. Lors des dernieres séances d'autographes, je n'ai même pas relevé la tête pour leur sourire ou leur demander leur nom. Juste une signature. Un simple geste en mode automatique. Toutes ces conneries ne m'apportent plus rien. Moi qui adorait aller au devant de mes fans, j'ai bien changé. Tout ça à cause d'une femme. Ouais, mais pas n'importe laquelle. La seule et unique. Celle que je désire plus que tout au monde. Celle que j'aime comme un malade. Celle qui m'a laissé entrevoir que la vie pouvait apporter son lot de bonheur.
Et voilà que je pense encore à elle !
Heureusement pour moi, c'est le moment de mon solo. Je dois me concentrer sur ça et seulement dessus pour offrir à mon public le meilleur de moi-même. Je tente de faire le vide dans mon esprit alors que des notes graves surgissent de mon instrument. Peu à peu, je parviens à mon objectif. Je me défonce comme un taré, jouant de plus en plus rapidement. J'interprète le rôle qui m'a été dévolu depuis le début en retirant d'un coup sec mon maillot. Les femmes s'excitent comme des pucelles en chaleur alors que mon corps se recouvre d'une fine pellicule de sueur. Je reprends le solo jusqu'à ce que Black et Dan m'accompagnent.
Les fans se joignent à la voix de notre leader alors qu'il entonne le refrain. Nos chansons sont connus dans le monde entier. Je suis certain que dans quelques années, longtemps après la mort du groupe, elles seront encore reprises dans des soirées étudiantes ou par des jeunes loups solitaires, enfermés dans leur chambre, planqués derrière leurs écrans.
Dès que Black achève notre dernier morceau, la salle en folie nous applaudit. Ça me réchauffe un peu de l'intérieur, même si ça ne pourra jamais faire fondre toute la banquise qui m'entoure. Je lance un signe de la main en direction de notre public, comme à chaque fois, avant d'aller poser ma basse sur son trépied. Le staff se chargera de la rapatrier à bon bord, en l'occurence chez moi. Je ne prends pas la peine de saluer Dan, je ne parle même pas de Black, avant de quitter la scène. Je file me changer dans ma loge, afin de pouvoir rentrer chez moi le plus vite possible. Quand j'en ressors, je tombe nez-à-nez avec Haley. Elle me regarde bizarrement comme si elle ne savait pas trop comment s'y prendre avec moi. C'est la première fois que je la revois depuis que Jen m'a largué.
— Comment tu te sens ? me questionne-t-elle.
Elle aurait mieux fait de me demander comment j'allais, ça aurait été un peu plus subtil de sa part. Un peu plus vague. Là ça me donne l'impression d'avoir écrit en gros sur mon front à quel point je suis perdu sans elle.
Comme cette question ne me plaît pas vraiment, je hausse les épaules. Haley se rapproche de moi, une putain de pitié dans le regard qui me fout la haine. Elle pose sa main sur mon épaule, avant de reprendre la parole.
— Je sais que tu ne vas pas bien. Dan me l'a dit.
— Je t'apprécie beaucoup Haley, mais ce n'est pas ton problème, ok ?
Elle mordille sa lèvre, certainement attristée par ma réponse, avant de hocher la tête.
Sans lui laisser le temps de répliquer, je me casse hors de cette salle de spectacle. À peine ai-je fait un pas à l'extérieur que j'entends la voix de Haley me rappeler. Je me retourne pour voir la femme de mon pote accourir vers moi, un bout de papier tendu dans ma direction. Dès qu'il atterrit dans ma main, j'y jette un œil. Une adresse y a été griffonnée. Un peu décontenancé, je fronce les sourcils en relevant la tête vers mon amie.
— C'est son adresse, m'informe-t-elle.
Je suis encore plus paumé à présent. Pourquoi me la donner ? Qu'est-ce qu'elle veut que j'en fasse ?
Mes interrogations doivent se lire clairement sur ma gueule puisque l'instant suivant, elle me répond :
— Elle va mal aussi. Elle a besoin de toi.
