la tornade
Par un beau dimanche ensoleillé.
Après le petit déjeuner, nous décidâmes de nous promener dans le petit parc du village, à l’affût de quelques parents pour glaner des renseignements. L'endroit avait beau être agréable, fleuri et boisé, quelque chose n'allait pas... Un malaise m'avait envahi dès mon arrivée...
Des picotements désagréables parcouraient mes jambes. J'avançais avec peine et mes oreilles bourdonnaient. Ça y est, ça recommence ! Puis ce bruit s'estompa pour être remplacé par d'autres, plus aigus. Je tournai la tête de gauche à droite, tentant de repérer leur source. Je ne remarquai rien d'anormal, pourtant cela devenait un vrai vacarme dans ma tête. Des voix s'entremêlaient, déformées par un mystérieux écho qui en modifiait le timbre – comme lorsqu'on crie dans une église ou dans une grotte –, au point d'être incapable de dire s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme qui s'exprimait. Je n'étais sûr que d'une chose : l'une des voix appartenait à un enfant.
Je ne comprenais rien et ça me donnait une migraine d’enfer. Mes jambes fléchirent et je dus m’accrocher à maman.
« Tout va bien chéri ? s’affola-t-elle.
– Je me sens pas très bien.
– Si tu veux, on peut rentrer ?
– Non, ça va passer ; c’est juste un peu de fatigue. »
Le brouhaha se mua soudain en un discours plus posé.
« Bonjour, n'aie pas peur, nous ne sommes pas tes ennemis. Nous ne te voulons aucun mal. Nous sommes comme le chien que tu as trouvé près de la cabane chez toi, déclara une voix d'adulte.
– C'est tout à fait ça. Tu vas voir, on va bien s'amuser », continua la voix aiguë, probablement celle d'une fillette.
Je me sentais mal à l'aise. D'où provenaient ces voix et comment savaient-elles pour le chien ? Et ces satanés fourmillements qui ne s’arrêtaient pas...
Je continuai d'inspecter le parc quand mon regard se figea. Mes jambes flageolèrent et je dus une nouvelle fois m’accrocher à maman.
« Hé ! Doucement.
– Désolé, dis-je d’une voix blanche.
– Qu’est-ce qui se passe ? Tu commences à me faire peur. Et ne me dis pas que tout va bien. »
L'air s'irradia d'électricité et le ciel s'assombrit. Des feuilles voltigeaient frénétiquement sous l’effet d’une tornade blanche apparue au-dessus des chênes. Mes yeux fixèrent le tourbillon, je succombais à son magnétisme.
Autour de moi, personne ne s'inquiétait, hormis maman : les enfants continuaient de jouer tranquillement près des toboggans et tourniquets sous le regard bienveillant de leurs parents. Certains adultes lisaient, d'autres papotaient. Des adolescents écoutaient de la musique, allongés dans l'herbe.
Ne voyaient-ils pas la menace qui pouvait fondre sur eux à tout instant ?
« Hé ho Fabien, tu es avec moi ? Je t’ai posé une question, s’énerva maman.
– Quoi ? » dis-je, apeuré, en continuant d’observer le tourbillon.
Ce dernier, bien qu’assez lointain, se rapprochait de nous. Il aurait pu tout emporter sur son passage...
Ce son, ces sifflements, ça n'en finissait pas.
« Mais tu trembles mon chou. Qu’est-ce qu’il y a ? Tu as de la fièvre ? »
Maman posa sa main sur mon front pour vérifier ma température.
« Non, tout a l’air d’aller bien, tu n’es pas brûlant », déclara-t-elle, songeuse.
Puis, brusquement, la panique s'empara de tout le monde – enfin presque. Mes parents, eux, demeuraient impassibles devant la folie du temps. Je perçus un voile dans leur regard, comme s'ils ne voyaient pas la même chose que moi !
