2.1 - La trahison
Quelques siècles avant Adam et Eve
Julien Labrouste était l'un de ses quelques humains habitant encore sur la lune. Le satellite était redevenu une base scientifique isolée, après avoir été le fer de lance de l'expansion spatiale. La période dorée de la Lune eu lieu juste après la guerre interplanétaire, lorsque le tout nouveau Conseil de la Paix divisa le système solaire en trois régions autonomes : la Terre, la Lune et l’Espace.
La Terre fut déclarée comme sanctuaire écologique et le Lune comme son gardien. Pour le Conseil, le premier acte concret fut de confisquer toutes les armes massives des belligérants terriens et martiens et de les placer sur la lune. Elles furent placées sous le contrôle d’un petit groupe d’humains qui reçut l’autorisation expresse de tuer tous les humains qui pourraient menacer l’équilibre de la réserve naturelle. Les technologies nucléaires et génétiques furent également bannies de la Terre à cette époque.
Tous les humains, qu’ils soient terriens, martiens ou autre furent autorisés à circuler à travers l’atmosphère terrestre pendant une période de 50 ans avant sa fermeture définitive. Cela donnait le temps pour faire mûrir un choix irrévocable : retourner vivre comme les premiers humains dans la nature ou utiliser la technologie pour s’adapter à l’espace.
Ce choix était concrétisé par la découpe du drapeau qui représentait l’humanité jusqu’ici. Ce drapeau à 6 bandes horizontales décrivait à la fois l’humanité, son habitat et son évolution. Les deux bandes du bas, marron et vert, désignaient la terre et les plantes. Les deux bandes du milieu, bleue et blanche, faisait office de ciel. Les deux bandes supérieures, noires et jaunes, pointaient vers l’espace et les étoiles.
Comme on pouvait s’y attendre, les partisans du progrès ne versèrent pas une larme quand il s’agit de retirer le marron et le vert pour créer le drapeau de l’espace. Quant aux naturalistes, ils furent heureux de supprimer le noir et le jaune qu’ils considéraient comme une perversion.
Comme une sorte de non-choix, l’écrasante majorité des humains opta pour l’espace, avec l'intention d’accélérer la terraformation de Mars. La minorité choisit la mère Nature et s'imposa l'interdiction d'avoir un second enfant de façon à assurer la décroissance.
La dernière et relativement petite partie s'installa sur la Lune avec la mission de rendre étanche l'orbite de la Terre. Ce groupe minuscule mais extrêment puissant militairement était essentiellement composé d'anciens soldats, probablement à la recherche d'une rédemption. Ils ne durèrent pas longtemps face à l'ennui d'un no-man's land créé par leur propre zèle et efficacité. il furent définitivement remplacés par des scientifiques attirés par ce calme absolu.
Julien était un fier descendant de cette communauté scientifique dont le principal fait d'armes fut la mise au point des robots tueurs en remplacement des soldats humains.
Les humains étaient trop souvent pris de doutes ou de remords quant il s'agissait de tuer d'autres d'humains. Les robots était beaucoup plus fiable à ce sujet et après quelques ajustements techniques, ils se virent attribués le permis de tuer pour défendre la vie sur Terre.
Jusque-là, les robots avaient toujours été construits avec le plus profond respect pour la vie humaine. La première loi d'Azimov était physiquement gravée au coeur de leur microprocesseur. Les ancètres de Julien avaient réussi à contourner cette loi en changeant l'objet de cette protection : la vie en général et non plus seulement la vie humaine devait être protégée. Cette révision nommée loi zéro permis aux robots lunaires de tuer des humains pour protéger la vie sur Terre.
Et depuis ce temps là, les scientifiques ont tourné leur attention vers la Terre.
Ils ont observés la décroissance volontaires des humains au fil des siècles, en parallèle de d'une lente émergence des primates que certains scientifiques encourageaient. En effet, élever l'intelligence d'une espèce au niveau des humains semblait l'étape suivante logique pour des scientifiques riches en idées et surtout en temps. Et les primates étant si proches des humains, le choix était indicustable.
La décadence humaine était le plus vivement ressentie par les rares chercheurs qui s'étaient aventurés au sol afin d'organiser des pourparlers entre les différents clans qui regressaient inlassablement vers un état de guerre permanent.