Je hausse les épaules comme si je n'en avais rien à foutre. Pourtant, au fond de moi, c'est tout l'inverse qui se déroule. Mon pouls s'est lancé dans une course folle. D'ailleurs s'il continue, je risque de me retrouver très vite essoufflé, pire que si j'avais couru un semi-marathon.
— Ok, réponds-je simplement avant de m'éloigner en direction d'un taxi qui m'attend.
Je l'ai appelé juste avant de me changer. J'ai eu de la chance qu'un d'entre eux soit disponible à proximité.
Arrivé près de cette caisse de couleur jaune, je me retourne une dernière fois en direction de l'endroit où je laisse mon ancienne vie. Le bâtiment brille sous le soleil de cette fin de journée printanière. Les effluves des arbres me chatouillent agréablement les narines, malgré le relent des pots d'échappement qui m'atteignent également.
J'ai adoré jouer avec vous, les gars. Dire l'inverse serait mentir. Malheureusement la vie n'est pas toujours comme on l'attend. Bonne continuation.
Ce sont mes dernières pensées avant que je m'engouffre dans la bagnole. Je donne mon adresse au chauffeur, avant d'enfoncer mes AirPods dans mes oreilles. Je sélectionne ma playlist consacré au Black Metal, puis pose ma tête contre la vitre. Les rues de Chicago défilent sous mes yeux. Les gens rentrent chez eux, le sourire aux lèvres, des sacs de shopping entre les mains. D'autres plus jeunes traînent aux pieds des immeubles et s'amusent ou discutent avec leurs potes. La vie continue, semble-t-il tous me lancer. Si seulement, c'était aussi simple que ça. Combien d'entre eux ont le cœur brisé ? Je n'en sais rien et le savoir ne changerait rien à ma vie.
Au moment où j'aperçois un couple d'amoureux s'embrasser d'une façon indécente, je ne peux m'empêcher de regarder le bout de papier que je tiens dans la main. Jen… la seule a pouvoir me rendre mon sourire, celui qui m'échappe depuis bien trop de jours. Nous sommes dans la même ville, autant en profiter pour avoir cette putain de discussion qu'elle me refuse. J'espère juste que l'autre ne sera pas là. Aucun désir de voir le type qui risque de me remplacer sous peu. Rien que d'y songer, mon estomac se révulse. Poussé par le désespoir de la perdre à jamais, sans avoir pu combattre, je change mes plans alors que nous nous engageons dans l'avenue où se situe ma maison.
— Emmenez-moi au 501 west Saint Paul avenue, s'il vous plaît.
Le chauffeur me jette un coup d'oeil par-dessus son épaule, comme pour s'assurer que je ne lui sors pas une connerie. D'un signe de tête, je lui confirme mes intentions.
— Une fois, là-bas, j'aimerais que vous m'attendiez.
Cette fois, c'est à travers son rétro qu'il m'observe.
— L'addition risque d'être salé, monsieur, m'informe-t-il.
Un léger sourire se dessine sur mes lèvres, avant que je réplique, un peu hautain :
— J'ai les moyens.
L'endroit où vit Jen ne se trouve pas très loin de chez moi, cependant il nous faut une bonne demi-heure pour y arriver. La faute à un foutu accrochage entre un type en moto et un autre en voiture. Rien de grave, mais les deux se rejetaient la faute, ce qui a entraîné un embouteillage monstre.
Après que le chauffeur se soit garé devant cette petite maison blanche à étage, je reste dans la bagnole à me poser des putains de questions. Acceptera-t-elle de me revoir ? Souhaitera-t-elle discuter avec moi ou préférera-t-elle encore me fuir ? Le courage qui m'a poussé à venir jusqu'ici s'amenuise peu à peu.
— Souhaitez-vous que je vous emmène ailleurs ? finit par me questionner le chauffeur.
Sa voix a le don de me donner la force nécessaire pour sortir de sa caisse. Je traverse la rue sans vraiment regarder si un danger se pointe ou non. De toute façon, aucun risque, mes oreilles m'en auraient alerté. Je pousse un portail, traverse un carré de pelouse en suivant une petite allée gravillonnée, puis grimpe les quelques marches qui mènent jusqu'à la porte. Ce lieu représente tellement Jen par sa simplicité. Rien qu'en évoquant son nom, mon cœur, ce traître, bat d'une manière bien trop énergique.
