dernier pouvoir
Un docteur vient me voir et sourit.
« Vous avez terminé la première phase. Comment vous sentez-vous ?
– Un peu groggy, courbaturé et parfois migraineux… Dans l’ensemble ça va.
– Vous avez bien réagi aux images. Vous êtes prometteur. On va pouvoir passer à la suite du programme.
– Qui est ?
– Je ne vous dirai rien pour ne pas vous gâcher la surprise.
– Je commence à en avoir l’habitude, grommelé-je.
– C’est bien, vous gardez votre sens de l’humour malgré tout. Vous en aurez besoin pour la suite.
– Et maintenant ?
– On va commencer par vous enlever les sangles, mais pas de bêtises.
– Je ne ferai rien. D’ailleurs, je ne pense pas être en état de faire quoi que ce soit. Je ne suis pas en forme. »
Le médecin hèle de la main un de ses collègues, avant de me libérer.
« Vous êtes capable de vous lever ? »
J’acquiesce, mais c’est plus difficile que prévu, ma tête tourne terriblement. J’ai le plus grand mal pour remuer les jambes afin de sortir du lit. Je me lève d'un bond. Je me rassois aussitôt : mes jambes tremblent et je n’ai pas assez de force pour me maintenir debout. Un des docteurs perçoit mon trouble et me rassure.
« C'est normal. Cela fait longtemps que vous êtes alité. Il vous faudra une période de rééducation pour tenir debout et marcher. Nous allons vous apporter une chaise roulante.
– Pourquoi m’avoir laissé me lever dans ce cas ?
– Pour apprécier votre force physique. Je ne pensais pas que vous en seriez capable. Un réflexe ou une poussée d’adrénaline sans doute… Cependant, vous êtes trop faible pour marcher. Du repos, de la « vraie nourriture », pas seulement de la drogue, du glucose et des oligo-éléments, accouplés à un programme de rééducation finiront par vous remettre en forme. «
– Merci, soufflé-je.
– De rien, nous protégeons notre investissement. »
Un investissement ?! Je ne suis que ça à leurs yeux ?!
La porte s’ouvre... sur un scientifique qui sourit à pleines dents. Cependant, aucune trace d'un fauteuil quelconque !
Au bout de quelques secondes, tout en gardant son masque d'ironie cruelle, il appuie sur un interrupteur qui referme l'ouverture.
L'un des deux médecins présent éclate alors de rire.
« Vous ne croyez tout de même pas que nous allions vous aider ?
Voyant que je reste figé, il me pousse brutalement et je serais tombé si son comparse ne m'avait pas retenu.
– Allez mon gars, arrête de rêvasser. On n'a pas toute la nuit. »
Nous avançons péniblement, car je ne sens quasiment plus mes jambes et ça cogne dur dans ma tête !
L’ambiance change subitement. Imperceptiblement, l’air se modifie. Les néons commencent par grésiller par intermittence. Les docteurs ne laissent rien paraître. Je lance une blague pour détendre l’atmosphère :
« Va falloir faire venir un électricien pour remplacer votre néon.
– On va s'en occuper. »
Nous continuons le parcours tandis que l’air devient de plus en plus lourd.
Soudain, des éclairs zèbrent les murs et le plafond de la pièce. Mes deux geôliers ne sont pas rassurés et observent nerveusement autour d'eux. Je suis tout autant inquiet. Que se passe-t-il ici ?
Ils tentent d’accélérer la cadence, mais je suis un poids mort, la sensation que mes jambes sont coulées dans du béton s'intensifie. Nous sommes bloqués ici !
L’ambiance devient pesante et le ton monte entre nous.
« Voyons, faites un effort, nous ne sommes qu’à mi-chemin.
– Je fais de mon mieux, ce n’est pas de ma faute si mes jambes ne répondent pas. Depuis combien de temps n'ai-je pas bougé ? »
Aucune réponse. Mes gardiens sont peu loquaces.
Ensuite, tout s’accélère. Simultanément, un éclair tombe du plafond et un son suraigu vrille mes tympans. J'en perds l'équilibre, m'affale par terre… et me « retrouve » dans une autre pièce en compagnie d’Amigo et du militaire de l’autre fois.
