Thomas et Éloïse
Juste avant de refermer ces deux cahiers, nous souhaitons ajouter un petit complément pour indiquer ce que sont devenus les protagonistes.
Nous ne sommes jamais retournés à Montmartre 2, comme nous le voulions tous quand nous en sommes partis. Nous n’avons jamais cherché à savoir pourquoi cela ne s’est pas fait, ressentant qu’il y avait comme un lien entre nos deux aventures montmartroises. Réactiver la première, féérique, aurait ravivé la seconde, magique et ténébreuse. Le premier épisode avait été tellement fort qu’il y avait aussi un risque d’abimer son souvenir en essayant de le retrouver. Vincent et Ariane nous ont fait parvenir l’article de journal, quelque temps plus tard, nous disant qu’ils gardaient une pensée spéciale de nos équipées et qu’ils voulaient nous revoir très vite. Nous avons un peu correspondu, puis les lettres se sont arrêtées.
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Les aventures des carrières sont loin. Nous en conservons précieusement ce moment merveilleux de notre échange souterrain. Si nous n’avions pas vécu cet accident, notre relation aurait-elle été la même ? Certainement pas. Certainement oui. Elle aurait eu sans doute la même intensité, tellement elle est ancrée en nous. Peut-être se serait-elle trouvée plus difficile à exprimer ou dans un autre mode.
Nous avions été à deux doigts de l’abime. À l’âge que nous avions, franchir la porte aurait peut-être été facile, dans notre ignorance de la vie. Cela aurait été un grand dommage, car nous avions et nous avons encore plein de choses à vivre. La force du destin. Nous avions fait une belle connerie et, encore aujourd’hui, nous nous en voulons. Nous en gardons cet échange fortuit, à la limite de la conscience, qui reste un roc formidable sur lequel tout peut se construire.
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Pour la petite histoire, nous avons touché notre part du trésor, après des péripéties judiciaires inénarrables pour rechercher un éventuel descendant du propriétaire des pièces d’or. Il fut bien sûr impossible de retrouver le moindre héritier crédible. Ce n’est pas faute de prétendants, qui furent dix-sept à revendiquer le trésor, avec des arguments et des dossiers très variés. Nous étions encore très jeunes et cela se passa loin de nous. Il reste que nous, nous étions les inventeurs de ce trésor, selon le terme approprié. Même divisé en trois, cela a représenté une belle petite somme, y compris après un don aux pompiers de Paris.
En revanche, l’autre partie du trésor appartient au propriétaire des trous sous la terre, et là, ce n’est pas fini, car qui possède du vide ? Fatine a essayé de nous expliquer avec les termes juridiques. Si cela l’amuse beaucoup, nous, pas du tout.
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Fatine est avocat, bien sûr, après nous avoir fait une peur bleue le jour de l’oral, comme on pouvait s’y attendre. Toujours le minimum, toujours sur la corde raide et parvenant toujours à réussir, à passer dans le trou de souris avec un grand sourire. Il travaille maintenant dans un cabinet spécialisé dans les affaires sociales et l’environnement. Il est déjà fort apprécié, se vante-t-il, pour les idées originales qu’il apporte. Côté cœur, il a vécu toutes les aventures amoureuses possibles avant de rencontrer Delphine, sa compagne adorable qui arrive à le canaliser.
Auparavant, peu après nos mésaventures, il a vécu très difficilement la disparition de sa mère, Fatima, emportée par un cancer fulgurant. L’office d’habitation les a relogés dans le même ilot. Fatine s’est beaucoup occupé de son petit frère et reste encore très présent auprès d’Amir. Nous ne sommes plus ensemble, tout le temps, mais Fatine reste notre ami le plus proche.
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Sabine, la mère de Mélodie et de Thomas, est revenue, après plus de douze ans d’absence. Le bon spécialiste, ou le bon traitement, on ne sait pas, mais elle reprend pied, épaulée par Pierre. Comment renouer avec sa vie et ses enfants avec un tel trou dans son existence ? Pierre a jeté un pont dessus, comme s’il n’avait jamais existé. Nous l’admirons. Thomas reste avec cette interruption trop longue, cette absence d’histoires partagées. Il s’est construit sans sa mère et ne sait pas comment la réintroduire dans sa vie. Nos visites sont toujours empreintes d’une gêne, d’un malaise diffus.
