Une journée presque sans histoire
La nouvelle plomba l'atmosphère. Un instant, tout fut figé. L'épouse et les enfants regardaient le père, ce dernier scrutait le visage de son ainé. Dans ce silence, un pégase entra dans la maison, espérant trouver quelques miettes. Le chat se figea et bondit pour l'attraper. In extremis, l'équidé fit demi-tour, prenant son envol après quelques foulées de galop. Le félin le poursuivi, sauta, lança une patte pour l'attraper. Le pégase fut griffé à l'arrière train mais put s'échapper hors de la pièce. Cette scène sans bruit, qui n'avait duré qu'un instant, avait rendu le silence plus profond encore. Ce fut Tom qui le rompit :
— Bon ! S'il est mort, il ne va pas partir tout de suite. Je vais manger d'abord, je viendrai le voir après mes corvées. Marie, je crois que le bacon va être trop cuit.
— Oh Seigneur ! Je l'avais oublié.
Prestement, elle décolla les morceaux de lard de la poêle grésillante et les déposa sur une assiette. Deux œufs au plat d'un bleu de lac furent ajoutés à côté. Une tranche de pain recouverte de confiture, un bol de bouillie d'avoine complétait ce copieux petit-déjeuner.
Après un remerciement, le chef de famille mangea lentement son repas. Il songeait à ce qu'il avait à faire dans la matinée : il faudrait en particulier surveiller le champ de la croix. Il se demandait si la terre n'était pas un peu trop sèche. Soudain, il sentit une petite main sur sa cuisse. Sa fille cherchait à grimper sur ses genoux. Il recula un peu sa chaise et l'installa.
— Tu restes un peu avec moi, Virginie ?
— Oui. Maman dit que c'est triste de manger tout seul. Alors, je reste.
— J'ai bientôt fini, qu'est-ce que tu vas faire ensuite ?
— Je vais venir avec toi aux champs, affirma-t-elle pleine de conviction.
— C'est loin, tu sauras marcher tout cela ?
— Bien sûr ! Tu me prends pour qui Papa ? J'ai déjà quatre ans et demi ! Et puis, je suis ta fille !
— Oui, tu es ma fille, rit Tom. Vaillante et sans peur aucune !
Il termina son repas et partit faire le tour de ses champs en tenant la main de Virginie. La petite fille sautillait à ses côtés, lui pointant de son petit doigt tout ce qui l'émerveillait dans cette nature à peine apprivoisée. Il répondait à ses questions et des fois, lui racontait une histoire pour la distraire et avancer un peu plus vite vers ses cultures.
Bientôt, ils arrivèrent dans un champ de maïs bordé de deux côtés par un chemin. Ces deux chemins se coupaient dans un carrefour où une croix de bois avait été installée, offrant ainsi son nom à l'endroit.
— Pourquoi tu viens là, papa ?
— Parce qu'il faut surveiller les plantes. Il faut qu'elles se portent bien. Elles sont fragiles, un rien peut les détruire. Tiens, regarde, dit-il en la prenant dans ses bras pour qu'elle voit mieux la feuille qu'il avait repéré à hauteur de poitrine. Tu vois cette feuille ? Elle est toute marron.
— Pourquoi ?
— Elle est malade. Il faut donc l'arracher avant que la maladie ne se propage à d'autres. Tu l'arraches ?
La petite attrapa la feuille et tira de toutes ses forces. Elle se détacha dans un bruit sec. La tige se plia dans l'autre direction, froissant les feuilles aux alentours. Ils continuèrent leur inspection. Finalement, la terre était suffisamment arrosée là où le système d'irrigation arrivait. Il avait craint une fuite des tuyaux de bois mais ce n'était qu'œuvre de son imagination.
Il posa sa fille le temps de déplacer l'arrivée, pour arroser un autre coin du champ. Le bois était lourd, la tâche ardue, la sueur perla à son visage. Il trempa la main dans l'eau vive du petit aqueduc et s'en aspergea la peau. Il repéra des pousses de sanpertuis au point d'arrivée. Quelques pégases devraient faire l'affaire : ils adoraient brouter cette mauvaise herbe. Bon, il fallait passer aux champs suivants. L'inspection à faire n'était que de routine mais elle était nécessaire. Il réalisa alors qu'il était tout seul.
— Virginie ! Où es-tu ? Virginie !
L'appel restait sans écho, absorbé par les plantes. La région était normalement sure mais la conversation du matin revint à son esprit. Rick savait chasser et reconnaitre les morsures des animaux. Qu'est-ce qu'il avait pu donc voir ? Un danger rôdait-il autour ? À cet instant, il put entendre le glapissement d'un coyote au loin. Ces bestioles ne s'approchaient pas de l'Homme mais le cri avait été poussé au mauvais moment. Son imagination s'emballa. Où était sa fille ?
— Virginie ! Répond-moi ! Virginie !
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