Chapitre 5 : Tec - Partie 1
Je n’avais aucune idée de l’identité du tueur du chalet. Du moins, j’avais un doute, bien particulier, si particulier que je n’y croyais pas moi-même. Je me refusais de le croire, parce que si tel était le cas, cela me mettrait dans une merde pas possible. Cela serait gros, trop gros. Genre énorme. Et je priais pour que j’aie tort. Mais il fallait l’avouer, j’avais toujours raison. À mon plus grand désarroi. Parce que pour le coup, je vous jure que cela ne m’arrangeait guère. Car selon moi, l’assassin se trouvait dans notre chalet.
Calmons-nous et reprenons à zéro. Depuis l’instant où Theia m’avait partagé les photos de la famille réunie au complet, souriante et heureuse, avec des marques sur les mains de Juliette, je compris. J’avais été attiré par ces égratignures, comme nous quatre, certes, mais juste au-dessus se trouvait un bracelet, le bracelet. Il était une délicate œuvre d'artisanat, tissée avec soin dans un fin équilibre entre simplicité et élégance. Il se composait de petites perles lisses en argent, doucement polies pour refléter la lumière avec subtilité. Chaque perle était minutieusement espacée par de délicats anneaux, créant ainsi une symétrie parfaite. Les nuances chatoyantes de l'argent brillaient légèrement à la lumière, conférant au bracelet une touche d'éclat discrète. À son centre, une petite breloque en forme de cœur, également en argent. Le cœur était finement ciselé avec des détails délicats, donnant l'impression qu'il battait avec émotion à chaque mouvement. Le bracelet était monté sur un fil solide et souple, offrant un port confortable autour du poignet. Une chaînette de sécurité en argent se trouvait également attachée pour assurer une fermeture sécurisée, tout en permettant de régler la taille du bracelet selon les préférences.
Le genre d’objet qu’on ne trouve qu’une fois dans sa vie, un cadeau bien plus significatif que coûteux. Le genre rare qui ne peut pas être une coïncidence. Non, cela ne pouvait pas être une coïncidence.
Je vous explique : J’avais un client, Alexandre Aubertin, vingt-neuf ans, grand avocat réputé, qui m’avait engagé pour découvrir si sa femme le trompait. Je ne faisais plus dans ces histoires futiles, mais il était connu dans son domaine, je n’avais pas pu refuser. Et puis, cela arrondissait les fins de mois. Sa petite-amie, Anaïs Bouchard, avait reçu ce bracelet, il y a un an, sorti de nulle part. Cela l’avait interpellé. Selon elle, c’était un cadeau d’une amie, Alicia Delamarre, partie en Guadeloupe. Elle lui parlait souvent d’Alicia, Alicia a fait ça, Alicia a fait ci… Elle était « enquêtrice dans la police, quelque chose du style » et travaillait sur des meurtres. Sauf que je ne connaissais aucune Alicia Delamarre, et j’en connaissais du monde. Comme Alexandre, nous pensions qu’il était question d’un nom bidon pour couvrir son amant. Ou son amante. Parce que sa petite-amie était bisexuelle. Comme le surnom « Le garagiste » qu’avait donné George à sa maîtresse. Une couverture quoi.
Si Juliette et Anaïs possédaient le même bracelet, c’était que… Bingo. La garagiste était Anaïs Bouchard. J’en étais persuadé au point de mettre ma main à couper. George avait dû acheter ces bracelets en même temps, lors d’un voyage d’affaires ou de vacances avec sa maîtresse ou sa femme, peu importait. Cela se retrouvait souvent, des maris qui achetaient le même cadeau à leur femme et à leur amante. Répugnant, je vous l’accorde. Je n’avais jamais fait le lien jusque-là, car Anaïs ne possédait aucune marque de violence sur son corps. En clair, George n’avait jamais levé la main sur sa maîtresse. Était-ce étonnant ? Pas vraiment. Les hommes violents l’étaient parce qu’il souhaitait dominer, or il dominait déjà sa femme, cela lui suffisait pour combler son ego de mâle alpha viril graou.
Pour en revenir à Alicia, je suppose qu’elle entretenait aussi une relation avec Anaïs. En tout cas, elle était folle de jalousie. Elle avait découvert la tromperie de son amie avec George et alors, pour se venger, elle les a tués. Certes, cela semblait tiré par les cheveux : la maîtresse de George qui trompait son avocat Alexandre avec une autre personne Alicia. Mais c’était possible. Et si tel était le cas, alors Alicia, la meurtrière, enquêtait sur le meurtre de la famille Abernathy.
Suspect numéro dix : L’enquêteur anonyme sur le triple homicide. Alicia Delamarre.