Je reste, quelques secondes, immobiles, juste le poing levé au-dessus de mon épaule, prêt à frapper. Sauf que la trouille de me retrouver devant elle et de me faire rejeter une nouvelle fois m'empêche d'exécuter mon geste jusqu'au bout. J'inspire un long coup et ferme les yeux. Son beau visage apparaît derrière mes paupières closes. Je dois le faire. Je ne peux que le faire. C'est ma dernière chance !
Un toussotement dans mon dos me fait tourner la tête à l'instant même où je trouve le putain de cran d'aller jusqu'au bout de mon mouvement. Par-dessus mon épaule, je découvre en premier lieu un grand type brun aux yeux bleus, bien plus baraqué que moi. Pourtant je suis loin d'être un gringalet. Dérangé par la présence de ce mec, je finis de me tourner complètement. Ce que je n'aurais pas dû faire. Ça m'aurait évité de trouver le bras de ce connard autour des épaules de la femme de ma vie. Mon putain de cœur tombe à mes pieds, terrassé par cette vision cauchemardesque.
— Jayden ! s'étonne-t-elle, ses magnifiques yeux émeraudes grands ouverts.
On dirait qu'elle a dû mal à réaliser que je suis bien devant elle, en chair et en os.
Son gars nous regarde tour à tour avant de hocher la tête. Il se penche vers elle, puis lui murmure quelque chose à l'oreille, que je ne peux pas capter d'où je suis. En retour, elle lui sourit et se hisse sur la pointe des pieds pour déposer un doux baiser sur la joue de ce… je n'ai même pas de mots pour qualifier ce mec. Tout ce que je vois, c'est mon poing dans sa tronche pour qu'il ne s'en approche plus. Mais, si je fais ça, je peux dire adieu à la discussion que je tiens à avoir avec elle. Elle ne me le pardonnera pas. Tout ce que j'y gagnerai, c'est de la faire fuir un peu plus. Ce que je préfère éviter autant que possible. Alors, plutôt que de me jeter sur lui, je serre les dents et enfonce mes mains dans les poches.
Ce n'est que lorsqu'il me contourne que je me permets de me détendre un peu. Enfin vraiment très peu, parce que le ton employé par Jen pour me demander ce que je fous ici, ne me plaît pas du tout. D'accord, on ne s'est pas quitté sur de bons termes, mais de là à me parler comme si j'étais le putain de coupable de notre rupture, il y a une marge. Dans cette histoire, on est tous les deux fautifs, moi de ne pas avoir parlé plus tôt, elle d'avoir refusé de m'écouter.
— Faut qu'on parle ! lancé-je, grognon.
J'ai vraiment l'air d'un ours mal léché comme ça, mais je m'en fous. De toute façon, vu ce que je viens de voir, la rapidité avec laquelle elle m'a remplacé, je n'ai aucune envie d'être de bonne humeur. Dire que je n'ai même été foutu de bander devant une autre femme. Si j'avais su qu'elle s'éclatait avec un autre, je crois que je ne me serais pas poser de questions. Je ne sais même pas comment le prendre. Est-ce qu'elle avait vraiment des sentiments pour moi ou tout ça n'était qu'une putain de comédie pour se venger de Shawn ? Là, je peux vraiment douter.
Toutes des salopes disait mon père. Il a sûrement raison. Et dire que je me suis mis à douter quand je l'ai rencontré.
— Je pense qu'on s'est déjà tout dit la dernière fois qu'on s'est vu !
— Je ne crois pas !
Elle lève le yeux au ciel, pousse un profond soupir d'exaspération, avant de tenter de me contourner. Comme je n'en ai pas fini avec elle, salope ou non, je l'attrape par le bras et la force à s'arrêter. Je crois que je tire un peu trop fort sur ma prise pour l'emmener face à moi, au vu du léger gémissement qu'elle émet. Pris aussitôt de remord, je la relâche. Je déteste cette foutue jalousie qui vient de me faire faire n'importe quoi.
