Chapitre 7

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La vie est une succession de petites choses. Autrefois, ces choses avaient plus ou moins d'importance. Une femme, même laide, se trouvait un époux autrefois. Ou plutôt, lui trouvait-on un époux. Mais en quelques décennies, le rôle de la femme a changé (en Occident, du moins.) Celle-ci, plus indépendante qu'elle ne l'a jamais été, vit aujourd'hui en être libre. Libre dans ses relations. Libre dans sa vie.

"Libre ? Vraiment ?" pensa Fanny alors que sa mère les déposait devant le lycée.

Ses mains tenant fermement les bretelles de son sac, la jeune fille leva les yeux vers l'édifice et soupira. Pia, riant aux éclats, se rua vers l'entrée de l'établissement où patientait sa large bande d'amis. Les temps où l'élève de première année nécessitait la présence de son aînée pour visiter les couloirs du lycée semblaient révolus. Désormais, c'était presque Fanny qui avait besoin de la protection de sa sœur. Mais jamais la jeune femme ne tomberait aussi bas.

La fin de l'automne apportant son lot de vents froids, Fanny devait supporter la saison en serrant les dents. Ce jour-là, elle portait un long manteau brun qui dissimulait la moitié de ses jambes, une écharpe cachant la moitié de son visage et un bonnet couvrant son front considérable. Enfouie ainsi sous ses vêtements, l'adolescente se sentit un peu moins laide que d'habitude. Une impression qui fut confirmée par la diminution massive de sourires mesquins.

Il était huit heures du matin et comme tous les vendredis, Fanny se rendait à la bibliothèque. Puisque Pia commençait les cours à huit heures et elle à dix, aucun des parents Lans n'était prêt à effectuer deux trajets en voiture pour un intervalle aussi court. Fanny passait donc ce temps libre dans les livres de l'institution, récréatifs ou scolaires, tant qu'elle se trouvait dans le calme. La bibliothèque était particulièrement impressionnante à Marie Curie. Comptabilisant plus de quatre étages, on avait du mal à se retrouver entre les partitions de musique et les manuels de physique-chimie. Seuls les habitués ne pouvaient se tromper, et parcouraient les rayons avec aisance. Ayant consacré ses récréations entre ces murs pendant près de deux ans, Fanny avait eu le temps de lire une certaine part des livres proposés. À ses yeux, la bibliothèque était un repère agréable où se réfugier. Sans en être particulièrement étonnée, l'adolescente n'y avait jamais croisé Mathilde et ses disciples, ce qui ajoutait de la valeur à ce lieu plein de charme.

Marchant rapidement pour contrer la température glaciale, Fanny s'arrêta un instant devant son lacet défait, et s'accroupit en soupirant. Tournant vaguement la tête sur le côté tout en relaçant sa chaussure, elle fut parcourue d'un frisson quand elle découvrit le garçon qui s'était moqué d'elle devant la salle de classe de Pia, le jour de la rentrée. Surprenant son regard, celui-ci se détourna cette fois, l'air gêné, et simula une grande conversation avec ses amis. Fanny se redressa, reprit le pas et passa les portes de la bibliothèque, rouge de honte.

L'adolescente salua les bibliothécaires avec politesse et trouva une table pour étudier au premier étage. Dans la précipitation, elle n'avait pas remarqué que le garçon qui avait fui son regard entrait dans le bâtiment au moment où elle prenait l'escalier. Elle posa son sac sur la chaise voisine, elle se plongea dans sa version d'anglais avec pénibilité, et n'entendit pas les pas incertains qui se dirigeaient vers elle.

- Excuse-moi, est-ce que je peux m'asseoir ? demanda une voix douce qui surprit l'étudiante.

Fanny observa les autres tables, vides, et comprit la raison perverse de l'approche.

- Laisse-moi tranquille, dit-elle faiblement, effrayée par la tendresse de l'attaque.

Sans se décourager, le garçon fixa la jeune fille, le visage impassible.

- Je ne veux pas te faire de mal, reprit-il calmement.

Mais Fanny n'en croyait rien. Ramenant brusquement ses affaires à elle, elle s'enfuit sans rien dire, larmoyante. Bringuebalant, elle descendit l'escalier au pas de course et quitta les lieux sans se retourner.

Se précipitant dans les toilettes les plus proches, l'adolescente fondit dans une cabine, laissa ses affaires joncher le sol et s'effondra. Ramenant ses jambes contre sa poitrine, ses bras les enlacèrent, et son front proéminent cogna ses genoux. Son corps maigrelet se balançait de haut en bas, tandis qu'une petite voix effrénée l'envahissait. Elle fredonnait. Littéralement. C'était une musique qu'elle ne connaissait pas, mais dont elle inventait les notes au fur et à mesure qu'elle chantait.

Oui, Fanny avait perdu l'esprit. La maltraitance entraîne souvent cela. Quand les nerfs lâchent et qu'il n'y a plus de larmes à verser, c'est la conscience qui vacille.

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