Chapitre 22 - Rétablissement

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Kaldor émergea du vide oppressant. Il réintégra son corps petit à petit, accompagné de l’amère sensation de la douleur. Il ouvrit les yeux avec lenteur et constata qu’il ne se trouvait toujours pas dans la caverne, mais dans une cabine de bateau.

— N’en aurai-je donc jamais terminé avec ces visions ? maugréa-t-il tout haut.

— Il ne s’agissait pas de cela, mon garçon, annonça la voix inquiète de Valdir à sa gauche.

Le jeune homme sursauta et voulut se redresser. Une intense douleur parcourut son buste, il ne put retenir un cri et des étoiles dansèrent devant ses yeux. Il faillit s’évanouir et son mentor vint lui soutenir la tête de justesse pour qu’il ne se cogne pas au lit. Kaldor n’avait jamais eu aussi mal. Il souleva le drap qui le couvrait et constata qu’il était bandé de l’épaule gauche jusqu’au bas ventre.

Lorsque le jeune homme balaya la cabine à nouveau, l’Eldyrien lui expliqua qu’ils se trouvaient sur le navire du capitaine Domot et qu’il avait été inconscient plusieurs jours. Son mentor lui raconta qu’après qu’il eut perdu connaissance, une forte lumière blanche les avait éblouis. Quand ils avaient pu ouvrir les yeux, ils avaient réalisé que cela venait de l’épée Cérim. Celle-ci avait permis aux blessures de Kaldor de se refermer.

— Je n’étais pas au courant de cette capacité, avoua Valdir. Néanmoins, elle ne t’a guéri que de façon partielle, car tu es trop faible et je ne pouvais le faire non plus. Maintenant, il te faut reprendre des forces et je pourrais te soigner. Tu as encore des lésions au niveau des abdominaux et plusieurs côtes fracturées.

— Valdir, pourquoi avoir dit que ce que j’ai vécu lorsque j’étais inconscient, cela n’était pas des visions ? Vous y étiez aussi ? demanda Kaldor, curieux.

— Ce que tu es parvenu à faire, seul un Eldyrien expérimenté comme moi en est capable. Tes pouvoirs se développent vite. Il faudra que je t’apprenne à cloisonner ton esprit pour éviter que tu n’entres dans la tête des gens sans le vouloir. Ou alors, que l’on s’immisce dans la tienne sans que tu le saches, comme tu l’as fait avec ce général.

Kaldor opina et lui demanda ce qu’il pouvait bien y avoir dans les tonneaux. Fallait-il prévenir le patriarche ? Son mentor ferma les yeux et lui annonça avec regret que rien ne pouvait être fait pour empêcher le conflit qui se préparait. Même s’il avertissait Faldin, les renforts arriveraient trop tard. Parfois, il fallait savoir perdre une bataille pour mieux gagner la guerre.

— Valdir, est-ce que vous avez vu quand j’étais dans l’Imaginys avec ma mère Eldyrienne ? questionna le jeune homme.

— Tu étais avec Lapaza ?! s’étonna son mentor. Et le couple royal ?

— Oui, ils ont été emprisonnés dans un labyrinthe par le dieu Tyrnon, qui suivait les ordres de son maître Mastar. Ensemble, nous sommes parvenus à vaincre un monstre et à nous échapper. Comment la retrouver dans l’Imaginys a-t-il été possible alors que je ne la connais pas ?

— Une mère et son enfant partage toujours un lien invisible puissant. Le choc de ta douloureuse blessure et la grande détresse qu’elle a dû ressentir, cela vous a attiré l’un à l’autre comme des aimants. Et comment la rencontre avec ta mère s’est-t-elle passée ? demanda Valdir, curieux.

Le visage de Kaldor afficha un air triste avant de se fermer. Il ne voulait pas en parler. Valdir n’insista pas, respectant le silence de son élève. Il posa une main compréhensive et affectueuse sur son épaule et s’apprêta à partir.

— J’ai un étrange souvenir qui me revient en tête à l’instant. Pourtant il ne me semble pas avoir vécu de troisième « vision ». J’ai une pensée du servombre en mémoire.

— Comme je te l’ai dit, l’on peut s’immiscer dans l’esprit des gens et vice-versa. C’est fort probable qu’il ait lu en toi et qu’en retour tu aies fait de même inconsciemment. Qu'as-tu capté dans sa tête ?

— Il semblerait que notre ennemi ait demandé à ses servombres de chercher une puissante relique. Vous en connaissez d’autres ?

— Non, je ne suis au courant que de celles que nous sommes partis trouver. Je suppose qu’il en a besoin pour accroître son pouvoir. Il se peut qu’il ait peur de toi.

Kaldor en resta dubitatif. Comment un ennemi aussi terrifiant et redoutable pouvait-il être effrayé par lui ?

— Allez, trêve de bavardage. Il est l’heure de dîner et à entendre les sons que produit ton estomac, tu dois avoir une faim de loup.

Le mentor aida l’apprenti à se lever avec prudence et ils se rendirent à petits pas vers la salle à manger. Quand ils entrèrent dans la pièce, les têtes de ses compagnons se tournèrent vers le jeune homme. Il fut ému de voir de si grands sourires illuminer leurs visages. Son appétit grandit tandis que la douleur qu’il ressentait fut peu à peu remplacée par la douce chaleur de ce moment d’amitié.


Deux jours plus tard, après une séance de guérison avec Valdir, Kaldor sortit de sa cabine pour prendre l’air. Le temps plutôt couvert et frais rappelait que l’automne était arrivé. Il pouvait se tenir droit sans que sa blessure le fasse trop souffrir. Il se rendit sur la proue du navire et crut voir une déesse.

