John fixa le verre qu’il tenait entre le pouce et l’index, comme on contemple un animal à la fois dangereux et fascinant.

Il inclina lentement le verre, et considéra la liqueur ambrée qui léchait le rebord. Le parfum du whisky se répandit dans l’air. D’abord les effluves boisées, puis celles, plus aériennes, du malt.

Ce whisky n’était pas ordinaire.

Le barman, qui jusque là s’était tu, l’interpella:

– John, chuchota-t-il, c’est l’heure.

Puis, comme si cela ne suffisait pas, il ajouta :

– Il faut y aller.

John leva la tête et considéra l’ homme qui se tenait face à lui. Il se voulait compatissant, mais était surtout inquiet pour son établissement. L’un de ses habitués avait rendez-vous avec le destin... soit ! Du moment que ça se passait dehors.

John se replongea dans le verre. Comme s’il était devenu lui-même minuscule, il apprécia la force de la liqueur, sa consistance à peine visqueuse, le flot désordonné des parfums qui les uns après les autres s’assemblaient comme pour raconter une histoire. L’essence de bois, lourde, détrempée d’arôme qui l’entraînait au fond, l'orge, tantôt amer, tantôt doux, qui assenait tour à tour brûlures et caresses, les notes fleuries de la vanille, légères, fragiles.

John saisit son verre.

Adieu Saloon ! Adieu les hommes ! Adieu la vie !

Il porta les lèvres au calice et balança la tête en arrière. Le liquide se déversa sur sa langue, envahit sa bouche, et inonda sa gorge de sensations qu’il avait plus tôt imaginées. La chaleur ferme et charpentée du sherry, puis une déferlante de goûts maltés qui se retira en laissant un souvenir chaud et poivré.

John se leva et se dirigea vers la sortie tandis qu’en lui le feu du breuvage s’éteignait peu à peu.