— Si je n'ai pas répondu à tes appels, il y a une raison, tu ne crois pas, Jayden ?
— Lui ? demandé-je, hargneux, en désignant la porte d'un vague signe de la main.
Le rire qui sort de sa bouche me percute. Ce n'est absolument pas agréable d'entendre qu'on se fout de ma gueule, même venant de sa part. Qu'elle me taquine, aucun souci, je suis prêt à jouer des heures avec elle, mais qu'elle se moque de moi, ouvertement, je déteste ça.
— Je vois que tu es toujours aussi jaloux ! Tu n'as pas trouvé un nouveau jouet pour t'occuper ?
Non, mais elle est sérieuse ? Je tombe des nues en entendant ça. Comment peut-elle me balancer un truc pareil ? Elle n'a jamais été un jouet pour moi et elle le sait. Les sourcils froncés, je l'observe un instant. Une drôle de lueur traverse son regard, un peu comme si m'imaginer dans les bras d'une autre la rebutait.
— En vérité, je ne voulais plus t'entendre pour pouvoir tourner la page, poursuit-elle, effrontée.
Visiblement, elle a plutôt réussi son coup, vu qu'elle m'a déjà remplacé.
— T'as plutôt bien réussi ton coup ! Dis-moi, Jen, il te fait jouir aussi bien que moi ?
Pourquoi je lui sors ça ? J'en ai aucune idée, juste de savoir que ce connard peut la toucher me rend dingue.
Lorsqu'elle croise les bras sur sa poitrine, je capte que je viens de m'aventurer un peu trop loin. Rien qu'à voir son visage se décomposer, je sais qu'elle est à la limite de sortir de ses gonds.
— Ce qu'il y a entre lui et moi ne te regarde pas, Jayden Miller ! Mais bon, si tu veux vraiment le savoir, oui, le Dieu du sexe a été détrôné !
Prends-toi ça dans la gueule, ducon ! Sérieux, tu t'attendais à quoi, à ce qu'elle te réponde que tu es et resteras son meilleur coup à vie ?
— Au cas où tu l'aurais oublié, nous ne sommes plus ensemble, alors fous-moi la paix !
Putain, elle m'énerve de me le rappeler !
— Ouais et la faute à qui ?
Elle écarquille les yeux et j'ai limite l'impression que de la fumée ne va pas tarder à sortir de ses narines, tant elles sont dilatées.
— J'espère que tu te fiches de moi, Miller ! lance-t-elle hors d'elle, en pointant son doigt sur ma poitrine.
— Je ne vois pas comment ça pourrait être le cas. C'est bien toi qui refuse de m'écouter, je me goure ?
Cette discussion commence à me soûler méchamment. Ça nous mènera nulle part, si ce n'est droit dans le décor. Elle ne semble absolument pas disposée à m'écouter et je commence à être épuisé. La tournée, notre rupture, tout ça m'a foutu sur le carreau. Je ne suis pas certain d'avoir encore envie de me battre. Je pensais qu'en lui racontant mon histoire, elle pourrait me pardonner. Là, j'ai plus l'impression d'avoir à faire à une putain de bornée qui ne voudra jamais l'entendre quoi qu'il advienne. La faute à sa sale histoire avec Black !
Dans sa tête, elle doit sûrement nous comparer sans cesse. Est-ce ce dont j'ai envie ? Je me demande si elle a vraiment tourné la page avec mon ex-pote ou bien si toute la haine qu'elle a nourri à son encontre n'a fait que lui voiler la face. Exaspéré par cette putain de situation, je plonge mon regard dans le sien pour tenter d'y trouver une quelconque branche à laquelle me raccrocher afin de ne pas couler sous cette foutue jalousie et cette colère qui me ronge. Elle est tellement fermée que je ne peux pas lire ses émotions dans ses prunelles. Tout le contraire d'avant.
— Tu devrais partir, Jayden.
