Les pluies de Castamere
Mes doigts glissent sur la tranche du livre alors que je me laisse tomber sur le canapé. Sur la couverture une jeune femme aux cheveux argentés à la silhouette avantageuse, assise sur un trône. Ce qui retient mon attention, c'est plutôt l'énorme dragon qui de son cou entoure sa maîtresse. Dans ses yeux, je lis une lueur moqueuse comme s'il détenait un secret que je ne connaissais pas.
- Qu'est-ce que tu me veux, toi ? Ronchonnai-je en suivant le contour de ses longues ailes du bout de l'index.
Du coin de l'oeil j'ai l'impression de voir la tête du dragon bouger. Je fronce les sourcils tandis que son oeil plein de malice m'observe. Soudain, ses lèvres s'étirent en un rictus et la jeune femme m'adresse un clin d'oeil.
Lorsque je relève la tête, je mainque de tomber dans les pommes. Mon salon a totalement disparu ! Où est mon canapé, mes coussins et mon crétin de lapin qui me regardait comme si j'étais une carotte géante ? La pièce est sombre malgré les nombreuses bougies parsemées à droite à gauche. Autre détail beaucoup plus important que la luminosité : la foule. Des gens que je ne connais ni d'Adam ni d'Eve qui rient, boivent dont un qui me met la main au cul !
- Va te faire voir, bouffon. Je sais que j'ai un beau postérieur mais un minimum de tenue est exigé.
Ses fines lèvres s'étirent sur une rangée de dents jaunes et noires. Son haleine sent l'oeuf pourri et me noue la gorge. Depuis combien de temps n'avait-il pas vu de brosse à dent celui-là ?
- Elle dit quelque chose la petite gueuse ?
- Elle veut la bagatelle, cria un autre.
Avec les verres qui teintent, je n'entends que la moitié des lettres.
- Une baguette ? Non merci. J'ai déjà mangé mon pain au nutella ce matin.
L'homme me regarde comme si deux cornes me sortent de la tête.
-Vous connaissez pas le nutella ? Super bon, super calorique, super polluant. Non ? Bon sang, je suis tombée où, moi ?
Cette dernière interrogation est le fond de mes pensées révélé à voix haute mais l'Edenté me repond tout de même.
-Ne fais pas ta pute. Va apporter le vin à Edmure Tully.
J'ai l'impression de chuter de plusieurs étages et de me fracasser le crâne contre un camion. Je remarque également que dans mes mains, ce n'est pas un livre que je tiens mais une crûche avec un arôme qui confirme ce que me raconte l'Edenté.
- Ed... Edmure Tully ? Bégayai-je en serrant si fermement les doigts autour des anses que mes phalanges blanchissent. Le fils de lord Holster Tully de Vivesaigues ?
- Tu veux qu'ils vivent où, les Tully ? A Winterfell chez les Stark ? Ils vont se geler le kiki là-bas. Ce serait pas une mauvais chose en fin de compte qu'il n'y ait plus de truites. J'aime pas la poiscaille.
- C'est parce que t'en as jamais bouffé de la bonne, mon couillon ! Mais ça va peut-être s'arranger...
-On n'est pas à Vivesaigues ? Je reprends d'une petite voix.
Je sais très bien où je suis mais je n'ai aucune envie de le dire à haute voix. Ca rendrait les choses trop... Réelles.
- Mais tu viens d'où, toi ? T'as l'air encore plus bête que Walder le Noir, et pourtant c'est pas une lumière. N'est-ce pas Walder ?
Un autre homme souleva sa chope pour confirmer ses dires.
- T'es chez les Frey, aux Jumeaux. Au mariage d'Edmure Tully et de Roslinn Frey.
Hein ? Fut ma première pensée. La deuxième : nom d'une pipe ! J'ai attéri aux Noces Pourpres. La troisième - et la plus éclairé à mon avis- quelqu'un aurait un marteau ? Peut-être qu'un coup sur la cafetière me ramenerait dans mon salon.
