Chapitre 5
Trois jours s'étaient écoulés depuis le début des cours, mais pour Fanny, cela semblait une éternité. Sa classe n'avait pas changé depuis l'an passé. C'étaient les mêmes élèves et les mêmes professeurs qui se retrouvaient (sans compter les matières nouvelles). Et contrairement aux autres classes, qui acceptaient facilement la présence de nouveaux étudiants, celle de Fanny se montrait clairement hostile à cette idée. Une tragédie pour la jeune fille, dont les espoirs de se trouver un ami pour cette dernière année au lycée s'évanouissaient.
Baignant dans ses vêtements de sport, Fanny se savait encore plus laide que d'habitude. Ce matin-là, les deux premières heures de cours étaient consacrées au volley-ball, exercice qu'elle détestait, évidemment. Telles des déesses, Mathilde et sa bande passèrent devant elle sans s'en rendre compte. Leur short moulant et leur tee-shirt remontant au-dessus du nombril, elles se contemplaient dans les miroirs du vestiaire en se demandant quelle coiffure serait la plus conforme à leur tenue.
- Ne fais pas de chignon, tu risques de ressembler à l'autre horreur, disait Sophie à Charlotte Dante, ignorant toujours que ladite "horreur" se trouvait deux mètres plus loin.
Acquiesçant tout en se mordant les lèvres, la jeune fille attacha ses cheveux blonds en une élégante queue de cheval avant d'arranger sa frange lisse pendant plusieurs minutes - sans que Fanny décèle une quelconque différence à la fin de sa toilette.
Après avoir attendu cinq bonne minutes pour quitter le vestiaire - dans un silence des plus frappants -, Fanny entra finalement dans le gymnase. Profondément gênée par le ridicule de sa démarche, elle rejoignit les élèves de dernière année tout en restant légèrement à l'écart du groupe. De l'autre côté de la salle, des adolescents, que Fanny ne connaissait pas, s'adonnaient à l'activité dont elle serait bientôt victime.
Après quelques instants agités, la classe de la jeune fille se calma à l'approche du professeur, Monsieur Mondy. Ce dernier, petit mais costaud, posa les mains sur les hanches et attendit, les jambes ouvertes. Balayant l'attroupement du regard, il s'attarda un moment sur le groupe de Sophie et poussa un "Hmm" lourd de sens en découvrant la tenue, inadaptée à l'activité du jour.
- Allez accrocher les filets, dit-t-il, se désintéressant finalement des jeunes filles.
Alors que ces dernières préféraient gazouiller à la vue de ce qui échappait à Fanny, celle-ci jugea préférable de les oublier à son tour, et aida un garçon à arranger l'un des filets, malgré la hantise de sa fonction.
Quand le matériel fut installé, on définit les équipes et les parties s'engagèrent. Fanny, qui avait pris soin de prendre le poste le plus éloigné du filet, regretta plus ou moins sa décision quand on lui demanda d'engager les services. Elle dut, en plus de cela, rattraper les balles les plus longues, sans jamais réussir à faire autre chose qu'assommer ses coéquipiers. Monsieur Mondy, désespéré, exigea que l'étudiante aille s'asseoir sur le banc de touche "en attendant que la chance tourne". La lycéenne, soulagée, rejoignit le banc sans protester ou sous-entendre qu'elle pourrait bien rejouer.
Observant à nouveau Mathilde et Sophie qui attendaient, bras-dessus, bras-dessous, au milieu du terrain, Fanny était désormais convaincue que les jeunes filles roucoulaient à l'intention d'un élève, s'exerçant à l'autre bout du gymnase. Elle tourna la tête de ce côté et chercha le malheureux élu avec curiosité, mais fut incapable de l'identifier dans le flot continu de passes et d'élèves en mouvement.
- Qu'est-ce que tu regardes ? lança une voix grave, dénuée de toute animosité sans être particulièrement chaleureuse.
Fanny se retourna, surprise. Elle n'avait pas vraiment fait attention à ceux qui, comme elle, s'étaient fait recalés au jeu et attendaient la fin de l'heure avec impatience.
- C'est à moi que tu parles ? demanda-t-elle, timidement, en dévisageant l'être le plus excentrique qu'elle ait jamais vu.
- Tu vois quelqu'un d'autre ? grogna la voix grave, ayant sûrement pris la maladresse de Fanny pour de l'agressivité.
Dans la confusion la plus totale, Fanny resta muette. Son interlocutrice, plutôt petite et dotée d'un certain embonpoint, s'écrasait contre le mur. Ondoyants, ses cheveux roses étaient teintés de mèches orangées et coupés à ras. L'adolescente passait une main dans sa coiffure sans que cela lui ôte le style rebelle attendu. Dessinés, ses sourcils étaient noirs et imposants. Ses yeux, grands et durs comme l'ébène, avaient quelque chose d'exotique. Tandis que ses lèvres, roses et charnues, éveillaient des sensations agréables.
- Non, murmura Fanny, malgré les nombreux feignants. Je suis étonnée, c'est tout.
- De quoi ? reprit l'inconnue, sur un air à la fois nonchalant et intéressé.
Fanny hésita.
- Je n'ai pas l'habitude que l'on m'adresse la parole.
Étourdie, l'adolescente regretta déjà ses mots. Elle ne savait rien de cette fille, dont le physique s'opposait radicalement au sien, et voilà qu'elle lui confessait toute sa vie en une seule phrase.
Sans paraître étonnée ou embarrassée, l'étudiante aux cheveux roses fit une moue légère.
- Tu es...
- Fanny Rita-Lans, oui, coupa Fanny, sincèrement exaspérée que sa "réputation" ait fait le tour d'un lycée aussi grand que Marie Curie.
L'autre lycéenne sourit, d'un sourire amusé, non compatissant.
- Je suis Amandine. J'ai un nom de famille merdique, mais puisqu'on est dans la "confidence", dit-elle, ironique, c'est Poisson.
Amandine tendit le bras vers Fanny. Contemplant cette main offerte, la jeune fille sentit son petit cœur, si dépourvu d'amour, s'enflammer. Sentant les larmes lui monter aux yeux, ses lèvres tremblèrent quand elle pressa la chaude main de sa nouvelle connaissance.
- Enchantée, je suis...
- Fanny Rita-Lans, lui rappela l'autre élève.
Fanny considéra Amandine, bouche-bée. Et les jeunes filles pouffèrent.
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