Chapitre 32
Avis aux jeunes lecteurs et aux personnalités sensibles : ce chapitre contient de la violence verbale accrue.)
- Qu'est-ce t'as dit ?!
Madame Randome attrapa le rouleau à pâtisserie qui trainait sur la table et le leva au-dessus de Mathilde. Paniquée, la jeune fille se recroquevilla dans un coin de la pièce et, impuissante, protégea sa tête de ses bras.
- Allez, répète ça, p'tite salope !
L'adolescente gémissait de peur. Le cœur battant à tout rompre, elle se demandait si ce jour serait le dernier de sa vie lorsqu'un homme claqua la porte de la cuisine derrière lui.
- C'est quoi c'boucan ? On vous entend d'puis l'jardin ! grogna-t-il sans sembler horrifié par ce qu'il découvrait.
- Toi, ferme-là ! hurla la maîtresse de maison. On t'a pas sonné !
- Chui chez moi et j'fais c'que j'veux ! s'écria alors son mari.
Terrorisée, Mathilde déplia légèrement les bras et regarda le paternel. Avec un peu de chance, une nouvelle dispute allait éclater entre les époux, et la jeune fille pourrait rejoindre sa chambre dans la plus grande discrétion.
- T'es chez moi, pauvre con ! répondit Madame Randome, peu intimidée par l'imposante carrure de l'homme ou par sa voix tonitruante. Et d'ailleurs, ça fait longtemps qu't'aurais dû t'tirer d'ici ! Tu verras, j'te collerai un procès au cul si tu continues d'squatter ma baraque !
- Ouais, c'est ça : cause toujours ! gaussa l'autre dans une gestuelle provocatrice. Tu m'rassènes ça d'puis des s'maines mais tu sais qu't'as pas un rond pour payer un avocat ! Et puis, si t'arrêtais d'te faire virer dès qu't'entames un travail, on en s'rait plus à partager l'même toit ! Tu d'vrais même me r'mercier d'rester. Sans moi, t'es que dalle.
Soudain, le rouleau à pâtisserie changea de cible et se rapprocha dangereusement de l'offenseur.
- J'vais t'tuer, comme ça, j'aurai plus b'soin d'un avocat et j'toucherai tout ton fric !
Mais avant que Madame Randome ne fracasse le crâne de son époux, celui-ci s'empara d'un large couteau, également laissé sur la table, et le positionna de façon à créer une barrière entre sa femme et lui.
- C'est moi qui vais t'saigner ! Et même si tu m'tuais, j't'aurais jamais rien légué.
En temps normal, la situation aurait inquiété n'importe qui. Mais Mathilde, qui ne connaissait que trop bien ses parents, n'y vit qu'une opportunité : celle de se retirer. Elle effectua alors chacun de ses gestes avec lenteur et concentration. Se relevant, elle glissa ensuite le long du mur pour atteindre la porte qui s'ouvrait sur le salon. Mais alors que sa main, tremblante, s'engouffrait dans le trou béant, une autre, plus menaçante, attrapait violemment son épaule et la poussait vers le patriarche.
- Où tu crois aller comme ça ? tonna Madame Randome, folle de rage.
Mathilde faillit chuter dans sa lancée, mais se rattrapa à la dernière seconde. Son père, vêtu d'un débardeur blanc et d'un jean terreux, la toisa comme si elle était responsable de l'altercation entre les deux adultes. Livide, l'adolescente recula bêtement avant d'être arrêtée par sa mère. En no man's land, la jeune fille attendait, pétrifiée, le jugement de ses parents.
- Elle m'a traitée d'vieille peau ! lança la maîtresse de maison.
Son mari s'esclaffa.
- En même temps, t'es une vieille peau !
- Ferme-là ! C'est ta faute si la gosse prend autant d'liberté !
- Tu t'fous d'moi ? C'est pas moi qui l'ai éduquée !
- T'es pas un exemple pour elle !