Les adolescents sautaient et couraient comme des dératés pour tenter de fuir le parc en furie. Les mamans se hâtèrent d'empoigner leurs gosses qui criaient en voyant la tornade qui se rapprochait à un rythme démoniaque. Mais il était trop tard : le tourbillon déracinait les arbres dans des valses sanglantes et les projetait sur les visiteurs du parc. L'hystérie se mêlait aux cris de douleur et de surprise. Des enfants geignaient, mais leurs parents, coincés sous les troncs, ne pouvaient les calmer. Eux-mêmes imploraient l'aide d'autres personnes. Hélas c'était chacun pour soi. Tout le monde essayait de s'enfuir le plus rapidement possible pour éviter d'être broyé !
Aucune aide, aucun secours pour ces malheureux.
Non loin de là, le tourbillon emportait les landaus. Des bébés hurlaient, certains étaient recrachés des centaines de mètres plus loin. La tête écrasée et le corps explosé, leurs organes s'étalaient sur le sol ; ils baignaient dans leur sang.
Une gigantesque bouche qui avalait tout : arbres, animaux, humains, vélos... Un vrai carnage. Renforcé par une odeur pestilentielle !
Je croyais percevoir un sourire moqueur au sein de ce phénomène – encore une illusion, un effet de mon cerveau qui déraillait. Fébrile, je redoutais la suite.
Si nous ne réagissons pas immédiatement, papa, maman et moi, nous nous envolerons et retomberons en bouillie à notre tour !
Je tentai de courir, mais mes pieds étaient comme enracinés dans la terre. Des gouttes de sueur perlaient sur mon front, ma gorge s'asséchait et un liquide jaunâtre s'écoulait le long de mes jambes qui tremblaient aussi fort que les feuilles balayées par la tornade.
Mais pourquoi restait-on ici ? Il fallait partir, et vite ! Mes parents ne voyaient donc rien ?! « Hé, vous voyez pas qu'on va se faire avaler par la bourrasque si on reste ici ? Vous attendez quoi ? Cassons-nous. Vite. »
Maintenant, le tourbillon se dirigeait droit sur moi à une vitesse folle...
Mes parents restaient toujours statiques comme si aucun danger ne les menaçait.
Une autre bizarrerie me frappa : le temps semblait s'écouler au ralenti, car mon père n’avait réagi que tardivement ; d'après moi un truc clochait… Je n’eus pas le temps de réfléchir à la question, car une migraine m'étreignit brusquement. Ensuite, tout ne fut plus qu’un trou noir avant que la voix de mon père ne résonnât quelques instants plus tard.
La tornade, elle, avait disparu !
« Hé bonhomme, pourquoi tu t'arrêtes au milieu du chemin ? »
Papa venait de me heurter de plein fouet !
« Aïe ! Tu pourrais faire plus attention », rétorquai-je.
Je ne voulais pas laisser transparaître mon angoisse, mais ma voix tremblotait.
« Je crois qu’on va rentrer. Il tremble depuis tout à l’heure », s'inquiéta maman.
Papa me regarda et confirma :
« C'est vrai, tu n'as pas l'air bien. On visitera le parc une autre fois.
– J'ai besoin de toi », me supplia la fillette, qui me fit sursauter.
– Allez on rentre, tu nous couves quelque chose toi, suggéra mon père.
– Non, tout va bien ce n'est qu'un coup de chaud. On est mieux ici qu’à la maison.
– Tu es sûr que tu vas bien ? demanda maman.
– Ouais, je suis en pleine forme », répondis-je d’un ton que je voulais enjoué.
J'avais retrouvé des couleurs, le pic d'angoisse était passé, et une intuition m'indiquait que je devais rester dans ce parc. Quelqu'un attendait mon aide. Je ne pouvais pas vraiment l'expliquer, c'était ce que je ressentais.
« Bon, dans ce cas, allons nous asseoir », conclut papa.
Nous nous installâmes sur un banc ombragé. Papa sortit un livre de son sac, tandis que maman et moi regardions le paysage.
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