A travers ses mots calmes et posés, elle me dit une nouvelle fois adieu et ça me brise autant que la première fois. Je redresse la tête, lui jette un dernier regard triste et me casse en direction du taxi. Je souhaite bien du courage à son nouveau gars. Le jour où il comprendra que le moindre pas de travers lui sera fatal, j'espère pour lui qu'il ne sera pas déjà trop accro.
Quelques secondes plus tard, assis à l'intérieur du véhicule jaune, je donne mon adresse au conducteur. Sans perdre de temps, il démarre. Le silence règne dans l'habitacle, le mec à dû sentir que ce n'était pas le moment de me taper la causette. Hagard, je regarde par la vitre sans vraiment capter ce qu'il se passe à l'extérieur. J'entraperçois seulement le changement de décor. Les maisons ont vite laissé la place aux immeubles lorsque nous avons changé de quartier.
Plus nous approchons de chez moi et plus je me demande ce que j'ai été foutre chez Jen. Suis-je maso à ce point ? Souffrir de son absence n'était-elle pas suffisante qu'il a fallu en plus que j'aille me confronter à elle ? Son silence radio était pourtant clair, non ? J'aurais dû n'écouter que ma tête et faire fermer sa gueule à ce connard de cœur. Sans lui, je ne serais pas là à lutter contre ses putains de larmes. Pour ne pas m'écrouler dans cette bagnole, je me mordille douloureusement l'intérieur de la joue. Les mecs ont certes le droit de chialer, mais je préfère le faire seul, loin de tous. Personne n'a besoin de savoir à quel point, je suis effondré. À quel point cette dispute avec elle vient de me flinguer. Une putain de douleur me broit la poitrine alors que je repense à cette foutue discussion. C'est si fort que j'ai du mal à respirer.
Et dire que je voulais juste arranger les choses... Le résultat est loin, même très loin de celui escompté. Au moins, maintenant, je sais que je dois absolument tourner la page. Pourtant à un pâté de maison de ma baraque, je m'en sens incapable. Au fond de moi, je sais que j'ai perdu la femme de ma vie et ça me fait grave chier. Mais comment rectifier le tir ? Je crois que cette fois, c'est mort de chez mort. Je suis peut-être un combattant, mais là je n'ai plus aucun espoir.
Quelques minutes plus tard, après avoir franchi la porte de chez moi, je suis assailli par une odeur plus qu'alléchante venant de la cuisine. Anita a dû me concocter un bon petit plat, comme à son habitude. Même si l'idée de me régaler fait grogner mon estomac, je ne suis pas certain de pouvoir avaler quoi que ce soit avec le nœud qui s'est formé dans ma gorge depuis que j'ai quitté Jen.
J'ai à peine formulé cette pensée qu'une énorme molosse vient se jeter sur moi. Ses soixante-dix kilos me font reculer sous le coup de la surprise. Heureux de retrouver mon clebs, je le serre fort contre moi, puis lui donne quelques coups amicaux sur le flanc. Il me rend ma joie en me débarbouillant le visage de plusieurs coups de langue. Contrairement à ceux que j'ai perdu, lui est là, fidèle à lui-même.
Accroupi devant lui, je continue à le caresser, jusqu'à ce que ma femme à tout faire sorte de ma cuisine pour venir me saluer. Malgré les aléas de la vie, cette cinquantenaire, plus proche des soixante que des cinquante, garde le sourire quoi qu'il arrive. Aujourd'hui n'échappe pas à la règle. Telle une amie de longue date, cette petite brune aux traits marqués par une vie peu paisible, vient me serrer dans ses bras. Son geste affectueux ne me dérange pas, bien au contraire. Depuis que je l'ai engagée, un fort lien s'est tissé entre nous.
— Tu t'es bien installée ? lui demandé-je lorsqu'elle relâche son étreinte.
Depuis quelques jours, elle habite ici. Quand je l'ai appelé la semaine dernière pour lui rappeler la date de mon retour, elle m'a raconté ses déboires amoureux avec son époux. Elle avait besoin d'y voir plus clair et de s'éloigner de lui, mais elle ne savait pas du tout où aller. Alors, je lui ai proposé de venir quelques temps chez moi. De tout façon, ma baraque est suffisamment grande pour accueillir une dizaine de personnes sans aucun souci.
