Chapitre 10
Le médecin parcourait le dos de Fanny de son stéthoscope.
- Encore une fois, fit-il doucement.
Fanny s'exécuta. Assise sur un côté du lit, elle inspira profondément, puis expira.
La jeune fille n'était plus reliée à tous ces fils et ces machines qui l'immobilisaient. Une semaine s'était écoulée depuis l'agression, et son état s'améliorait peu à peu. Son médecin avait exigé qu'elle ne reçoive aucune visite jusque là - à part celle de sa famille. Mais aujourd'hui, il avait donné son accord : Fanny pourrait voir Amandine.
- C'est très bien, dit-t-il en rangeant son matériel. Tu pourras bientôt sortir d'ici, ajouta-t-il comme une bonne nouvelle.
Mais pour Fanny, cela ressemblait plutôt à un abandon dans un environnement hostile. Le médecin, qui aperçut la peur sur son visage, s'accroupit près d'elle.
- Fanny, je voulais te dire. Si tu souhaites changer d'établissement, il me suffit de remplir quelques papiers pour appuyer ta demande, murmura-t-il avec gravité.
La jeune fille tressaillit. "Changer d'établissement ?" Y avait-elle seulement songé ? Oui. Mais elle était convaincue que cela ne changerait rien. Elle resterait "l'immondice terrestre". "Fanny aux grandes dents." "Fanny aux doigts crochus." " Fanny, l'erreur de la nature." Et ne tarderait pas à se trouver une nouvelle fois dans la cuvette d'un water. Sa situation n'étant connue d'aucun autre lycée, qui la protégerait ? Alors qu'elle ne doutait pas qu'à Marie Curie, tous les élèves connaissaient déjà les causes de son passage à l'hôpital, ce qui donnerait du fil à retordre à ses potentiels agresseurs, à l'avenir.
Fanny avait tout fait pour persuader sa mère de ne pas porter plainte contre le lycée, ni d'écrire un article sur un sujet qui, et tout le monde s'en rendrait compte, la touchait directement. Pendant plusieurs jours, Madame Rita-Lans était restée sur ses positions. Fanny "avait besoin" de lire quelque chose qui la concernait, au point que sa mère insistait pour recueillir son propre témoignage. Mais pour la première fois de sa vie, l'adolescente s'était affirmée contre Madame Rita-Lans. "Oublier", c'était tout ce qu'elle voulait. Et sa mère finit par laisser tomber.
- Je ne pense pas que cela soit nécessaire, merci.
Le médecin soupira, mais ne se redressa pas. Hésitant une seconde, il se racla la gorge et reprit.
- Il existe aussi des spécialistes. Des gens qui pourraient t'aider à aller mieux.
Fanny fit les yeux ronds. Sa mère lui avait déjà proposé d'aller voir un psychologue, mais c'était toujours dans des situations très sarcastiques, en lieu d'injures plutôt qu'avec sérieux. Considérant la proposition comme une reconnaissance de sa déficience mentale, ses yeux s'humidifièrent. Décidément, même ses médecins lui trouvaient une anormalité naturelle.
- Je ne... ne... bégaya Fanny, sans savoir ce qu'il fallait répondre à tant mépris. Je ne suis pas folle... souffla-t-elle, sans assurance.
Stupéfait, le docteur eut un regain d'affection pour la jeune fille.
- Bien sûr que non ! raffermit-il. Ce n'est pas être fou que d'aller parler de ses problèmes à un professionnel.
- Mais je n'ai pas de problème !
- Si, Fanny. Tu en as.
La jeune fille étouffa un sanglot et plongea son visage dans ses mains. Le médecin, compatissant, toucha son épaule avec douceur.
- Je peux te donner certaines adresses, reprit-il gentiment. Je t'assure que cela pourrait te faire beaucoup de bien...
Fanny releva brusquement la tête, le regard noir.
- Parce que vous croyez que cela arrêtera les harcèlements ?! s'exclama-t-elle, piquée à vif.
Le docteur baissa les yeux.
- Je t'ai proposé de changer d'établissement. C'est toi qui ne le veux pas.
- PARCE QUE ÇA NE CHANGERA RIEN ! JE SUIS MOCHE ! JE SUIS HORRIBLE ! JE SUIS ABJECTE ! JE SUIS UN MONSTRE !
Horrifié, le médecin regarda Fanny, debout, les poings serrés, le souffle haletant, le visage dur.
Face aux hurlements de la jeune fille, aucun Lans ne se présenta dans la chambre. La mère de famille était retournée au Métropole, son époux dormait pour avoir également repris le travail, et Pia se trouvait au lycée.
- Fanny... commença le docteur.
Mais la phrase s'arrêta là. L'homme pouvait-il mentir à la jeune fille en lui disant qu'elle était belle ? Non. Il y a des choses qui, même si elles font mal, ne peuvent être contredites.
- Tu n'es pas un monstre, murmura-t-il enfin. Tu n'as pas conscience des innombrables qualités que tu as.
- Parce-que vous, si ? lança Fanny, impitoyable.
La poitrine du médecin s'abaissa quand il retrouva le regard de la jeune fille.
- Tu n'as pas dit un mot quand ta mère t'as provoquée en lançant que ça ne l'avançait à rien d'avoir une fille dépressive, puisque tu refusais de participer à son article. Tu as assuré à tes parents que ton état était suffisamment stable pour qu'ils puissent reprendre leurs activités, alors que nous savions tous les deux combien tu étais souffrante à ce moment-là. Tu as laissé ta sœur parler de problèmes secondaires sans rien ajouter sur toi pour ne pas l'effrayer, alors que tu vivais et vis toujours dans l'angoisse. Alors oui, Fanny. Tu es quelqu'un de bien.
- Vous avez vu tout ça ? frémit Fanny, réalisant combien son intimité avait été affichée.
- En vérité, ce n'est pas si dur, commença le médecin, sans se sentir désolé. La bonté chez les gens est une chose rare. Quand elle se déclare, elle illumine tout ce qui se trouve autour d'elle, et rayonne de beauté.
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