'L'empathie et le consensus', disaient-ils en boucle, 'sont les seuls alternatives à la guerre. Les humains encore présents sur Terre ont la responsabilité morale d'atteindre la paix que leurs ancêtres sont venu chercher.' Et de rajouter, avant d'oublier, d'éviter toute forme de pollution, comme les produits chimiques bien sûr, mais aussi le plastique et le métal. Sur ce dernier point, ils furent attentivement écoutés.
Sans trop s'en rendre compte, avec l'effet du temps et de l'absence de contradiction, les scientisques ont fini par créer une proto-religion qui detestait la technologie et promouvait les orang-outans au même niveau que les humains.
Et tout se passa bien pendant quelques siècles...
Il n'y eu aucun besoin pour les robots lunaires d'intervenir militairement sur Terre. Toute la puissance de feu des nouvelles armes inventées sur la Lune était dirigée vers l'extérieur de la bulle de protection terrienne. Et d’ailleurs, il y avait régulièrement des réfugiés d'un conflit quelconque entre Mars et Neptune qui venait se proposer comme des cibles très utiles pour l'entrainement.
Quand il fut clair que les néo-primates étaient arrivés au niveau des retro-humains, les choses changèrent. Les humains n’avaient plus de but, et les primates n’en avaient jamais eu.
Finalement, il y eu un renouveau des tensions politiques sur Terre, mais cette fois, ce fut entre les humains et les primates. La plupart des primates voulaient l'égalité en tous points ; et cela impliquait la suppression dans les écritures historiques que l'humanité avait élevé les grands singes. Les hommes continuaient à penser qu'ils pouvaient être à la fois égaux et premiers. Cette incompréhension rapprochait la Terre du point de rupture et du commencement de toutes les guerres.
Sur la Lune, la douzaine de scientifiques restants commença à débattre de la trajectoire à donner à leur expérience darwinienne en grandeur nature. Certains pensaient que les dauphins pourraient être apprivoisés par les humains, car ils étaient la plus intelligente des espèces. Mais sans technologie, prohibée sur Terre, nager avec les dauphins était un simple rêve. D'autres pensaient que les primates devaient élever leur propre espèce fille. Dans la cacophonie résultante furent énumérés :
· le perroquet, pour sa capacité à parler,
· le cochon, pour son intelligence injustement ignorée,
· l'éléphant, pour sa mémoire.
Incapables de se décider, ils envoyèrent sur Terre un émissaire pris au hasard pour promouvoir une évolution pris aussi au hasard pour une des deux civilisations prises au hasard.
Et au moment décisif, ce chercheur, le père de Julien, prophétisa devant une large assemblée d'humains et des primates que les deux espèces élèveraient ensemble les chiens à leur niveau de conscience. Cette proposition d'un objectif commun surpris tout le monde, à commencer par les scientifiques, mais elle mit fin d'un seul coup à tous les problèmes du moment.
A son retour, il sermonna son fils.
- Julien, tu dois comprendre que le plus dur est encore à venir. Je t'ai élevé avec le sentiment de fierté de notre mission réussie avec les robots et aussi de notre création presque achevée de singes intelligents. Je sais que je t'ai un peu trop protégé mais tu vas devoir faire face à des situations beaucoup plus compliquées.
- Veux-tu dire, cher père, que nous pourrions échouer à faire évoluer les chiens?
- C'est une forte probabilité, surtout si on ne fait pas attention à tous les pièges. Il va se passer longtemps avant que les chiens puissent développer des doigts aptes à la préhension et encore plus pour parler sans appareil. Mais le plus grand risque est la guerre, bien sûr. Disons que les chiens seront très utiles pour gagner du temps, et permettre aux primates d'être parfaitement prêt à la comparaison avec les humains. Après tout, il faudra bien un jour dire au reste de l'humanité qu'une nouvelle espèce tout aussi intelligente qu'elle est apparue sur Terre. Personne n'est prêt à ça pour le moment.
- Et quand ce moment viendra-t-il?