- Moi, chui pas un exemple ? Regarde-la, se déchaîna Monsieur Randome en soulevant les boucles brunes de Mathilde. Elle s'coiffe, s'maquille et s'habille comme une pute. Et ça, c'est à cause de toi !
La tension était palpable, mais l'adolescente ne disait mot. Rien ne laissait paraître la douleur et l'humiliation qui l'agitaient intérieurement.
- La seule différence entre vous deux, c'est qu'au moins, elle, elle est bonne ! ajouta l'homme. Elle attire tous les p'tits culs d'la ville... D'ailleurs, Bravo Mathilde ! fit-il pour obliger l'interpellée à le regarder. L'élève a dépassé le maître, vu qu'toi, t'arrives à baiser sans payer !
La lycéenne ferma les yeux et ravala les restes de sa fierté. La larme qu'elle avait cherché à retenir s'écrasa contre sa joue, et ne put échapper à son père qui s'en moqua.
- Quelle chochotte ! T'es pas une fille pour rien, toi !
Les bras toujours croisés, la matriarche fronça les sourcils.
- Qu'est-ce tu veux dire encore, macho de mes deux ?!
L'homme ne répondit pas tout de suite. La mini-jupe de sa fille avait éveillé ses sens, et il passait un doigt entre ses plis en l'examinant consciencieusement pendant que Mathilde tremblait.
- Oh ! J'te parle !
Monsieur Randome releva les yeux, comme extirpé d'un songe paisible, puis observa sa femme avec mépris.
- Bah quoi ?! C'est bien les filles qui chouinent sans arrêt ! Nous, les mecs, on a plus de nerfs !
Sans prévenir, la maîtresse de maison lui assena, cette fois, un coup terrible sur la tête.
- Mais certains manquent de couilles !
Ne réussissant plus à se calmer, Mathilde explosa en sanglots. Plaquant ses mains contre ses joues, elle hoquetait comme une enfant devant une mère écœurée et un père assommé.
- Allez, sale chienne, dégage avant que j'te frappe aussi, grommela Madame Randome en pointant son rouleau vers l'adolescente.
Frémissante, cette dernière trébucha plusieurs fois en cherchant à rejoindre le salon, ce qui exaspéra encore plus sa mère. Elle dut ensuite se tenir à différents meubles pour ne pas tomber sous l'effet du vacillement, et monta l'escalier avec plus de peine que de plaisir. Enfin, elle referma la porte de sa chambre dans un bruit sourd, et s'effondra par terre, le corps agité de spasmes.
Affligée, elle reprit un peu ses esprits au chant court d'un oiseau, et utilisa ses dernières forces pour se rendre jusqu'à son lit, saisir son portable, et lire le message qu'elle venait de recevoir. Sur sa photo de profil, Sophie Calice portait une robe moulante et ses lèvres rouges s'accompagnaient d'un maquillage des yeux particulièrement sombre. En véritable bimbo, elle gonflait sa bouche en cul de poule et mettait sa poitrine en avant. Mais aussi sexy fut-elle, sa figure n'arracha qu'un maigre sourire à la malheureuse Mathilde.
"Salut, Pétasse ! J'ai un super plan à te proposer et je suis sûre que tu vas A-D-O-R-E-R ! Ça concerne l'Affreuse donc ce sera forcément marrant. Je peux t'appeler pour te raconter tout ça ? :D"
Mathilde renifla bruyamment. Elle n'avait pas oublié ce que Fanny avait fait pour elle dans le bureau du directeur afin de lui épargner son renvoi, mais n'en comprenait toujours pas la raison. Encore émue, elle hésita longuement, puis s'apprêta à écrire son message quand elle se ravisa à la dernière seconde... Elle ne pouvait taper quelque chose d'aussi brutal et aberrant ! Il en allait de son honneur ! Elle devait défendre la véritable opprimée ! La martyre depuis toujours ! Aussi écrivit-elle :
"Bien sûr, je t'attends."
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