Vous allez me dire : Mais Tec, peut-être qu’Anaïs avait menti sur le métier d’Alicia. Oui, mais j’en doutais fort. Parce qu’on ne peut pas inventer un tel mensonge. Et surtout, parce qu’Anaïs était très mauvaise pour mentir. La preuve, Alexandre avait deviné qu’elle le trompait. Il lui fallait juste des preuves pour l’anéantir. Preuves que je détenais maintenant. Et puis, Anaïs racontait souvent la vie de son amie : il paraîtrait qu’elle avait enquêté sur une affaire sordide, la séquestration et meurtres de trois jeunes femmes âgées de seize à vingt-deux ans. Une enquête sur laquelle j’avais aussi travaillé.
Oui, un sale type, Léandre Duval, de quarante-huit ans qui avait kidnappé trois femmes travailleuses du sexe, les unes après les autres, en les faisant monter dans sa voiture et les invitant chez lui. Puis, il les faisait descendre dans sa cave et paf, elles étaient bloquées à vie. Il les torturait, leur faisait manger des croquettes de chien, les faisait se baigner dans un trou creusé dans le sol de la cave, bref, une horreur. Je sais que Mattéo avait bossé sur cette affaire parce que nous jugions que nous étions face à un tueur en série et nous avions besoin d’un profiler pour en décrire son profil. Le grand Mattéo Reven. C’était grâce à lui que nous avions pu trouver le tueur. À la découverte de la scène de crime, ces pauvres femmes étaient découpées en morceaux dans le congélateur, nous avions fait appel à Theia et d’autres pour relever les preuves. Je m’en rappelais parce qu’elle était réputée pour rester stoïque devant n’importe quelle scène de crime. Et Enès, le commissaire qui s’occupait de cette affaire. Drôle de coïncidence de se retrouver tous les quatre bloqués dans ce chalet. Anaïs avait tout raconté à Alexandre. Et cela, cela ne s’inventait pas. Alors Alicia était bien une enquêtrice qui avait bossé sur l’affaire Duval.
Le coupable pouvait être n’importe qui parmi tous ceux qui enquêtaient sur l’affaire Duval et l’affaire Abernathy. Y compris Theia et Mattéo. Je sais, c’est fou, mais je vous le jure, dans ma tête, cela colle bien. Tout était crédible : Theia ou Matteo sortait avec Anaïs, iel découvrit qu’elle lea trompait avec George alors pris.e de jalousie et de haine, iel tua son amant.
J’en étais persuadé, l’un des deux était le potentiel coupable. Il fallait se méfier d’eux, et pour cela, je devais prévenir Enès. Ce n’était pas chose facile de le prévenir, déjà parce que nous étions rarement seuls et surtout, comment dire à son ami que nos collègues sont probablement le tueur que nous recherchons depuis des semaines ?
Après quelques heures, Enès avait été cherché quelque chose dont on se fichait bien dans la chambre, Theia et Matteo étaient occupés à faire à manger, je fonçai rejoindre Enès pour lui raconter. Je fus devant lui, angoissé à l’idée de lui partager une folie de ma part, les mains moites, les doigts tremblants, je me mordillai les lèvres par réflexe dès lors que je stressais. Allez, quand il fallait le faire, autant de lancer.
— Enès, j’ai quelque chose à te dire. Quelque chose d’invraisemblable, mais tu dois m’écouter jusqu’au bout.
Il me regarda intrigué, un sourcil levé, l’autre baissé, les yeux plissés. Une tête qui me jugeait avant même que je n’ai commencé à parler. Cela s’annonçait bien. Calme-toi. Tout va bien se passer. Je connaissais bien Enès, c’était un très vieil ami avec qui j’avais partagé un grand nombre de choses. Nous passions nos soirées à discuter de nos vies misérables de célibataires trahis par nos ex. Bien souvent, il m’engageait dans ses affaires alors nous partagions même nos journées ensemble. Et quand nous ne discutions pas de nos déboires amoureux, nous parlions enquêtes. En fait, je crois que nous n’avions jamais exprimé une quelconque once de bonheur à l’autre. Nos discussions étaient toujours sordides, à faire fuir n’importe qui. Mais j’aimais cela. Cela rendait notre relation particulière et unique. Alors j’avais confiance en lui.
— Je sais l’identité du tueur.
Il me regarda avec stupeur, les yeux écarquillés, les lèvres entrouvertes. C’était comme s’il voulait dire quelque chose mais que le choc l’en empêchait. Mais il devait le penser très fort : « Qu’est-ce que tu racontes. Ce sont des conneries ! ». Je le savais parce que je le connaissais par cœur, c’était tout à fait son style de répondre ce genre de choses.
Je ne lui laissai pas le temps d’encaisser le choc que je continuai sur ma lancée :
— Je sais, ça peut paraître fou. Mais c’est la vérité. Tu te rappelles de mon client, l’avocat, Alexandre Aubertin ?
— Quel est le rapport ?
— J’y viens. Il doutait de la fidélité de sa copine, Anaïs Bouchard. Parce qu’elle avait reçu un bracelet unique en son genre, bracelet qui est exactement le même que celui de Juliette Abernathy.