- Je pense qu'ils ont besoin de leur propre culture. Cependant nous devons essayer d'éviter que la guerre soit l'axe principal de leur histoire. Laissons-leur le temps, comme pour les chiens. D'ici là, j'ai bien peur que certains d'entre nous soient tentés de réorienter nos activités. La Lune a une énorme influence sur la religion sur Terre. Ça pourrait attirer les convoitises.
- Mais pourquoi s'accaparer le pouvoir religieux, s'inquiéta Julien. Et qui? Un traître parmi les chercheurs? Ça semble ridicule.
- Prend juste soin de toi mon fils, dit-il en forçant un sourire qui se voulait rassurant. Fais juste attention...
Julien repensait souvent à cet échange d'autant plus perturbant qu'il fut rapidement suivi de la mort accidentelle de son père.
Il s'était juré de garder un œil sur les activités de ses collègues. Il fut presque surpris d'avoir raison quand il découvrit qu'un atterrissage avait eut lieu clandestinement. Le terrien qu'il avait chargé de rapporter tous mouvements suspects revenait avec les dernières nouvelles.
- Commandeur, ô Commandeur. C'est le grand prêtre Wochan qui requière humblement votre connaissance infini et votre direction éclairée. Nous avons de nouveau détecté un objet métallique volant au-dessus du territoire des Uratu. Cette fois-ci, l'un de mes pisteurs à pu localiser l'objet au sol et s'en approcher.
- Parfait, se réjouit Julien. Pouvez-vous décrire ce qui s'est passé? Avez-vous vu ou entendu quelque chose?
- Tout à fait, Commandeur. Le pisteur a rapporté avoir entendu l'ordre donné aux Orang-outans d'apprivoiser les pieuvres, de la même manière que les humains ont élevé les singes. Ô commandeur, quel est votre désir?
- Wochan, s'énerva julien, qui était le prophète qui a prononcé ces mots?
- Ô commandeur, ma honte est complète car je ne peux pas répondre. Aucun prophète n'est apparu. La voix est venue directement de l'objet volant, et comme elle était métallique, nous avons peur que ce soit de mauvais augure, commandeur.
Son ton lent et profond souligna la gravité de la situation.
- Commandeur, s'inquiéta le grand prêtre, qui n'avait entendu que du silence pour une bonne minute. Quel est votre ordre? Devons-nous attaquer l'objet métallique ?
- Il n'y a rien à craindre du métal, arriva finalement la réponse, qui était une parfaite imitation de la voix de Julien. Je souhaite que vous soyez en paix avec vos voisins humains et aussi simiesques, ajouta la voix.
Pendant ce temps-là, le vrai Julien s'était évanoui et ses lèvres avaient bleuies par manque d'oxygène. Sa voix retentit de nouveau sur Terre.
- Je suis ravi de vous annoncer que la mission des hommes sur Terre a touché à sa fin. Vous pouvez maintenant profiter du jardin d'Eden pour l'éternité, pourvu que chaque femme ne donne naissance qu'à un seul enfant pour qu'il reçoive tout l'amour qu'il mérite. Propagez partout sur Terre ces mots très précisément, puisque ce sont les derniers.
Julien mourut sur ces dernières paroles, ou plutôt, sans les entendre car l'air de sa pièce qui transportait les sons et apportait de l'oxygène avait intégralement été expulsé dans l'espace.
Le protecteur de la vie, ainsi que s'appelaient eux-mêmes les robots lunaires, referma le sas d'évacuation une fois qu'il fut certain que le corps de Julien était bien inerte.
Bien qu'il soit difficile pour une intelligence artificielle incarné dans un batiment de communiquer avec le langage corporel, elle fit son possible pour émettre l'équivalent de la désapprobation d'un humain secouant lentement la tête.
Sur la Terre, le prêtre époustouflé parvint à se reprendre et à marmonner, 'Très bien, Commandeur. Nous admirons encore une fois votre intelligence supérieure.' Et après une petite pause, il reprit sa composition pour ajouter plus solennellement, 'C'est un honneur indescriptible que de recevoir ce message capital. Ô commandeurs, au nom de tous les humains sur Terre, nous vous saluons.'
Ainsi se clôt l'épisode qui fut enregistré dans l'obscur département d'archéologie de l'Université des Robots comme la toute première action préventive des robots envers les humains.
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