« Vous allez être surpris par…
– Que voulez-vous dire ? l’interrompt le général. Vous avez…
– Nous avons préféré la cohérence des mutations génétiques.
– Quoi ?! aboie le militaire.
– J’aimerais que vous voyiez votre tête. Vous êtes si prévisible. Laissez-moi vous expliquer notre raisonnement. Les premiers travaux ont ajouté le décryptage des pensées, les seconds celui de voir et entendre à distance et les derniers permettent de se camoufler en toutes zones.
– Et les boules électriques ? hurle le gradé.
– Elles seront utiles. De source sûre, nous savons que l’alpha d’un autre groupe possède ce pouvoir. Fabien doit s’y habituer. D’ailleurs…
Amigo laisse planer le silence.
– D’ailleurs, quoi ?
– Je préfère laisser la surprise à Fabien.
– Vous voulez dire qu’il nous écoute en ce moment ?!
– Qu’il nous écoute et qu’il nous voit. Mais il est temps de te déconnecter Fabien », conclut Amigo.
Même pas le temps de réagir que la pièce s’efface et que je me « retrouve » dans ma chambre, gisant sur le sol. Je me demande ce qu’Amigo m’a caché.
La réponse arrive quasi immédiatement. Une trappe s’ouvre dans le plafond et libère deux boules de lumières bleutées et scintillantes. Elles se projettent sur les murs assez lentement, puis de plus en plus vite et forment un tourbillon électrique. Les docteurs se précipitent vers la sortie en jurant.
Moi, je reste statufié, la surprise et la peur m’ancrent solidement au sol. Le contraste est saisissant : les médecins tambourinent contre la porte, car le temps qu’ils réagissent, leurs collègues ont pris la peine de la verrouiller. Certains les regardent, ahuris, d’autres sont partis.
Les sphères électriques atteignent les scientifiques qui s'effondrent sur le sol. Ils irradient de tout leur corps.
De l’autre côté de la vitre, certains sont terrifiés, tandis que d’autres arborent un large sourire.
Les sphères sortent brutalement des restes des docteurs et se rapprochent de moi.
Je les fixe avec appréhension. Cependant, elles ne me foncent pas dessus et se contentent de tourbillonner dans les airs. Elles restent à une distance raisonnable de moi, seuls mes cheveux se dressent sur ma tête ; à croire qu’elles sont télécommandées — mais dans ce cas, si ce sont les autres savants qui les contrôlent à distance, pourquoi avoir tué leurs collègues ? Pour me montrer le danger potentiel de ces boules électriques ? Je n’avais pas besoin de cette expérience pour me méfier de ces choses !
La tension est palpable, si l’envie leur prend de jouer avec moi... Machinalement, je regarde mes pieds et…
Ce n’est pas possible, je rêve ?! Je me frotte les yeux et… C’est encore pire, le bas de mes jambes, jusqu’aux genoux a disparu !
J’hurle, mais personne ne répond à mes appels au secours. Le processus se propage à une vitesse folle. En quelques minutes, ne subsiste que mon buste.
Je repense alors aux paroles d’Amigo concernant la dernière mutation génétique, le fait de se camoufler en toutes zones ; en fait, ils ont trituré mon ADN pour me rendre invisible ! Lors de la seconde phase, ils m’apprendront sûrement à utiliser ces pouvoirs. Je ne comprends toujours pas l’intérêt de ces travaux ? Que suis-je censé faire avec la télépathie, le jump-look et cette invisibilité ? N'ont-ils pas peur que je trouve un moyen de sortir d’ici avec mes nouveaux pouvoirs ? Que cache le projet « Leukos » ?
Brusquement, une migraine m’atteint : c’est comme si des centaines de marteaux-piqueurs creusent ma tête. La douleur est sourde. Je ferme les yeux pour tenter de retrouver mon calme. En vain.
Je jette un dernier regard dans la vitre, seuls mes globes oculaires sont visibles !
« Suis-je encore là ? Suis-je encore vivant ? » furent mes dernières pensées avant de disparaître complètement.
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