Une pression sur mon dos me fait tituber et je me retrouve au milieu de la salle, toujours avec ma carafe à la main. Après un coup d'oeil circulaire, je repère Catelyn Stark non loin d'un jeune homme. Je devine aussitôt qu'il s'agit de Robb Stark grâce à l'auburn de leurs cheveux.
-Hé ! Toi !
Le cri vient d'en haut. Ma tête pivote d'elle-même pour rencontrer Edmure Tully. Je baisse les yeux, ignorant comme réagir.
-Oui, la petite brune.
Ah non, ce n'est pas moi. Pourtant, il continue de me fixer. J'attrape une mèche de mes cheveux. Ils sont foncés. Oubliée ma magnifique crinière couleur Lannister ! Ma peau est plus mate aussi.
-Mon frère ne va pas te manger.
C'est Catelyn Stark. D'un geste, elle m'invite à m'approcher. La série ne lui rend pas honneur. Je la trouve magnifique malgré les quelques ridules qui encadrent sa bouche et ses yeux. Porte-t-elle encore le deuil de son mari ?
-Partez.
C'est ma seule réponse. Je suis la seule qui connaisse la véritable issue de ce mariage.
-Pourquoi ?
-Ce mariage n'en n'est pas un. C'est un massacre. Partez avec votre fils tant que vous le pouvez encore. Sauvez votre roi.
Elle retient un sourire tandis que mon coeur s'affole. Je vois Walder Frey qui se lève.
-Partez.
Je sais qu'elle ne va pas m'écouter. Et tant mieux. L'avenir du trône de fer doit rester tel qu'il est écrit dans les livres. Pourtant je ne peux m'empêcher de regarder autour de moi en me demandant quand les pluies de Castamere vont enfin résonner dans la grande salle. C'est la chanson que je préfère dans la série.
Je n'ai qu'une envie : faire demi-tour. De nombreuses personnes m'entourent, des Frey pour la plupart. Ils se dirigent vers les portes. L'archet gratte les premiers accords. Catelyn Stark m'observe du coin de l'oeil. Le grincement des chaines me fait froid dans le dos et ce n'est pas ma ridicule tenue qui va m'aider. Je suis habillée comme une pute. Servante dans un premier temps, objet sexuel ensuite.
Ca y est. La scène commence. Je parviens par miracle à m'extraire du cercle. Bon d'accord, j'ai lancé ma carafe à la tête d'un type qui tentait de me retenir. Je me planque sous une table éloignée, là où personne ne peut me voir. Robb se fait poignarder sous les yeux de sa mère. Elle crie et je me pelotonne dans l'ombre. Puis c'est au tour de Catelyn Stark de mourir. Je songe à son cadavre qu'ils vont violer une dizaine fois avant de le jeter dans la rivière. Traitre et nécrophile. Et après, ils se plaignent que personne ne les aiment ?
Je profite de cet instant pour m'éclipser. Ces crétins de Frey ont rouvert les portes. Dehors, c'est un carnage. Les hommes violent les femmes, traînent Vent Gris au sol. Ils lui coupent la tête tandis que des gouttes de sang éclaboussent le tapis de feuilles mortes. Le vent froid plante ses dents dans ma chair. Un Frey me saisit à la taille, arrache ma jupe pour dévoiler ma nudité. Heureusement, je me souviens des cours d'auto-défense que le lycée nous avait une fois proposés même si cette période remonte maintenant. Je me jette en avant, les pouces brandis (Je sais que j'ai l'air d'un crabe et alors ?) et enfonce mes doigts dans ses yeux. Un liquide poisseux imbibe mes mains.
-Sale chienne !
Je pivote sur mes talons et une lance s'enfonce dans mon ventre. Mon corps se courbe en deux tandis qu'une douleur indicible s'étend par vagues. Je hoquette et avant qu'un voile noir ne couvre mes yeux, je voie le visage de mon meurtrier. Ses lèvres sont étirés et il me fait un clin d'oeil.
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