Bientôt, les plaintes et appels pleuvent et le siège de WhatABB se noie sous le mécontentement des gens. Des sonneries de téléphone résonnent sans interruption, plongeant l’entreprise dans un joli désordre. Les gens courent de partout, tapent frénétiquement sur leurs claviers pour prendre en note les motifs des plaintes. Tout le monde est débordé. A la fin de la journée, le patron furieux réunit les chercheurs, scientifiques et l’équipe responsables de la mise en place de la mise à jour dont Camélia fait partie. Il tempête pendant une demi-heure sur le fait que « c’est inadmissible, après tous les tests et vérifications, il est juste impossible que ce soit un tel échec. L'image de la société est réduite à néant et votre incompétence restera dans l'esprit des gens pendant des années. Un tel fiasco pourrait bien signer le déclin de cet empire, ce qui est inconcevable ». Il demande une cinquantaine de fois si la nouvelle version de l’application a bien été examinée sous tous les angles des dizaines de fois et si les quatre responsables de sa mise en place sont bien certains d’avoir tout fait correctement et que tout s’est déroulé absolument comme prévu. Ne recevant que des affirmations, il vitupère un bon moment encore avant qu’un silence s’abatte sur la salle. Camélia en profite pour relever la tête et regarder ses collègues. Tous ont les yeux vers le sol, quelques-uns grimacent. Mais un retient son attention. Il se mord la lèvre, mais son expression ressemble plus à un sourire qu’à une moue dépitée. Elle l’observe avec attention quand il relève la tête. Leurs yeux se croisent et le visage de l’homme devient blême et son sourire, aussi discret soit-il disparaît instantanément. Camélia note ces détails dans un coin de sa tête. Après quelques derniers reproches venimeux, le patron congédie ses employés. Camélia voit Amaury Courtier, puisqu’il se nomme ainsi, s’empresser de sortir, sans un regard derrière lui. Quand la jeune fille passe la porte, il a quitté les environs.

Depuis quelques jours, Camélia trouve des prétextes pour se déplacer dans le siège, dans l’espoir de voir Courtier. Son comportement l’a intriguée et, à moins de détester son chef au plus haut point, il n’avait aucune raison de sourire. Sauf si, comme elle, il souhaite la chute de l’empire WhatABB. Mais ce dernier semble l’évite comme la peste, et elle ne parvient à le coincer dans un ascenseur que cinq jours plus tard, soit une éternité au goût de la jeune fille. Celle-ci s’apprête à monter à son bureau au troisième étage lorsque les portes s’ouvrent sur son collègue qui, lui aussi, monte. Camélia entre et fait mine de se recoiffer dans le miroir qui tapisse l’une des parois de l’ascenseur pour localiser la caméra. En haut, à sa droite. Bien. Elle lui tourne le dos et regarde son collègue.

– Regarde, lui dit-elle, on m’a demandé de te montrer ça. Tu sais, concernant ton travail.

Elle sort son téléphone, tape le mot « morse » sur ses notes et tourne l’écran vers Courtier. Ce dernier la regarde, perplexe. Puis la jeune fille sort de son sac une feuille écrite de sa main depuis la réunion et lui tend en prenant soin de cacher son contenu à la caméra.

– Je dois te donner ça, aussi. Tu y feras bien attention, hein. C’est urgent.

Il la regarde d’un air étrange, n’ayant pas tout saisi.

– Tu verras, déclare simplement Camélia avant de se tourner vers la porte qui s’ouvre sur le troisième étage.

Elle sort. Bon, voilà qui est fait. Le pauvre n’a peut-être rien compris car elle a brodé pour que l’échange ressemble à n’importe quelle discussion entre collègues. Quant à la feuille qu’elle lui a donnée, elle a griffonné un message en morse. Sauf que comme dans l’entreprise, on travaille au codage du binaire, elle a remplacé les points par des zéro et les traits par des barres verticales qui peuvent ressembler à des un. Elle espère vraiment qu’il comprendra. Et si jamais il laisse traîner la feuille, on prendra sûrement ça pour un brouillon sans importance.