7/1 - Éloïse
J’ai plein de copines, mais surtout, j’ai deux grandes amies.
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La première que j’ai connue, dès le début de la sixième, c’est Charlotte. J’ai été attirée par elle, car elle était dans une bande un peu spéciale. Elles avaient trop l’air de petites filles bien sages, avec leurs vêtements bien propres, mais qui ne faisaient pas très djeunes. Elles rigolaient souvent. J’ai été acceptée, malgré mon allure différente. J’ai appris qu’elles allaient à la messe et au caté (le catéchisme), qu’elles faisaient des sorties entre filles avec les « Jeannettes ». Ça semblait super. En plus, elle me parlait de Dieu, de Jésus qui avait fait des miracles. J’en avais entendu parler, sans m'intéresser plus. Je voulais devenir catholique, comme elle, car cela semblait merveilleux. Quand je l’ai dit à mes parents, ils n’ont pas réagi. Quand je leur ai demandé, ils m’ont répondu qu’ils étaient baptisés, j’ai trouvé ça super. Puis ils m’ont expliqué qu’ils avaient chacun abandonné la religion, car les prêtres et le Pape obligeaient à trop de choses et se mêlaient de la politique. Surtout, ils n’avaient pas besoin de Dieu ou d’un autre pour vivre heureux. C’était normal que je cherche. Je pouvais aller au caté, aux Jeannettes, à la messe. Et si ça ne me plaisait pas, il y avait d’autres religions. Ils étaient prêts à m’aider à réfléchir à ces questions.
Un samedi suivant, papa me proposa d’aller à la messe, « pour voir ». J’avais prévu d’aller voir Tom comme tous les samedis, ça m’a embêtée. Je n’ai rien compris, debout, assis, debout, c’était pire qu’à la gym. Le prêtre parlait avec des mots bizarres. J’ai bien aimé quand ils lisaient les histoires, les évangiles. Il y avait aussi de très beaux chants. Finalement, j’aurais préféré passer cette heure avec Tom. Je pense, maintenant, que papa l’a fait un peu exprès, pour me dégouter. Je ne lui en veux pas, car c’est mieux pour moi sans ces affaires compliquées.
Pareil pour les Jeannettes : elles m’ont proposé de venir un weekend, tout entier. Là encore, je ne pouvais pas ne pas être absente tout un weekend. La religion, c’était très attirant, mais c’était aussi beaucoup d’obligations. Puis, finalement, cela ne m’intéressait pas plus que cela. J’ai abandonné, mais je suis restée très amie avec Charlotte. Une année plus tard, elle m’a dit qu’elle avait envoyé tout balader, qu’elle n’allait plus à la messe. Elle ne croyait plus en Dieu. Ses parents avaient gueulé, mais ils ne l’avaient plus obligé à aller à la messe. J’aime bien Charlotte, car on peut discuter de plein de choses avec elle. Sa grande sœur est féministe et elle m’explique pourquoi il faut être féministe. Quand j’en ai parlé à maman, elle a dit qu’elle m’avait élevée avec des idées féministes et que c’était bien que je réfléchisse à ces questions.
Charlotte, c’est une fille sérieuse, un peu trop. Une fois, elle m’a dit qu’il fallait avoir de bonnes notes. Comme ça, tu peux aller dans une bonne fac, ce qui te permet d’avoir un bon métier. Si tu n’as pas un bon métier, tu as raté ta vie. Elle me fait flipper avec des trucs comme ça.
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Avec Sarah, je ne sais plus comment nous sommes devenues amies, mais c’est allé très vite, un peu plus tard. Il faut dire qu’elle m’intimidait beaucoup, car elle était la plus jolie fille du collège et toujours habillée à la mode. Un monde dont j’ignorais tout. Moi, je crois que je la fascinais parce que j’étais la meilleure élève, avec toujours la bonne réponse. Bref, on avait besoin de comprendre comment l’autre fonctionnait. Nous étions très différentes, c’est sans doute pour cela que ça a si bien collé.
