Chapitre 56

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PAF

La tête de Louis vira sur le côté droit. Le garçon, assommé par la claque que sa mère venait de lui administrer, se tint la joue sans rien dire. Furieuse, Madame Nattier avait envoyé valser le téléphone dans la cuisine après son appel, et marchait dans la pièce avec nervosité. Enfin, elle s'arrêta, se tourna vers son fils, et le pointa d'un doigt inquiétant.

- Toi...

Le jeune homme perdit toute couleur.

- Tu dois avoir une petite idée de la personne que je viens d'avoir au bout du fil, reprit-elle.

- Laisse-moi t'expliquer... gémit l'adolescent.

- Non. C'est moi qui vais t'expliquer les choses.

Madame Nattier attrapa le sac à dos que Louis avait abandonné sur la table et le lui jeta.

- C'est simple. Tu règles ce problème demain, ou j'appelle tous les internats de France jusqu'à ce que l'un d'eux ait le courage de t'accepter. Tu ne me laisses plus le choix. Je suis à bout.

Terrifié, le garçon se sentit fondre sur place.

- C'est... C'est cette prof, elle a dit que j'étais stupide !

- Et elle a bien raison.

- S'il te plaît, couina Louis en tombant à genoux, donne-moi une autre chance.

- Relève-toi, idiot. Des chances, je t'en ai suffisamment accordées.

- Ne m'envoie pas dans l'un de ces pensionnats où les lycéens sont fouettés pour ne pas avoir fini leur assiette !

- Si ça peut te permettre de rester tranquille, je n'y vois pas d'inconvénient. Et je contacterai d'abord Saint Jean-Baptiste de la Salle.

Louis sentit les battements de son cœur s'accélérer.

- NON ! PAS J-B !

- C'est l'internat le plus proche d'ici, tu devrais t'en réjouir.

- Mélanie m'a dit qu'ont y punissait les étudiants à coups de règle sur les doigts !

- Mélanie est une élève sans cervelle qui n'est ni un exemple de conduite, ni une source de renseignements fiable.

- L'insulte pas !

- Je constate, c'est tout. Et puisque vous vous ressemblez tant tous les deux, vous serez sûrement heureux de vivre l'expérience de l'éducation renforcée ensemble.

- Maman... Pitié...

- Oh, arrête ton numéro ! Si tu avais fait quelques efforts, tu aurais servi ce cinéma à ton club de théâtre et tu serais resté à Marie Curie.

Le garçon baissa la tête, pensif.

- Le théâtre...

- Oui, le théâtre ! Je n'arrive pas à croire que mon vagin ait pu expulser un crétin pareil ! On peut dire merci à ton père pour le gamin immature et condescendant que tu es devenu ! Ses gènes y sont pour quelque chose !

- Je veux pas aller en internat.

- Dungan ne veut plus de toi, et c'est compréhensible !

- Je... Je vais arranger les choses.

Madame Nattier eut un rire cynique.

- C'est ça, arrange, arrange. Tu as de la chance, le proviseur t'attend dans son bureau demain à la première heure.

- Tu... Tu viens pas avec moi ?

- J'en ai suffisamment entendu.

La jeune femme fit un geste de la main pour renvoyer son fils. Epuisée, elle essuya son front ruisselant de sueur avec un essuie-tout, et s'assit à la table de bar pour retrouver son calme. Sa longue chevelure rousse était négligemment attachée, et des rides creusaient son visage de trentenaire.

- Je suis désolé.

- J'en ai assez, Louis. Assez.

Le lycéen vint prendre place à côté de sa mère, sans que celle-ci ne bouge, et attrapa l'une de ses mains, moite.

- Est-ce que c'est ma faute ? murmura-t-elle sans un regard pour lui. Est-ce que je t'ai mal éduqué ?... Est-ce que j'ai été trop ambitieuse à l'époque ?... J'aurais peut-être dû écouter mes parents, en fin de compte.

L'adolescent se tut, affecté. N'ayant presque jamais connu ses grands-parents car il représentait, à leurs yeux, l'échec d'un préservatif écolo, il ne comprenait que trop bien ce que sa mère entendait derrière ses regrets.