Élaëna se tenait là, accoudée au bastingage, vêtue d’une robe blanche. Une douce brise fit flotter ses longs cheveux noirs et un rayon de soleil l’illumina. Elle se retourna et exécuta un sourire plein de fossettes. Le jeune Eldyrien eut l’impression que cœur fondait. Toute souffrance disparue de son esprit.

Il se rapprocha et elle lui sauta au cou en le serrant fort. Elle sentait bon, pas de parfum en particulier, elle sentait juste bon. Il grimaça, car la douleur de sa blessure venait de se réveiller.

— Élaëna, je suis aussi content de te voir, mais là mes côtes risquent de se briser à nouveau, lui rappela-t-il.

Elle s’écarta lentement de lui et le regarda dans les yeux. Il crut qu’il allait se noyer dans son regard, abîme d’un bleu sombre attirant.

— Oh ! C’est vrai, tu es blessé. Tu m’as fichu une sacrée peur, l’autre jour dans la grotte. Tu avais perdu tellement de sang et tu respirais à peine. Je ne veux pas te perdre… Tu es le meilleur ami que je n’ai jamais eu.

— Ne t’inquiète pas, je suis plus coriace que j’en ai l’air, fanfaronna-t-il.

Ils restèrent côte à côte, accoudés au bastingage de la proue, à égarer leur regard dans l’immensité de l’horizon marin. Puis, au bout de quelques minutes, la jeune femme demanda à voir la relique et Kaldor se rendit compte qu’il ne l’avait toujours pas observée en détail. Il remarqua l’avoir ceinte inconsciemment à son côté gauche.

Il s’agissait d’une épée bâtarde. Elle pouvait être utilisée aussi bien à une ou à deux mains, fine et solide, elle était capable de percer les côtes de mailles d’un coup d’estoc. Elle semblait ordinaire, presque aucune fioriture ne venait l’embellir. Les seules décorations visibles étaient : une inscription en Eldyrien dont il ne comprenait qu’un mot signifiant Cérim sur le haut de la lame et un rubis incrusté dans le pommeau de la garde.

Après qu’ils eurent passé tout l’après-midi sur le pont en compagnie de leurs compagnons, un matelot vint les avertir que le dîner était servi. Quand tous furent installés à table, Kaldor remarqua que Valdir n’avait plus l’apparence d’un simple humain, tout comme Domot. Il supposa que ça devait leur faire du bien de relâcher leur concentration un moment.

Après le dîner, qui ne fut composé que de légumes et de fruits, le capitaine Domot leur proposa une petite liqueur de cerise. Valdir demanda alors à son vieil ami quelles étaient les nouvelles du monde.

— Voyons... Les peuples des royaumes de l’Ordre du Temple sont de plus en plus sur les nerfs. La tension d’une guerre imminente et la constante insécurité sur les routes et dans les villes n’arrangent rien.

— Oh oui. Nous l’avons constaté plusieurs fois, pas vrai maître Valdir ? acquiesça Élaëna. Mais nos bons soldats ont toujours repoussé les attaques des brigands.

— Le plus étrange, c’est que cela ne touche pas le Tyrn ou le Gèndar. D’ailleurs, ce dernier s’agite. Les Gèndarks s’amassent non loin de la frontière Valinoise, mais si la guerre éclate, cela ne devrait pas trop poser de problème.

Face au regard étonné de la jeune femme, Domot expliqua que depuis la fondation du royaume de Valin, qui s’était entêté et acharné à ériger une solide muraille le long de leur frontière commune avec le Gèndar.

Le capitaine du navire relata ensuite, dans les grandes lignes, comment ce royaume avait vu le jour. Les Valinois étaient à l’origine un peuple nomade et éleveur de chevaux. Leur territoire se situait à moitié sur les territoires de Muzin et Gèndar. Ils s’étaient révoltés lorsque les dirigeants de ces deux entités leur imposèrent une taxe sur leurs déplacements. Après quelques batailles victorieuses, ils fondèrent leur royaume. Une fois la courte leçon d’histoire terminée, tous partirent se coucher.

Ce soir-là en rentrant dans sa cabine, le jeune homme était d’humeur morose et se sentait coupable de n’avoir pu rien faire pour prévenir les Valinois de ce que préparaient les Gèndarks. Bien que Valdir lui ait signifié qu’il n’y pouvait rien. Il fit plusieurs fois de suite le même cauchemar à répétitions. Il se voyait marcher dans un paysage brumeux et plat. Quand le temps s’éclaircissait, la muraille Valinoise se dévoilait, éventrée et rouge de sang. Tout autour de lui, des dépouilles à perte de vue gisaient dans une herbe sanglante. Dans le ciel tournoyaient des nuages de corbeaux qui louaient de leurs cris ce frugal repas qui leur était offert.

Le jeune Eldyrien sentait alors des larmes couler sur ses joues, rouges du sang des innocents, qu’il n’avait pu sauver en raison son incompétence. Il tombait à genoux, entouré des cadavres qui se relevaient pour l’encercler et maudire le héros de pacotille qu’il était. Puis, les villageois disparus de Boisfeuillus apparaissaient à leur tour pour l’accuser de les avoir trahis et oubliés. Enfin, les corbeaux fondaient sur les morts ne laissant rien d’autre que de la poussière. Il ne restait que Kaldor, terriblement seul. Il se réveillait alors en sursaut, s’asseyait sur sa couchette, ramenait ses jambes contre lui et pleurait en silence.

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