- Grouille-toi, Fanny !

Madame Rita-Lans croisait les bras et tapait du pied, agacée. Sa fille aînée laçait ses chaussures avec lenteur, et ne semblait pas se préoccuper du retard qu'elle infligeait à sa mère. Au contraire, elle se redressa et attrapa sa veste dans une indifférence totale. La matriarche fronça les sourcils, intriguée, puis ouvrit la porte de la maison pour laisser passer l'adolescente avant de la refermer derrière elle. Pia attendait déjà dans la voiture, et envoyait des messages sur son portable en souriant à peine. Madame Rita-Lans leva les yeux au ciel, puis entra dans le véhicule à la suite de Fanny.

- Qu'est-ce qui se passe en ce moment ? fit-elle après avoir jeté quelques coups d'œil inquiets à sa fille aînée. Tu es pâlotte et tu restes dans ton coin...

L'étudiante quitta sa fenêtre pour regarder sa mère, l'air vague.

- Bon je ne dis pas que tu es un moulin à paroles d'habitude, mais là, je m'inquiète.

- Je... Je dors mal, c'est tout.

La génitrice continua d'épier Fanny, peu convaincue.

- On te harcèle encore au lycée ?

La jeune fille tressaillit, puis jeta un coup d'œil embarrassé à sa cadette qui, d'une oreille indiscrète, écoutait clairement la conversation.

- Non, bégaya-t-elle. Qu'est-ce que tu racontes ?

- Et bien, que si elles ont recommencé...

- Personne n'a rien fait, arrête ! s'enflamma la lycéenne, rouge de honte.

- Tout ce que je dis, c'est que si j'apprends qu'elles t'ont encore torturée, je ne laisserais rien passer cette fois.

- Personne ne me torture, sanglota l'adolescente.

La mère de famille ne s'intéressa pas à la détresse de sa fille, mais fixait la route avec attention.

- Je n'aime pas ça, Fanny. Ces mensonges vont te tuer !

- Je ne mens pas.

- Ah, ne me la fais pas à moi ! Tu me prends pour une idiote ?!

- Je t'assure, Maman...

- Oui, c'est ça ! Et moi je te promets que je vais me rendre au commissariat le plus vite possible pour régler cette histoire une bonne fois pour toute !

Fanny écarquilla les yeux, terrorisée.

- Non !

- Si, jeune fille ! J'en ai marre de tout ça !

- Mais je t'assure...

- ARRETE !

Les deux soeurs retinrent leur souffle.

- Je... Je ne dors plus... Vraiment... pleurait maintenant la lycéenne.

- Évidemment que tu ne dors plus ! Avec des élèves pareil, on ne peut que cauchemarder toutes les nuits !

Pia fit la moue au moment où Madame Rita-Lans jetait un œil dans son rétroviseur intérieur.

- Qu'est-ce que tu as, toi ? Un truc à dire ?! s'énerva-t-elle.

- Ouais, lança l'adolescente sur le même ton. Tu vois le mal partout ! Tu crois que tous les élèves sont des pourris, alors que c'est pas vrai !

- Évidemment ! Tu ne traines qu'avec des pétasses qui harcèlent ta sœur à longueur de temps ! Qu'est-ce que tu connais à la loyauté et à la bienveillance ?!

- ELLES NE S'EN SONT JAMAIS PRIS À FANNY ET CE NE SONT PAS DES PÉTASSES !

- Oh, mais je ne t'en veux pas ! Moi aussi j'étais une pétasse dans le temps ! J'espérais juste que tu ne reproduirais pas mes erreurs...

Fanny cessa de respirer quelques instants. Tendue, sa mère prit soudain conscience de ce qu'elle venait de dire, et un silence pesant s'installa. Cette révélation avait ébranlé tout le véhicule, et Fanny semblait plongée dans une nouvelle réflexion qui mortifia sa génitrice.

- Je... Je n'ai jamais... essaya celle-ci devant le visage livide mais froid de sa fille aînée.

Fanny fit taire la matriarche d'une main inflexible, puis se retourna vers la fenêtre.

Quand la voiture s'arrêta, l'étudiante fut la première à ouvrir la porte ; mais Madame Rita-Lans attrapa son bras et la força à se rasseoir. Pia, elle, ne savait que faire. Sa mère la foudroya alors du regard et claqua des doigts, la poussant à partir.

- Lâche-moi, murmura Fanny avec raideur.

- Il faut que tu saches...

- Je m'en moque. Fais ce que tu veux. Va au commissariat si ça peut te permettre de te racheter.

- Non, Fanny. Ca n'a rien à voir...

- J'ai cours dans cinq minutes.

- S'il te plaît, écoute moi...

La lycéenne observa sa mère avec dégoût.

- Comment oses-tu faire la morale à Pia alors que tu harcelais d'autres personnes à mon âge ?!

- J'étais jeune et bête... C'est une époque révolue...

