Chapitre 23
- Arrête mec, déconne pas !
Gatien s'était levé, faisant face à un Joris légèrement plus grand que lui. Levant un sourcil, Joris rit encore devant l'attitude de son ami, mais voyant que Gatien restait inflexible, reprit peu à peu son calme. Il dévisageait son camarade singulièrement. À la fois brusqué et perplexe, il leva le menton d'un air supérieur. Sa bande, légèrement en retrait, s'interrogeait tout autant. Certes, Gatien avait la réputation d'être un garçon peu grossier, mais il ne s'était jamais opposé à ce que les autres le soient. Or aujourd'hui, il prenait position, et pour La Chose.
- Fous-moi la paix.
Joris tenta de passer la barrière gatienne mais fut repoussé. Agacé, il chercha à contourner son ami, mais ce dernier était vif et l'arrêta encore. La tension croissant, Fanny pria le ciel de lui offrir une solution pour mettre fin à tout ça. D'un geste violent, Joris écarta son camarade qui vacilla. Horrifié, Gatien voyant l'autre lycéen s'approcher dangereusement de Fanny, se releva, et le plaqua au sol, faisant tomber quelques livres d'une étagère au passage.
Sans réfléchir davantage, la jeune fille attrapa son portable et composa le numéro de Luc - qu'elle ne connaissait que depuis deux jours -. Alors qu'ils ne s'étaient vus qu'une fois, cet après-midi enneigé, elle ne voyait pas comment s'en sortir sans son intervention - même si elle n'était pas sûre que cela arrangerait les choses -. Luc était costaud, grand et assez intimidant au premier abord. Mais l'aiderait-il seulement ? Était-il en cours et serait-il prêt à le quitter pour venir en aide à une quasi-inconnue ? Fanny l'ignorait, mais n'avait pas d'autre choix. Derrière elle se trouvait le mur du bâtiment, sur les côtés des étagères, et devant elle le groupe de Joris. Elle envoya un message d'appel à l'aide, et attendit en retenant ses larmes.
Au sol, les deux garçons se battaient tandis que leurs amis patientaient, indécis, les mains dans les poches. Voyant des poings se lever, Fanny rangea son devoir et ses affaires en hâte. Alors que la bande ne s'intéressait plus à elle depuis quelques temps, l'adolescente hésita. Aussi fine que silencieuse, elle pouvait passer à travers les mailles du filet, mais risquait d'être surprise.
Alors que les minutes s'éternisaient, le pied de Fanny frappait nerveusement le sol sans que cela interpelle qui que ce soit, et ses doigts tenaient fermement le sac qui attendait sur ses genoux. Elle assistait au même spectacle que les autres, sauf qu'elle, n'en ressentait aucune stimulation. En effet, le groupe, sans vraiment saisir le pourquoi du combat, lançait les paris dans une fébrilité déconcertante. Fanny, écœurée, ne disait rien. Son seul désir était de partir le plus loin possible. Pour autant, elle restait clouée sur sa chaise. Sa conscience lui rappelait que Gatien la défendait et qu'elle n'avait donc pas le droit de l'abandonner. Mais la plupart du temps, son instinct de survie la supplantait.
Dans un geste mécanique, la jeune fille se leva soudain et marcha en direction de la bande agressive. Ayant remarqué un trou suffisamment large entre la bibliothèque et l'un des étudiants, elle s'y glissa et, le cœur battant, respira profondément. Certaine que la course la révélerait, elle se dirigea vers l'escalier en marchant. Malheureusement pour elle, ce fut peu avant d'atteindre la première marche qu'un lycéen observa nonchalamment sa table, et la découvrit vide. Sa tête déviant vers elle, il cria son nom en la pointant du doigt. Terrorisée, Fanny dévala l'escalier alors que la troupe entière se précipitait derrière elle. Plus rapides, les garçons l'arrêtèrent devant le porte et l'encerclèrent face à des bibliothécaires livides mais muets.
Les adolescents palpaient son corps avec dégoût lorsqu'une main gigantesque broya l'épaule de l'un d'eux, et le rejeta deux mètres plus loin. Décontenancés, les secondes observaient Luc Asvaldi avec effroi, et s'écartèrent. Haletante, Fanny pleurait abondamment et se colla au terminale dans un sentiment de sécurité absolue. Sans la repousser, le garçon fusillait les gamins du regard alors que Joris et Gatien arrivaient, transpirant et bien amochés. Gatien avait un œil au beurre noir et les lèvres de Joris étaient boursoufflées. Ce dernier n'avait plus sa casquette, et les deux garçons étaient totalement décoiffés.
Observant l'adolescente serrée à Luc, Gatien tressauta.
- Fanny, fit-il dans un geste désespéré.
Mais Luc, qui ne savait rien de l'histoire, prit l'approche du lycéen comme une attaque et l'envoya au sol. Gatien, aussi assommé qu'excédé, toisa durement l'autre adolescent, et s'emporta en se jetant sur lui.
- Non, Gatien, non ! s'étrangla Fanny alors que Luc se débarrassait à nouveau du garçon sans s'essouffler.
Gatien se releva, et passa une main sur sa bouche ensanglantée en fronçant les sourcils. Triste et amer, il s'en alla sans rien dire. Joris, qui semblait déjà regretter leur dispute, se précipita à sa suite tandis que les autres adolescents les suivaient, au pas.
- Est-ce que tout va bien ? demanda Luc en posant deux mains inquiètes sur les épaules de Fanny.
La jeune fille secoua la tête, et s'effondra.
- Non ça ne va pas… Rien ne va, gémit l'étudiante alors que le personnel se cachait toujours derrière ses livres.
Luc savait qu'elle était "la" Fanny Rita-Lans. La lycéenne avait dû le lui avouer quand ils s'étaient échangés leur numéro. Pour autant, il ne s'était pas rétracté, et avait même accepté de la revoir avec plaisir. Aujourd'hui, il avait fait preuve d'une témérité dont l'adolescente était reconnaissante. Mais peut-être finirait-il par regretter son acte…
Bientôt, la jeune fille fut comprimée entre les bras musclés de Luc et son imposante poitrine. Pourtant elle appréciait ce contact bienveillant, et remercia le lycéen avant de s'écarter. Luc contemplait Fanny, mélancolique, et ramena une mèche de cheveux derrière son oreille. L'étudiante frissonna tandis que son sac lui échappait des doigts.
- Tu peux compter sur moi, Fanny. Je ne laisserai plus jamais personne te faire du mal…
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