Les années "n'importe quoi"
Il y a eu les années soixantes et il y eut les années quatre-vingts.
Tous les prétextes étaient bons pour se murger le museau et batifoler sous les sapins (je recommande pas : ça pique).
Les villages ici, il y en a treize, ça porte pas malheur mais on peut quand même compter quelques bosses, trous dans le coeur et même des morts !
Tous les samedis soirs, en été, une salle des fêtes était prise d'assaut -chaque village en a une- et toutes les fêtes ont une excuse : fonds pour l'association des vieux, de la salle des sports, rénovation de l'église, complément de financement des espaces verts, fête du vin nouveau, de la bière, anniversaires, tous les mârick, conscrits, fêtes de Noël, fêtes du printemps, Saint-Jean, Décibulles, mariages, les arts...
Honnêtement, je ne me souviens pas trop des samedis soirs de ces années-là, des préparatifs certes, mais après vingt et une heures trente, c'est un peu flou.
À l'époque je n'avais pas encore Ficelle, mon balai, mais une mob, une 103 à refroidissement liquide, s'il vous plaît ; on m'avait dit ça ou le permis...
Ils auraient mieux fait de me faire passer le permis.
Évitez cette pernicieuse proposition à vos gosses. On a visité des champs de patates, avec potes sur le porte-bagage, on a grillé des stops, on s'est pris quelques gamelles, mais on a toujours sauvé les bouteilles. On m'a vu rentrer moitié endormie ; c'était pas grave, la mobylette connaissait le chemin du retour sauf qu'elle zigzaguait et que son phare éclairait les étoiles (on s'était pris un arbre qui avait traversé sans regarder ! ).
Du coup, les mobiles emmenaient les immobiles et on finissait tous en tas dans l'un ou l'autre... baloche. Le verre coûtait pas plus cher qu'un mégot. On buvait tous, on fumait tous.
Et ça finissait en roulage de patins à peu près dans tous les coins horizontaux autour de la salle des fêtes... Même sous les sapins !!!
Je crois que tout le monde a testé tout le monde et heureusement, personne n'était malade ça aurait été une hécatombe. Et il n'y a même pas eu de grossesse improvisée.
C'était insouciant, débonaire, gouailleur et inconscient.
Le lundi on reprenait les cours en mode, mais non il ne s'est rien passé... Sauf que les couples avaient fait une ronde et que Machine était avec Bidule, qui lui même venait de casser avec Truc.
Les années lycées ? Du grand n'importe quoi, avec n'importe qui et n'importe où. C'était tellement admis qu'on ne se disait pas bonjour par une bise mais par un smack (pour les plus jeunes, un baiser léger sur la bouche). Les pétards se sont invités en terminale ça calme.
Pour le coup, on devenait plus love and peace que sapins....
Et puis un jour, on arrête les conneries, la plupart savait avec qui ils voulaient être, même s'ils testaient encore ici ou là pour goûter...
Mais si du haut de ma cinquantaine, ces vagues souvenirs m'amusent encore, c'était pas toujours drôle. J'ai appris le cynisme, l'hypocrisie, la trahison, le mensonge et parfois la méchanceté. Je n'ai transformé aucun de ces essais en but.
Je suis allée les chercher ailleurs des raisons d'aimer. Dans un train, dans un autre pays, dans une autre dimension (oui, lui il a décollé). Et puis il y en a un qui m'a collé au coeur longtemps, j'ai pas pu l'attraper. Il est devenu très con en vieillissant, pas de regret.
Et au final, je vais vous dire un truc, à y regarder de près on est pas si mal sans un autre, infligé par les pressions sociales, ou les peurs ataviques.
Aujourd'hui, finis les baloches. Il y en a encore animés surtout par des gens déjà en bacs (à fleur) ou des gamins. Les jeunes eux, suivent leurs applications avec application, mélangeant les goûts, les genres, les couleurs et souvent ils n'ont pas l'intention de "fonder" une famille avant trèèès longtemps, et ça dépendra de la grimace du ciel. Sauf ma fille, elle a les gosses et le chéri, c'est de ma faute, je ne lui ai pas bien expliqué.
Ils continuent quand même à perpétuer les années quatre-vingts quand Décibulles revient, la dernière fête des bosses, des trous dans le coeur et même des morts...
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