— Oui, très bien, monsieur Miller. Je vous en remercie.
Je fronce les sourcils, un peu mécontent. Depuis des années, je lui répète qu'elle peut me tutoyer et m'appeler par mon prénom, cependant elle s'obstine à me donner du monsieur à tout-va et à me vouvoyer. Ce qui a tendance à m'énerver. Comme à chaque fois, je prends sur moi pour fermer ma grande gueule afin de ne pas la blesser avec une réflexion déplacée. Je n'en ai pas très envie, elle a bien assez de problèmes.
— Je vous ai préparé votre plat préféré, m'annonce-t-elle. J'espère que vous avez faim.
Savoir qu'elle a passé des heures aux fourneaux pour me faire plaisir laisse un léger sourire se dessiner sur mes lèvres. C'est tellement adorable de sa part que je ne me vois pas continuer à tirer la tronche.
— Je vais d'abord aller me doucher et me mettre à l'aise. Je n'en ai pas pour longtemps.
Sans perdre de temps, je monte à l'étage où se situe ma salle de bain. Un vrai petit paradis, dans laquelle j'ai fait installer une immense douche à l'italienne et une magnifique baignoire d'angle. Jen aurait adoré y passer des heures, j'en suis persuadé. Tandis que je me dirige vers le fond du couloir, je ne peux m'empêcher d'imaginer ses réactions si elle était venue vivre ici. L'agencement des pièces lui aurait-elle plu ? Aurait-elle refait la décoration comme je le lui avais proposé ?
La joie de retrouver deux êtres chers quelques secondes plus tôt laisse très vite place à un vide béant. Bien qu'Anita et Diogo ne soient pas loin, je me sens désespérément seul sans la femme que j'aime. Jamais je n'ai ressenti un tel manque depuis le départ de ma mère. J'ai l'impression d'être un sale junkie qui ne peut plus se procurer sa dose. L'enfer ! Et pourtant, il va falloir que je m'y habitue si je ne veux pas me retrouver comme la pire merde qui puisse exister.
Au lieu d'aller dans ma chambre, j'ouvre la porte de la salle de bain. Je me débarrasse de mes fringues en deux temps, trois mouvements et me réfugie sous la douche, persuadé que ses jets arriveront à chasser ce putain de chagrin. Je suis peut-être con, certainement même, d'avoir une telle pensée, néanmoins, je ne sais pas quoi faire d'autre pour me la retirer du crâne, si ce n'est d'aller me le fracasser contre le mur.
Les mains appuyées contre la faïence, je penche légèrement la tête, afin de laisser l'eau s'abattre sur ma nuque. Sa chaleur mêlée à ce massage bienfaisant détendent peu à peu mes muscles. Si au départ, je fais tout pour éviter de fermer les yeux, afin de ne pas voir apparaître ce doux visage qui me hante, ce n'est plus le cas à présent. Et ce que je voulais à tout prix éviter s'invite sous mes paupières. Toute notre histoire se déroule désormais sous mes yeux. De notre rencontre dans cet hôtel Londonnien à la dernière fois où je lui ai fait l'amour.
Elle m'avait dit oui, putain ! Elle devrait être là, sous cette foutue douche avec moi ! Pourquoi ai-je été aussi con ? Pourquoi ne lui ai-je rien dit avant ? Bordel, cette culpabilité va me bouffer ! Furax, mes paumes percutent avec violence le mur. La douleur est atroce, mais ce n'est rien comparé à ce que je ressens à l'intérieur. Je vais finir par en crever !
Ma fureur devient telle que je ne peux plus rester une seconde supplémentaire dans cette pièce. Surtout si je continue à l'imaginer avec moi. J'éteins l'eau dans un geste sec, avant d'ouvrir la paroi avec toute autant de force. Je me sèche à la hâte, file, à poil dans ma chambre, récupère un boxer et un short de sport, que j'enfile à la hâte.