- Ce n'est pas ta faute. C'est moi, dit-il enfin.

- Oui... Sans doute.

Madame Nattier renifla, puis quitta la table en direction de l'escalier. Avant de monter, elle s'arrêta, et fixa son fils.

- Si les choses étaient à refaire, je ne sais pas si j'aurais pris les mêmes décisions.

Puis elle s'en alla, abandonnant Louis à ses mornes réflexions. Le jeune homme avait du mal à respirer, et sortit dans la cour pour reprendre son souffle. Dehors, l'air était froid, mais supportable. L'étudiant saisit son portable, effectua un numéro, et le porta à son oreille.

- Salut Mélanie, commença-t-il, la voix grave, la gorge nouée. Ca va ?

- Ouais, répondit un timbre plus aigu. Et toi, ça a pas l'air d'aller...

- Non, pas vraiment, valida le garçon sans détour. T'as un peu de temps pour discuter ?

- Quelques minutes. Les pions vont pas tarder à rappliquer pour me choper mon portable.

- Ca a l'air encore plus génial que ce que je m'étais imaginé...

- Qu'est-ce qu'il y a, Louis ?

L'adolescent observait ses pieds, morose.

- Il est possible que je rejoigne bientôt ton trou à rats...

- Merde, qu'est-ce que t'as fait cette fois ?!

*Alors c'est ça ma réputation ?*

- J'ai envoyé promener une saleté de vieille peau emmerdante et son saleté de club à la noix, donc maintenant, je suis en sursis.

- T'es trop con.

- N'en rajoute pas, je viens d'avoir mon lot d'insultes pour la soirée...

- Ta mère doit être sous le choc si tu dois partir, c'est clair.

- Tu parles. Elle est surtout enchantée qu'on m'envoie loin d'elle.

- On peut pas vraiment dire que tu lui mènes la vie simple.

- Aujourd'hui, elle m'a dit que si elle pouvait revenir en arrière, elle avorterait...

Un silence pesant s'installa.

- Louis... Elle ne le pensait pas, j'en suis sûre.

- Peu importe... Je suis déjà une erreur de la nature pour les gens que je croise au quotidien, alors ça ne m'étonne pas que ma mère ait fini par le croire aussi.

- Non, je suis convaincue qu'elle a dit ça sous le coup de la colère. Elle t'adore et moi aussi. Ne te sens plus jamais seul.

Louis sourit à peine.

- Et après tout, il y aurait des côtés positifs à se retrouver, reprit la jolie voix, plus joviale. On pourrait s'envoyer en l'air dans les toilettes mixtes sans attendre le week-end pour le faire !

- Des toilettes mixtes ?

- Je te jure !

- Hmm... Pas très catho tout ça...

Mélanie explosa de rire, ce qui remit du baume au cœur à l'adolescent.

- Allez, champion, essaye de rattraper le tir quand même. J-B, c'est pas le meilleur établissement pour étudier...

- Je sais... Je vais faire ce que je peux.

- Courage ; on se rappelle bientôt, il faut que j'y aille.

- Ok, à plus tard.

- Je t'aime.

- Moi aussi.

Louis raccrocha, et réfléchit. Mélanie avait peut-être raison. Certaines personnes tenaient à lui et il se devait de rattraper ses erreurs pour ne plus les décevoir. Le "théâtre". Ce mot lui revenait en tête comme la réponse à ses problèmes ; car si le cours lui avait déplu, la philosophie de Marceau l'inspirait : "Je crois à la rédemption humaine à travers le théâtre." Y avait-il une chance pour que lui, un ignorant et sarcastique spectateur d'art, puisse avoir un quelconque talent dans le milieu ? Les possibilités étaient infimes, mais pas inexistantes. Et si là était sa rédemption, il comptait bien la saisir. Il gagna alors sa chambre, alluma son ordinateur, et se rendit sur la page internet du club de théâtre du lycée. Une deuxième séance d'auditions se tenait mercredi, et les dialogues à interpréter étaient toujours disponibles. Louis eut une dernière pensée pour Dungan, se dirigea vers l'imprimante, et y connecta son PC.

- Allez, Shakespeare, sors-moi de ce merdier.

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