Ses yeux s’écarquillèrent davantage. Il venait de comprendre mes sous-entendus. Il était malin et intelligent, je n’avais donc pas besoin d’en dire davantage pour qu’il comprenne tout. Oui, la femme que j’espionnais pour mon client était la garagiste. Oui, le monde était minuscule. C’était incroyable de découvrir une telle chose, que la femme qui hantait mes nuits était celle que nous recherchions depuis le début. Je n’en revenais pas non plus, j’étais comme Enès, bouche bée, mais avec un peu plus de recul sur la situation. Une fois qu’on avait encaissé la surprise, tout semblait logique.
— La maîtresse est Anaïs, dit-il.
— La maîtresse est Anaïs. Anaïs sortait avec George, Alexandre et une certaine Alicia Delamarre, enquêtrice dans des affaires criminelles. Tu connais une Alicia Delamarre, toi ?
— Non, ça ne me dit rien.
— Je pense que c’est un nom bidon. Que le tueur du chalet est cette Alicia. Elle aurait, apparemment, enquêté sur l’affaire Duval et Abernathy. Devine qui a bossé sur ces deux affaires ?
— Mattéo et Theia.
— Bingo.
Il se gratta le menton, l’air perplexe. Mais je vous le dis, j’avais raison. Nous étions bloqués dans un chalet avec l’assassin. Qui était-ce entre Mattéo et Theia, c’était un mystère. Mais j’étais persuadé que l’un d’eux était bien le coupable. Il avait beau me regarder avec cet air de : « Tu te rends compte de ce que tu insinues ? » que cela ne changerait bien. Oui, je m’en rendais bien compte, c’était dingue, insensé, abusé, mais c’était véridique.
Je donnerais tout pour rentrer chez moi et enquêter sur ces deux-là, les suivre à la trace, les prendre en photo dans les moments les plus gênants de leur vie, là où ils prouveront être coupable. Je donnerais tout pour les coincer, pour qu’on dise : « Eric Sares a résolu l’affaire des disparus de Chamonix-Mont-Blanc. Eric Sares est le meilleur détective du monde. Vive Eric Sares ! ». J’avais peut-être un ego surdimensionné, j’avais besoin de reconnaissance parce que mon métier était tout ce qu’il me restait. Depuis ma rupture, je bossais sans cesse pour me changer les idées, alors je voulais que mon travail soit reconnu. Comme tout le monde. Qui aimerait bosser gratuitement ? Personne. Ne faites pas les altruistes.
Même si nous aimions notre taf, nous travaillions par pur intérêt, n’était-ce que pour avoir un salaire et vivre. J’aimais mon taf, mais pas au point de faire quinze heures supplémentaires sans être payé. À l’inverse d’Enès qui en faisait des tonnes sans retour, et à chaque fois, je lui disais : « Enès, tu as assez travaillé pour aujourd’hui. Tu n’es même pas payé pour tout ce que tu fais ! Arrête donc. » mais il ne m’écoutait jamais. Il continuait encore et encore de travailler indéfiniment pour des enquêtes qui ne menaient à rien. C’était justement pour cette raison qu’il se creusait la tête à tenter de les résoudre, en vain.
Tout cela pour dire que j’aimerais les démasquer, d’une manière ou d’une autre, mais j’étais coincé dans ce maudit chalet, vulnérable. Mais soudain, Enès eut une idée : les faire cracher le morceau. En gros, nous creusions leur passé, l’air de rien, du genre : « Et vous, les amours ? Ça va bien ? » jusqu’à temps que l’un d’eux lâche un indice qui prouverait qu’iel sortait bien avec Anaïs.
Nous sortions de la chambre, déterminés à découvrir qui était cette Alicia Delamarre. Quand je me retrouvai nez à nez avec Theia et Mattéo, tous deux assis sur le canapé, en train de lire les feuilles du dossier, un frisson m’a hérissé les poils. L’un des deux était un tueur. L’un des deux avait massacré la famille Abernathy dans un même chalet que celui-ci. Nous étions déjà à cran à cause de la tempête, de la fatigue et du confinement forcé, mais si nous venions à les accuser du triple homicide, cela serait une mission risquée : cela pourrait dégénérer. Il fallait être subtil.
Nous nous asseyions sur les deux fauteuils, l’air de rien, ce qui nous rendait d’office suspects. Nous n’étions pas à l’aise et cela se voyait, les mains crispées sur nos genoux, le dos tendu, le visage contracté. Oui, nous avions l’air ridicules. Mais Theia et Mattéo étaient trop occupés, plongés dans le dossier, pour nous remarquer.
J’angoissais à l’idée de commencer la conversation pour creuser leur vie sentimentale, mon cœur battait la chamade, prêt à sortir de ma poitrine, mes mains étaient moites et tremblantes, je peinais à tenir la feuille pour me servir de prétexte, du style, moi aussi je bosse. Je gigotais dans tous les sens, ne sachant pas quoi faire de mes mains. Si je les levais, je tremblais trop pour ne pas paraître suspect, si je les baissais, la feuille que je tenais devenait illisible.
Allez, au bout de trois, je me lancerai.
Un.
Deux.
Trois…
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