Quelques secondes plus tard, je me retrouve dans la pièce que j'ai aménagé pour pouvoir me défouler. Sans même enfiler mes gants pour me protéger les mains, je me dirige droit sur le sac de frappe accroché au plafond. Je cogne un premier coup, puis un second et encore un troisième. La puissance que j'y mets équivaut à la violence de cette colère et de cette tristesse qui me dévaste. Je cogne encore et toujours, malgré la douleur qui ressort de mes poings. J'imagine la gueule de Black, puis celle de l'autre connard, le nouveau mec de Jen, à la place de ce putain de sac. Mes larmes, retenues depuis trop longtemps, se déversent sur mes joues sans que je puisse les retenir. J'en ai rien à foutre, je veux juste tout défoncer. Je veux juste que ça cesse. Ma tête doit passer seule maître à bord.
— Monsieur Miller ?
Je ne m'arrête même pas au son de cette voix. De toute façon, j'ai l'impression d'être très loin de ce monde. Je continue à frapper aussi fort que possible, malgré les appels de mon nom. Je veux juste tout détruire.
Au bout de plusieurs longues minutes, mes forces s'amenuisent d'elles-mêmes, pourtant je répète mes gestes sans relâche. Je suis encore trop furieux après moi, de ne pas avoir su mettre de côté ma foutue jalousie. Après celui que je considérais comme mon meilleur pote et qui a bousillé ma vie avec une seule putain de phrase. Après elle, la femme dont je suis fou, pour avoir refusé de me laisser une seule chance de m'expliquer. Pour avoir refait sa vie sans même m'avoir écouté.
Épuisé, mes genoux finissent par ployer d'eux-mêmes. Je me retrouve au sol sans vraiment m'en rendre compte. Appuyé sur les mains et les rotules, je répète son nom.
— Jayden !
Quelqu'un m'entraîne avec lui en position assise. Je ne suis même plus conscient de ce que je fais vraiment. La seule chose dont j'ai conscience, c'est que je n'arrive plus à me calmer. Je suis complètement paumé. Pour tenter de me raccrocher à une branche solide, je serre fort le tissu que je sens sous ma main alors que mes pleurs inondent mes joues.
— Tout va bien, monsieur Miller, me lance-t-on d'une voix réconfortante tandis qu'on me berce comme un enfant.
La notion du temps s'efface devant mon chagrin.
Quand je finis par me reprendre, je me dégoûte moi-même de m'être ainsi laissé aller devant mon employée. J'apprécie beaucoup Anita, mais pas au point de me montrer vulnérable devant elle. Sans un mot, je me relève, sous son regard attristé. Je hais qu'on me regarde ainsi. C'est encore plus vraie en ce qui la concerne. Ce n'est pas son job que de me montrer de la compassion. Je sais qu'elle ne me posera pas de questions, même si elle doit crever d'envie de savoir qui m'a mis dans cet état. Elle ne poussera pas le bouchon assez loin pour l'apprendre, elle sait que son rôle ne s'y prête pas. Je pourrais la virer pour une trop grande intrusion dans ma vie privée.
— Tu n'aurais jamais dû entrer dans cette pièce, lui lancé-je sur un ton peu avenant.
Elle baisse la tête, comme si elle était coupable. Pourtant, ce n'est pas de sa faute, c'est seulement la mienne. Je n'aurais pas dû me laisser aller à ce point en sachant qu'elle était présente. Je me retiens, toutefois de le lui dire. Ce qui traverse mon crâne ne regarde que moi.
Sans un mot de plus, je me barre dans ma chambre. Lorsque j'en pousse la porte, je me fais la putain de promesse que plus jamais elle ne me trouvera dans cet état. Et pour ca, je n'ai qu'une chose à faire, suivre ma tête quoi qu'il advienne. Il est temps de redevenir le vrai Jayden Miller, celui qui n'éprouve rien pour les femmes. Celui qui préfère s'éclater en baisant tout ce qui bouge. Je me suis fait ensorcelé, mais tout le monde sait que les sorts peuvent être défaits. Il suffit pour ça que j'enferme mon cœur à double tour dans une cage d'acier.
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