Liberté et café tiédasse
Jeanne et Serge étaient attablés au Café du Coin, un endroit où le café a le goût de l’amertume et où le serveur semble en pleine reconversion vers une carrière de statue. Autour d’eux, la vie continuait, mais eux, ils allaient refaire le monde… encore une fois.
- Bon, Serge, faut que je te dise, j’ai eu une illumination, déclara Jeanne en remuant son café d’un air grave.
- Ça sent encore ton délire existentiel, ça… Vas-y, balance, qu’on en finisse.
- On n'est pas libres, en fait.
Serge haussa un sourcil.
- Attends, c’est ça ton grand scoop ? Jeanne, même mon poisson rouge l’a compris, et lui, il tourne en rond dans un bocal sans râler.
Elle ignora la pique et continua :
- Non mais sérieux, regarde. On nous bassine avec la liberté, mais au final, tout est cadré. Travail, impôts, règles à la con… On suit tous un chemin bien tracé, et si tu dévies, t’es catalogué comme marginal ou pire, influenceur sur TikTok.
Serge prit une gorgée de son café et grimaça.
- Mouais… Enfin, t’as quand même la liberté de commander autre chose qu’un jus de chaussette. C’est déjà ça.
Elle secoua la tête.
- Tu vois, c’est ça le piège. On a l’impression de choisir, mais en vrai, on suit juste un courant qu’on n’a même pas décidé. Genre, pourquoi on bosse cinq jours sur sept ? Qui a décidé ça ? Pourquoi ça serait pas l’inverse, genre on bosse deux jours et on profite cinq ?
Serge éclata de rire.
- Parce que sinon, personne bosserait et on finirait tous par manger des pâtes sans sauce.
Jeanne soupira et posa son coude sur la table.
- Peut-être… Mais en attendant, on passe notre temps à lutter contre la privation. Manque d’argent, manque de temps, manque de sommeil… Tu trouves ça normal, toi ? Serge haussa les épaules.
- C’est la vie, Jeanne. On peut pas tout avoir. À un moment, faut choisir ses batailles.
Elle fit la moue.
- Ouais, ben justement, moi je choisis la bataille du canapé et des siestes.
Serge sourit.
- Dans ce cas, t’as trouvé ta liberté !
Elle hésita.
- Je sais pas… J'suis mitigée. J’ai envie de tout envoyer balader, mais en même temps, j’aime bien mon petit confort. Peut-être que c’est ça, le doute... Entre l’envie de tout changer et la peur de perdre ce qu’on a.
Serge hocha la tête.
- Voilà. On est tous comme ça. Un coup on veut l’aventure, un coup on veut Netflix et un plaid. C’est humain.
Jeanne leva sa tasse.
- Allez, trinquons à notre servitude joyeuse.
Ils trinquèrent et burent leur café tiédasse. La révolution attendra.
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