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Les nuages noirs reflétaient son humeur. Elle venait de participer à une scène dont elle se serait bien passée. Elle eut un haut-le-coeur rien qu'en y repensant. Elle n'était pas du genre à s'émouvoir facilement. C'était dire à quel point cette séquence avait été atroce. Son front se rida sous l'effet de ses pensées moroses. Il fallait faire quelque chose. N'importe quoi. Sinon, le monde courait à sa perte.
D'un pas alerte, elle se dirigea vers la demeure de sa grand-mère. C'était la seule personne en qui elle pouvait avoir confiance. Son front se déplissa à l'évocation de la femme qui l'avait élevée. Grand-mère Adelheid n'était pas une vieille femme comme les autres. C'était la Hexenbeist la plus puissante des sept royaumes et aussi la plus érudite.
Sa grand-mère vivait à l'écart du village. C'était très courant chez les Wesens qui vivaient en marge de la société. Un jardin d'herbes médicinales, sembant en désordre de prime abord, entouraient la maison en bois. Seul un oeil exercé était capable d'en distinguer les subtilitées. En effet, les plantes et les pierres étaient disposées de manière à créer un sort de protection.
Elle sonda mentalement la maison, et encore une fois les alentours, pour s'assurer que personne d'autre que la propriétaire des lieux n'était dans les parages. Lorsqu'elle en fut certaine, elle s'avança sur le perron. Comme par miracle, la porte s'ouvrit toute seule. Elle poussa un soupir de soulagement. La maisonnée réflétait les humeurs et les souhaits de sa propriétaire. Lorsque la porte ne s'ouvrait pas devant un visiteur, celui-ci devait prendre ses jambes à son cou, sauf s'il souhaitait passer une mauvaise journée. Il ne faisait pas bon de contrarier la redoutable Adelheid.
- Entre Ariane, entendit-elle.
Elle entra dans la pièce principale et serra sa grand-mère dans ses bras, avide de tendresse, comme si elle était encore une petite fille, et non une mère d'un garçon de dix ans.
- Que t-arrive-t-il, ma chérie ?
- Grand-mère, si tu savais ce que je viens de voir.
- Qu'est-ce que Beranger a encore fait ?
- Comment sais-tu....?
- Je sais que c'est une salle vipère, coupa sa grand-mère. Alors, qu'a-t-il fait ?
- Il prévoit de prendre la tête des Alamans avant d'exterminer les humains puis de réduire les survivants en esclavage.
La vielle femme fit la moue.
- Ce sont des élucubrations d'un mégalomane, dit-elle en levant sa main d'un air négligent. Il n'a aucune chance de parvenir à ses fins. Des fous comme lui, il y en a déjà eu, il y en aura toujours.
C'était justement ce que craignait Ariane. Que sa grand-mère ne prenne pas la menace au sérieux. Elle-même n'avait constaté la gravité des faits que deux jours plus tôt. Elle espérait qu'il n'était pas trop tard.
- Cette fois-ci, c'est différent. Il a réussi à créer un groupe structuré qui s'est infiltré dans les plus hautes sphères des sept royaumes, et même des royaumes voisins. Ils se font appelés les crocs rouges. Tu sais que je fais partie du conseil. Je laisse mes oreilles trainer partout où je vais. J'apprend ainsi beaucoup de choses.
Ariane faisait parti du conseil, qui dirigeait le Royaume Alemani, chapeauté par le roi, bien que les femmes n'aient pas habituellement droit aux cercles du pouvoir. Elle savait que sa présence n'était tolérée que parce qu'elle était une Hexenbiest, une sorcière très puissante.
Sa grand-mère alla prendre de la viande séchée. Elle lui en donna une part.
- J'ai l'impression que cette conversation sera longue.
Ariane remercia sa grand-mère puis mordit dans la viande à contrecoeur. Elle n'aimait pas les aliments séchés, ce que sa grand-mère savait parfaitement.
- Ariane, je ne vois vraiment pas pourquoi tu es venue me voir. Si c'est le conseiller du roi qui te pose un problème, tu n'as qu'à couper la tête du serpent. Cela ne devrait pas être difficile avec une femme de ta trempe et avec tes pouvoirs. De plus, les humains sont déjà en esclavage. Dois-je te rappeller qu'ils nous prennent pour des dieux ?
- Sauf que leur situation risque de se dégrader davantage. Tuer Beranger ne résoudrait rien. Un autre prendrait sa place.
- Ah, je vois. Tu t'inquiètes pour ton fils.
A l'évocation de son garçon adoré, elle sentit ses yeux s'embuer. Ariane avait eu un enfant avec un humain. Son fils Alaric n'avait hérité d'aucun pouvoir de sa mère. Il était humain. Cette situation l'avait affaibli au conseil.
- Mon petit enfant, dit-elle en laissant ses larmes couler sur ses joues. Que lui arrivera-t-il quand je ne serai plus là. Malgré mon apparence, je ne rajeunit pas.
- Que proposes-tu alors ?
- Tant que les Wesens auront un avantage, les humains n'auront aucune chance. Je pense qu'il faut rééquilibrer la balance.
En entendant cela, sa grand-mère se leva, furieuse.
- Tu veux nous affaiblir au profit des humains ? Si tu fais cela, ce seront eux qui nous réduiront en esclavage. Ils ne valent pas mieux que nous.
- Grand-mère, rassieds-toi. Je ne suis pas aussi naive. Je te signale que je travaille au côté de Beranger. Je te propose de créer un pont entre nous et les humains. Une personne qui assurera cet équilibre, sans être Wesen ni totalement humain. Un homme qui servira la justice.
La lumière se fit dans l'esprit d'Adelheid.
- Ne me dis pas que tu penses à Alaric ?
- Il est la personne parfaite pour ce genre de mission. Il est né d'une Hexenbiest et d'un humain.
- Alaric est trop jeune. Il est maladif. Il ne pourrait rien faire.
- C'est pour cela que je veux améliorer ses capacités.
A ces mots, sa grand-mère pâlit.
- As-tu perdu l'esprit ? Tu veux faire des expérimentations sur ton propre enfant ?
- T'inquiètes pas. J'ai longuement réfléchi. Je veux rendre mon fils plus fort. Je pourrais ainsi quitter ce monde en paix.
Adelheid lui prit les mains.
- Tu es jeune. Tu as encore la vie devant toi. Pourquoi parles-tu ainsi ? On va régler le cas de Beranger et de ses sbires et le problème sera réglé.
- Je veux que mon fils soit en mesure de se défendre face à n'importe quel Wesen. J'ai tellement d'ennemis ! Je ne serai pas toujours là pour le défendre.
Ariane se tourna vers sa grand-mère.
- Je n'y arriverai pas toute seule. S'il te plaît, il faut que tu m'aides.
Adelheid prit le temps de réfléchir. Sa petite fille resta silencieuse. Ella savait que sa grand-mère ne prenait une décision qu'après avoir mûrement réfléchi. Après ce qui lui parut une éternité, elle lui sourit. Ariane sentit son coeur se gonfler de joie, malgré son anxiété. Son fils avait une chance de renaitre plus fort qu'avant.
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