Ce qui m’a séduit chez elle, c’est son coup d’œil. Elle détaille tout le monde, avec les défauts et les qualités. Un jour, elle passe en revue les garçons de la classe ou des autres classes, me montrant toutes leurs tares, physiques ou d’habillement. Il n’y en a pas un d’épargné. Elle sait bien qu’elle ne doit pas critiquer Thomas, donc elle ne m’en parle pas. Le jour suivant, ce sont leurs qualités, ce qu’ils ont de mignon, d’adorables. Elle voit tout. Le pire, c’est quand elle s’intéresse aux filles : elle est sans pitié. Elle les démonte toutes, avec des mots durs et, parfois, du mépris ou de la méchanceté. Quand elle trouve que l'une d'elles a fait une trop grosse faute de gout, elle va lui donner un conseil, « gentiment » comme elle dit. Au mieux, la nana devient toute rouge, au pire, elle part en pleurant. Elle avait une vraie langue de vipère, ce qui m’amusait beaucoup, moi, la gentille petite fille qui n’aurait jamais osé faire des choses comme ça.
Elle commence son examen toujours par les chaussures, car les gens, m’a-t-elle expliqué, n’y font pas attention et ça révèle immédiatement la personne et le soin qu’elle apporte à son apparence. J’ai mis alors mes pieds le plus loin possible sous ma chaise ! Quand je lui demandais de m’expliquer les défauts qu’elle a trouvés, elle me montrait des exemples de ce qu’il NE FAUT JAMAIS FAIRE, sans plus. J’ai fini par comprendre et à être aussi bonne qu’elle. Elle m’expliqua qu’elle préférait les filles nature, habillées d’un tas de chiffons à celles qui faisaient n’importe quoi avec leurs vêtements. Je m’enfouissais dans mon tas de chiffons, quand elle me précisa que, moi, j’étais à part !
Puis, il y a eu des problèmes, car toutes les filles se sont mises contre elle, et aussi contre moi. Je lui ai expliqué que ces remarques pouvaient être très cruelles et blessantes. Je n’ai pas très bien compris, mais ce que j’ai perçu, c’est que, au fond d’elle, elle est blessée aussi. Quand je lui ai dit qu’elle pouvait plaire sans être méchante, elle m’a regardé avec des yeux tellement tristes. Depuis, elle me demande toujours de l’aider à mieux se comporter et nous sommes encore plus amies.
Elle lit tous les magazines de mode et elle me les montre, en s’arrêtant sur une fringue ou un gadget qu’elle a, elle, depuis longtemps. Elle trouve qu’ils sont trop nuls, en retard d'une saison. Et elle achète le numéro suivant pour être sûre d’être en avance sur les autres.
Un jour, je lui ai dit qu’elle devait avoir beaucoup d’argent pour être toujours aussi bien habillée. Je lui avais lancé ça quand on a été très copine. J’avais remarqué que ses vêtements étaient toujours impeccables, souvent neufs, alors que ses affaires de classe étaient minables. Je devais sans arrêt lui prêter ou lui donner un stylo, des feuilles, un classeur. Juste l’inverse de moi, avec mes affaires toujours tip-top. Il faut dire qu’à la maison, pour écrire, il n’y a que ça ; le reste, ce n’est que des livres, partout. Je voyais bien qu’il y avait quelque chose de bizarre chez Sarah.
Ce jour-là, nous sommes vraiment devenues copines, car elle me raconta sa vie. Son père se débrouillait (elle me dit « s’embrouillait ») avec des petits boulots, sa mère était aide-soignante et le plus souvent, le soir c’étaient des pâtes au beurre ou à l’huile.
Je savais que, dans la classe, il y en avait qui étaient très pauvres, ça se voyait à leurs habits et à leur façon de manger à la cantine. J’en avais beaucoup parlé avec papa et maman, car je ne comprenais pas pourquoi certaines personnes n’ont pas de quoi manger. Il y avait aussi les SDF dans la rue, sur la Butte. Moi, ça me fait mal, surtout en hiver. Mes parents m’ont expliqué les riches, les pauvres, la politique, tout ça. Quand j’ai ressorti ce qu’ils m’avaient expliqué à Charlotte, elle m’a traitée de gaucho, de sale communiste. Il a fallu beaucoup de diners pour comprendre, mais je suis assez d’accord avec mes parents : il faut aider ceux qui n’ont rien, en France et dans le Monde. Plus tard, je voudrais avoir un métier qui me permette d’aider ces gens, comme médecin, ou femme politique. Mais je ne sais pas comment on devient femme politique. Maman dit qu’il faut au moins être présidente si on veut changer les choses. Pourquoi pas moi ?
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