Chapitre 15
Quand la professeure de littérature approcha, Fanny se leva, rangea le livre dont les mots lui échappaient depuis l'arrivée du groupe de Mathilde, et patienta, tel un automate. Madame Sarrel cherchait désespérément le moyen d'ouvrir la porte, tandis que les regards accusateurs de ses anciennes agresseuses pesaient sur l'adolescente. Lorsque la porte s'ouvrit enfin, la jeune fille se précipita dans la salle et prit place à sa table dans une attitude affligeante. Quelque chose inquiétait particulièrement Fanny. Les éternels sourires de Mathilde et autres avaient disparu. A la place, les regards noirs et les rictus hautains n'exprimaient que colère et dégoût. L'étudiante ne sortirait pas indemne de "l'affront" qu'elle avait causé en discutant avec Gatien Illys. Les adolescentes la martyriseraient peut-être à la sortie de l'établissement, de sorte que Marie Curie ne pourrait les renvoyer en apprenant qu'une nouvelle attaque entre élèves s'était produite, mais hors du lycée.
Quand elle entendait son nom dans les sifflements incessants, Fanny tournait naturellement la tête, et son cœur s'emballait. Se mordant les lèvres jusqu'à en saigner, la jeune fille passait une main frémissante sur son front et sentait la chaleur l'envahir. Elle aurait tout donné pour troquer son pull et son jean contre une tenue estivale, maintenant que deux auréoles apparaissaient sous ses aisselles. Les rires qui s'élevèrent dans la salle en furent peut-être la cause. Quoi qu'il en soit, Fanny peinait désormais à respirer, et tentait, inutilement, de n'en rien montrer.
Après une heure de cours, la professeur suggéra une pause le temps de se prendre un café. Incapable de rester tranquille dans une pièce remplie de vipères sans surveillance, Fanny se leva, décidée à s'enfermer dans les toilettes jusqu'à ce que la pause prenne fin. Mais alors Mathilde, Sophie et Tessa Augier, se postèrent devant sa table.
- On peut savoir où tu vas, Quasimodo ?
Fanny suffoqua. Se laissant tomber sur sa chaise tandis que Tessa envoyait un pied dans le siège, la victime se retrouva par terre. Ne trouvant aucune échappatoire, la jeune fille attendait l'aide des autres élèves. En vain. Certains trouvaient un intérêt soudain à la leçon du jour, et les autres observaient la scène avec un plaisir non dissimulé. De toute évidence, l'épisode "Fanny Rita-Lans à l'hôpital" était déjà oublié.
Sophie courba le dos, dangereuse. Son visage exprimait une hargne comme l'adolescente n'en avait jamais connue.
- Tu crois vraiment qu'il veut te revoir par "sympathie" ? cracha la belle et grande créature.
La voix de Sophie se voulait méprisante, mais Fanny décela une note d'inquiétude qui la troublât profondément.
Voici peut-être la grande ironie de l'histoire : Fanny était plutôt douée pour reconnaître les sentiments des autres, mais ne réussissait pas à les identifier quand elle en faisait l'objet (ce qui peut s'expliquer lorsque l'on manque d'amour). Ainsi, elle comprit assez vite que Sophie était la plus déterminée de son groupe à séduire Gatien, sans avoir jamais perçu le regard admiratif que ce même Gatien lui portait.
La lycéenne aux cheveux noirs jetait des yeux fous au portable de sa victime, abandonné sur la table. Et alors que celle-ci saisissait l'absurdité de la situation, la harceleuse s'empara du téléphone et le jeta au sol. Rebondissant, l'objet se démantela sous les yeux horrifiés de sa propriétaire. Gémissant, cette dernière se recroquevilla. Il était clair, désormais, que Sophie comprenait le départ de Fanny comme une intention de rejoindre Gatien. Un rendez-vous que Fanny aurait planifié à la dernière minute.
- T'as pas intérêt à l'approcher ! Tu crois qu'il serait assez dérangé pour baiser un laideron comme toi ?!
Fanny pleurait, non pour la dureté des mots qui lui étaient adressés, mais par peur. Une peur inimaginable pour la plupart des gens. Une peur qui conduit à l'isolement, à la folie, et enfin, au pire des actes.
- Non, non, non... couinait le souffre-douleur en hochant la tête.
A cet instant, des bruits de talons résonnèrent dans le couloir et tout le monde reprit sa place. Plongée dans un état second, Fanny se releva en s'appuyant contre la chaise dans une ardeur désolante. Tremblante, elle feignit l'indifférence au retour de l'enseignante. Mais, manquant de crédibilité, son état intrigua Madame Sarrel.
- Quelque chose ne va pas, Rita-Lans ?
Elle appelait toujours les élèves par leur nom de famile.
Un frisson parcourut Fanny. Prête à défaillir, elle sentait le poids du monde sur ses épaules. Condamnée, quelle que soit sa version des faits, elle ne pouvait concevoir, pour autant, d'offrir la vérité à l'institutrice. En mentant, le cauchemar restait cauchemar. Mais en avouant tout, elle voyait déjà la mort au bout du tunnel.
Alors que l'adolescente cherchait un bon bobard à raconter, le regard de la professeur s'égara sur le plancher. Le visage contracté, elle jugea les restes du portable avec raideur.
- Qu'est-ce que c'est que ça ?
La classe frémit. Face au macchabée, Madame Sarrel regardait tour à tour Fanny et Mathilde, sans hésiter.
- J'attends ! s'exclama-t-elle soudain.
Fanny avala sa salive.
- C'est ma faute, Madame... Je suis allée aux toilettes et quand je suis revenue, j'ai trébuché et mon portable est tombé.
Peu convaincue, l'enseignante fusillait toujours Mathilde du regard. Celle-ci, insensible devant le smartphone brisé mais secouée par l'attitude du professeur, resta muette.
- Vous deux, suivez-moi, tonna Madame Sarrel en pointant un doigt vers Mathilde puis Fanny.
Pétrifiée, cette dernière trébucha, vraiment cette fois, quand elle passa la porte de la salle aux côtés d'une Mathilde livide et d'une enseignante possédée.
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