Muse d'un soir
Nous entrons dans ma chambre, lieu où je passe le plus clair de mon temps à rendre visible par tous les images m'accrochant à l'esprit ou tout autre chose que quelques crayons et dégradés de couleurs peuvent faire naître au gré de souples mouvements de poignet.
Je n'ose pas à l'accoutumée demander aux gens, surtout aux femmes, de les dessiner. Non seulement parce que à cet instant plus rien chez eux est naturel, alors que c'est cela que je recherche, mais aussi parce que beaucoup de femmes pensent que les rendrent faussement éternelles cache une toute autre idée beaucoup moins noble.
Alors j'ai cherché à le faire discrètement, comme à mon habitude. Sauf qu'elle m'a vu. Elle m'a vu lui voler l'image de son beau visage semblable à celui d'une poupée de porcelaine. Elle s'est alors levée et s'est approchée de moi, qui devenait rouge carmin. Elle a marché lentement, sans agressivité. Et pourtant, moi qui m'était fait prendre en flagrant délit, j'étais déjà paniqué et avais retourné en une volée la feuille sur son verso. Elle m'a souri. Je l'ai regardé en bessant mes yeux honteux qui atterrirent sur sa poitrine.
«Pouvons-nous nous prêter à cela dans un endroit plus tranquille ?»
Un endroit plus tranquille, avait-elle dit. Voilà comment nous nous sommes retrouvés ici.
Jamais encore je n'ai enmené de modèle dans cet endroit intime. Voilà pourquoi ce soir, malgré l'excitation que cela me procure, je suis aussi dans un état de stress intense. C'est qu'elle est belle vous savez. Vraiment belle. Uniquement belle.
Elle reste là, debout devant mon lit, à me fixer de ses yeux vert olive et d'un sourire malicieux. Debout à côté de mon chevalet, je n'ose bouger ni prononcer un seul mot. Je suis comme absorbé par la blancheur de sa peau et ses traits délicats, le vert profond et unique de ses prunelles, sa bouche fine, rosée et fraîche comme une fleur au printemps.
Un ange passe puis, s'asseyant sur mon lit, elle enlève ses bottes cuivrée, déroule ses fins colants noirs, déboutonne sa chemise blanche, descend sa jupe sur ses chevilles, se penche en arrière, libère ses yeux de quelques mèches rebelles d'un mouvement de tête, et d'un geste gracieux des jambes, balance sa jupe qui atterrit au milieu de la pièce. Elle se relève, enlève sa chemise et se sépare des seuls morceaux de tissus en dentelles dévoilant ce que toute femme veut absolument cacher aux hommes qui eut, feraient n'importe quoi pour les apercevoir.
De mon côté je ne réagis pas. Ou du moins pas volontairement parce que je sens bien que mon corps parle à ma place, mes yeux parcours sans arrêt son corps aux lignes si élégante, mon visage reprend ses couleurs carmin et même mon sexe, jusque-là silencieux s'est réveillé. J'ai d'ailleurs eu peur qu'elle s'en aperçoive quand elle m'a regardé en reprenant son sourire amusé. Mais elle me dit simplement : «Comment voulez-vous que je me place ?»
Je bagaye, gêné : Heu... Je ... Je ne sais pas.
- Hé bien ! C'est bien vous le peintre ici, non ?
- Si... Bien sûr. Mais c'est que.... J'ai plutôt l'habitude de dessiner les gens au naturel et là....
- Il n'y a pas plus naturel que quelqu'un de nu : sans vêtements pour tromper ses formes, sans maquillage pour cacher les inperfections et même pas de bijoux pour un éclat artificiel. Juste la beauté d'une femme, du moins si vous me trouvez belle.»
Je ne sais pas quoi répondre. Son audace ainsi que son charme évident suffit à me désarmer.
«Connaissez-vous Titanic ?»
J'aquiesce. Elle sourit de satisfaction et se place dans la même position que pour la scène mythique de ce fameux film.
Je m'assois sur mon tabouret. Mes mains tremblent encore. Je pose mon crayon et la scrute totalement une dernière fois : je veux que même mes yeux se rappellent d'elle. Je veux encrer son corps a jamais sous mes paupières.
Je commence par dessiner ses traits de visage fins, la finesse de ses lèvres et son regard de tendresse : ce qui m'avait attiré en premier. Je continue avec ses seins bien ronds, le galbe de ses hanches magnifiquement sculptée... Pour terminer avec sa cascade de cheveux noir brillant comme un ciel illuminé par les étoiles.
Elle se lève. Se rabille. Je la regarde encore. J'ai peur d'oublier les lignes de son corps.
Je signe en bas à gauche puis me retourne pour poser l'oeuvre sur mon bureau. C'est alors que j'ai le dos tourné qu'elle m'apostrophe :
«Ne rêvez pas.
- Pardon ?» répondis-je en me retournant.
«Je le garde. Je ne suis pas votre œuvre, je suis mienne, je m'appartiens ainsi que tout ce qui est détournée de mon être.
- Je comprends.» dis-je amusé en lui tendant notre œuvre.
«Pourrais-je vous dessiner à nouveau un jour ?
- Cela m'étonnerais beaucoup.
- Pourquoi ? Vous n'êtes pas d'ici ?»
Elle sourit et ajouta :
«Merci, grâce à vous je suis maintenant éternelle, ou en tout cas mon souvenir. Je peux m'envoler tranquille maintenant : je sais que je ne serai pas une oubliée»
Une minute de silence. Un ange passe de nouveau tandis que ma muse d'un soir me quitte de son pas légé.
Une semaine plus tard, j'apprend par le journal que la jeune Rose Dewitt est morte.
Par un inconnu, je sais également qu'elle a été retrouvé allongée nue sur son lit, sa main posée sur son front, l'autre derrière, la tête tournée, son portrait posé sur son cœur sans vie.
Fin
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