Finalement, petit à petit, nous apprécions notre univers d’été. Entre les jeux, les travaux à la ferme et les bains, nous nous amusons beaucoup. Le propriétaire est fermier et il est trop content, avec sa femme, de nous montrer comment s’occuper des animaux et du potager. Comme les autres, je ne connais rien à la campagne. Découvrir tout ça, nourrir les bêtes, ramasser les légumes, jouer dans le pré derrière la maison nous occupe toute la journée, avec la baignade en fin d’après-midi. En plus, maman nous apprend à reconnaitre les plantes, les fleurs, les insectes. Comme d’habitude, elle a apporté plein de livres et nous nous amusons à mettre des mots précis sur tout ce qui nous entoure. C’est incroyable comme c’est plus intéressant quand on peut appeler les choses par leur vrai nom.

De temps en temps, le propriétaire nous emmène faire un tour dans sa vieille voiture. J’adore, car je m’arrange pour être à côté de Tom à l’arrière, et comme nous sommes secoués dans tous les sens, je le sens frotter contre moi. Normalement, on ne se touche jamais, même pas une bise le matin. Comme nous sommes toujours en short et en t-shirt, ce sont nos peaux qui se frôlaient. Le sentir bouger contre moi me rend folle, mais je le garde pour moi, sans rien montrer. Je crois bien qu’il adore ces caresses forcées, sinon il prendrait une autre place que tout contre moi, chaque fois !

Thomas et Fatine sont presque toujours ensemble, soit à la ferme, soit à bricoler dans le ruisseau ou dans le pré, à faire des trucs de garçons. Je suis souvent avec eux, ou avec maman, à essayer de reconnaitre les plantes. Mélodie suit ou est plongée dans des romans qu’elle a achetés pour deux sous à une brocante au début du séjour. Alexandre est là et pas là, comme à son habitude, toujours souriant ou absent. À table, c’était Fatine qui parle. Il nous dit qu’il veut être avocat, parce que c’est le seul métier où on est payé pour parler. Nous lui rétorquons qu’il peut aussi être comédien, ce qui lui irait très bien, car il est très drôle à écouter. Son problème, c’est qu’au collège, il ne fait rien. Il nous répète souvent que Fatine, ça veut dire intelligent, malin, en arabe, et donc qu’il n’a pas besoin de travailler. Heureusement qu’avec Thomas nous arrivons à l’aider pour le travail. En fait, pas vraiment, car il n’en a pas besoin, mais nous l’obligeons à faire ses devoirs et à apprendre ses leçons. Il nous fait la gueule, puis il nous remercie, après, quand il n’a pas trop raté son contrôle.

Après le déjeuner, nous nous installons de l’autre côté de la grange. Nous étalons des couvertures par terre et nous faisons tous la sieste. Naturellement, Thomas vient à tous les coups s’installer sur la même couverture que moi, sans rien dire. Il est comme un chat qui vient près de vous, sans rien demander. Quand il n’est pas là, il vous manque quelque chose. J’aime le voir lire ou dormir à côté de moi.

Quand Pierre arrive pour ses vacances, les premiers jours, Tom va faire la sieste à côté de lui, sans rien dire. Pierre allonge son bras et Tom se blottit contre lui. Je comprends qu’il a besoin de ce réconfort, de la chaleur de son père. Au bout de quelques jours, il revient faire la sieste avec moi. Toujours sans rien dire, toujours comme le chat qui cherche en silence l’endroit où il sera le mieux.

Un jour, il s’endort près de moi, en short, torse nu, parce qu’il fait très chaud. Quand je me réveille, il est endormi, la tête dans sa main, l’épaule relevée. Je vois qu’il a des petits poils sous les aisselles, je trouve ça beau. Je m’approche, je sens son odeur, plus forte que d’habitude. Il sent bon. Je le regarde partout. Je le connais par cœur, mais jamais je ne l’ai regardé comme ça. En fait, je ne le regarde jamais. Il est vraiment beau de partout. Il a aussi des petits poils sur le bas des jambes, il est en train de devenir un jeune homme. J’aime. Il a le visage détendu et je crois deviner l’allure qu’il va avoir plus tard. S’il a depuis toujours les beaux yeux de Sabine, sa mère, on voit apparaitre les traits de son père, que j’admire souvent.

Je le détaille dans tous les sens. De toute façon, même s’il était moche, je l’aimerais pour sa gentillesse, sa douceur, sa générosité. Je ne l’ai jamais vu en colère ni se battre. Il n’est pas un de ces petits mecs qui croient devoir jouer au dur. Il est respecté, parce que, avec Joachim, ils sont les cracks sur internet. Les autres sont à la ramasse et ils ont besoin d’eux. Ce n’est pas par hasard s’ils sont amis, ils ont un peu le même caractère. En plus, il est vraiment intelligent. Pas autant que moi, bien sûr, mais quand même pas mal. Lui, il n’a pas autant besoin de le montrer.

Je suis là, à admirer mon prince charmant endormi. Je rêve doucement sur ce que nous pouvons vivre. Je suis en plein dans mon conte de fées quand je sens des yeux sur ma nuque. Je me retourne et je vois maman qui m’observe, le visage tout sourire. Je lui réponds, puis je sens la colère monter, m’envahir. Je suis avec Thomas, c’est ma vie. Pourquoi m’espionne-t-elle, pourquoi intervient-elle dans ma vie ? Je me mets sur le ventre et je pleure de rage. J’essaie de ne pas faire de bruit pour ne pas réveiller Tom. Puis je vais dans ma chambre. Au passage, maman tente de m’attraper le bras. Je l’évite et lui lance un gros mot. Je m’effondre sur mon lit, toujours en hargne.