- Ca te va bien de dire ça ! Tu as repensé aux victimes que tu as laissé derrière toi ?!

- Je ne me cherche pas d'excuse. Mais ces personnes, je ne les ai jamais envoyées à l'hôpital, moi !

- Ca m'est égal. La violence verbale peut être pire que la violence physique.

Fanny chercha de nouveau à s'en aller, mais fut encore arrêtée par sa mère.

- Je vais vraiment être en retard !

- Une seconde...

- Quoi ?!

- Je ne veux que ton bien...

- Super !

L'adolescente se détacha de sa génitrice, et s'en alla sans rien ajouter. Dans la voiture, Madame Rita-Lans respirait difficilement.

"Qu'avait-elle dit ?!"

Elle redémarra l'auto, l'air hagard, et s'en alla pour rejoindre ses bureaux. Mais au moment de quitter la départementale, elle changea d'avis, et s'engagea dans un rond point pour reprendre la direction du lycée. Ses mains glissaient sur le volant, et elle hésitait toujours à aller jusqu'au bout de sa démarche quand elle s'arrêta sur un parking où peu de véhicules étaient garés. Enfin, elle se décida à quitter sa voiture, se dirigea vers le seul bâtiment à l'horizon, et y entra, le cœur battant.

*Je ne veux que ton bien...*

- Bonjour, dit-elle en découvrant l'accueil.

- Bonjour, répondit un petit homme de forte taille. C'est pour quoi ?

- Je souhaite porter plainte.

- Ah... Encore une femme battue... rumina-t-il.

- Je vous demande pardon ?

- Non, rien... Attendez deux secondes.

L'homme attrapa un vieux téléphone à touches sur son bureau et composa un numéro.

- Ouais, c'est pour une plainte, dit-il sans détour à son communiquant. Je te l'envoie.

Puis il raccrocha.

- Vous allez tout droit puis vous tournez à gauche. Là vous toquez à la première porte sur votre droite. Quelqu'un va prendre votre déposition.

L'homme n'ajouta rien, et reporta toute son attention sur ses papiers. Madame Rita-Lans remercia à peine le service d'accueil, infect, puis suivit le chemin qu'on lui avait indiqué. Enfin, elle entra dans une petite salle où se trouvait déjà un agent derrière son bureau. Le policier salua la femme, et tous deux s'assirent autour de la table. L'homme était grand, musclé, et assez impressionnant. Ses cheveux bruns étaient rasés de près, et ses yeux noisettes tout-à-fait charmants.

- Que puis-je pour vous ? dit-il d'une voix grave et séduisante avant de lancer l'enregistrement.

Madame Rita-Lans prit une grande inspiration avant de parler.

- Je veux porter plainte pour harcèlement...

- sexuel ?

- scolaire !

L'agent tira une grimace que Madame Rita-Lans reçut comme une injure.

- Ma fille est en terminale et elle se fait continuellement lyncher par les autres élèves, continua-t-elle pourtant avec calme.

- Et où est-elle, votre fille ?

- En cours, bredouilla la femme, surprise.

- Ce qui n'est pas très responsable... se permit le policier comme si la mère de Fanny n'était déjà plus là.

- Écoutez, elle ne sait pas que je suis ici, d'accord ?! C'est pour ça que je suis venue seule.

L'homme plissa les yeux et, coudes sur la table, détailla la plaignante sans un mot.

- Il faut pourtant qu'elle soit présente pour que je puisse enregistrer une déposition sérieuse et envoyer le procès-verbal au procureur.

Madame Rita-Lans s'agitait sur place, terriblement angoissée.

- Imaginez que votre enfant refuse de témoigner contre ses agresseurs par peur qu'ils s'en prennent à lui ou elle ensuite, que feriez-vous ?!

- Madame, je partage votre peine, je vous assure. Je suis père, mais je sais aussi comment la justice fonctionne. Je ne fais que mon travail. Revenez avec votre fille pour établir des preuves concrètes. En attendant, je ne peux entreprendre aucune affaire.

À cet instant, la mère de famille plaqua ses mains sur le bureau, et plongea son regard vif dans celui du policier.

- Il y a eu une vidéo.

L'homme haussa les sourcils.

- Vous dites ?

- Une vidéo où on lui plongeait la tête dans une cuvette des toilettes. Elle a été partagée sur les réseaux sociaux et ma fille en a terriblement souffert. Ce serait une preuve suffisante pour lancer l'affaire, non ?

L'agent se redressa, hostile mais intéressé.

- Une vidéo sur les réseaux sociaux ? répéta-t-il.

- Oui.

- Apportez-la moi.

- C'est-à-dire... qu'elle a été supprimée par son envoyeur... Mais je connais les garces qui ont fait ça ; alors vous pourriez peut-être la retrouver.

Le visage du policier s'endurcit.

- Comment s'appelle votre fille ?

- Fanny Rita-Lans.

L'homme arrêta l'enregistrement, l'effaça, et en démarra un nouveau.

- Je vous écoute.