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Mélodie a rencontré un Australien pendant ses études, James, le prototype de l’Australien ! Grand, blond, dans les affaires, avec leur accent si particulier. Ils ont déjà un petit garçon, Charlie. Elle a trouvé ainsi le moyen de mettre la distance avec cette douleur, car elle semble heureuse de cette vie. Nous l’appelons souvent et restons très proches malgré cette demi-sphère qui nous sépare. Nous allons bientôt retourner les voir.
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Isabelle et Sébastien continuent leurs vies, leurs passions, toujours curieux de tout.
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Alexandre prépare sa thèse dans un des grands laboratoires du MIT, après des études brillantes, nombreuses et incompréhensibles, même par nous. Nous l’avons aussi régulièrement en ligne, toujours souriant. Il semble heureux avec ses pensées. La dernière fois, nous avons aperçu sur l’écran une jolie fille aux yeux étincelants, assise à côté de lui. Il a fallu que nous insistions pour qu’il nous présente Myriam, une Israélienne qui travaille sur un sujet parallèle au sien. À nous de deviner qu’il n’y avait pas qu’un rapprochement intellectuel ! Myriam nous semble moins lunatique que notre Alexandre et nous avons hâte de la connaitre vraiment.
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Si Charlotte s’est éloignée, perdue dans la grande liste des amis que l’on suit de loin sur les réseaux, Sarah donne régulièrement de ses nouvelles. Elle a réussi à devenir mannequin, avec une petite réputation. Si elle est heureuse dans ce monde de la mode, le travail est un enfer. Joachim est resté le grand ami éternel de Thomas. Nous le voyons souvent. Il déroule alors pour nous ses aventures amoureuses, innombrables et la plupart du temps hilarantes, du moins ce qu’il nous en raconte, sans cesse prolixe sur lui-même, sans aucune fausse pudeur, demeurant ambigu dans son physique et son look. Un personnage unique, toujours aussi attachant.
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Nous, nous avons continué, inséparables, indécollables. Nous avons fait les mêmes études, dans le même lycée. Nos rêves d’enfants ont évolué et nous avons intégré la même école, avec Éloïse en major, mais constamment côte à côte, avec cette réputation des amoureux indissociables. Il se trouve systématiquement un ancien camarade de la classe précédente qui colporte la légende des amoureux siamois depuis la maternelle. Nous devenons alors les bêtes rares que l’on envie. Il ajoute l’histoire des « disparus de Montmartre » et nous sommes classés dans les bêtes curieuses ! Question d’habitude, maintenant.
Sans le vouloir, nous restons toujours unis, toujours complémentaires, toujours en phase. Cependant, à travers des activités, des stages, des engagements, nous avons découvert que malgré sa force, notre lien est souple. Nous pouvons nous écarter, car nous savons que nous reviendrons forcément l’un à l’autre, l’un pour l’autre.
Parfois, cela nous fait peur d’être tellement soudés, tellement en harmonie. Par exemple, c’est le même soir, sans aucune concertation, que nous avons décidé de partager notre cahier. Cette simultanéité nous a effrayés, quelques secondes, avant de découvrir avec délices les secrets et le vécu de l’autre.
Notre vie commune va bientôt être bouleversée, car un petit pitre va venir se coincer entre nous deux, symbole de notre union si particulière et première faille. Il va falloir lui laisser sa place entre nous deux. Ou plutôt, nous le voyons pousser au-dessus de nous, dans notre terreau ! Nous sommes cependant décidés à ne pas le laisser seul très longtemps. Une ribambelle d’enfants nous irait bien.
Portez-vous bien !
PS : Thomas a oublié de vous donner la réponse à l’énigme, mais comme vous l’avez oubliée, ce n’est pas grave !
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