Chapitre 58
- Merde, j'ai oublié les mini-knackis !
Monsieur Illys s'affolait dans la cuisine sous le regard amusé de Gatien.
- Ca fait rien, Papa. On a bien assez à manger pour nous deux.
- Mais c'est ton anniversaire !
- C'est demain, mon anniversaire.
- Que tu passes avec tes amis. Donc pour moi, c'est aujourd'hui.
L'adolescent soupira, puis aida son père à ranger le reste des courses.
- Du topinambour et des fajitas ? s'étonna-t-il en découvrant les aliments.
- Tu n'aimes pas ? s'inquiéta Monsieur Illys.
Gatien ne put s'empêcher de sourire. Ce mélange lui rappelait les compositions fraises, endives et cacahuètes que son paternel préparait suite au départ de sa mère. La cuisine était alors devenue un défi pour Alan Illys ; défi qu'il avait su gagner avec le temps, mais ne maitrisait pas toujours totalement.
- Si, si, c'est très bien, rassura le garçon en rangeant le paquet de crêpes dans un placard. Tu voudras commencer par quoi ?
- Couper les tomates pour les mini-pizzas.
- Waouh, tu t'es donné un mal de chien pour ce soir !
- Je te l'ai dit, c'est ton anniversaire.
Gatien était ravi. Leur retour en France, il y avait de cela six mois, avait certes créé un vide maternel et marital, mais su rapprocher le père et le fils. La difficulté les avait soudés, et l'adolescent répudiait l'idée que les choses puissent à nouveau changer. Lui-même ne s'était jamais autant investi dans les affaires de la maison de son plein gré. A l'époque, Madame Illys - désormais Moran - s'occupait presque exclusivement du foyer ; mais à présent, l'organisation n'était plus la même, et la nouveauté s'accompagnait de changements moraux. Les hommes pouvaient aussi bien tenir leur logis que les femmes.
- Très bien, je m'en occupe, lança le jeune homme en attrapant la planche de cuisine et un couteau aiguisé.
- Non, non. C'est ta fête. Je vais tout préparer.
- Papa, souffla Gatien, tu n'auras jamais le temps de tout faire. Laisse-moi t'aider.
- Hmm... réfléchit le paternel, déjà en sueur. Bon... D'accord. Mais je t'interdis de peler les pommes de terre !
L'étudiant ouvrit grand les yeux. Des pommes de terre ? Avec les fajitas et le topinambour ?
- Ok, masqua-t-il, à deux doigts d'exploser de rire. Je te promets de ne pas m'occuper du plat principal...
Monsieur Illys acquiesça, et se mit lui-même au travail. Avec son fils, ils s'amusèrent en se rappelant des souvenirs culinaires épiques jusqu'à ce que le repas fut prêt à être enfourné. On fit cuire les mini-pizzas, puis les fajitas, dans le four. Mais au moment où Gatien posait les assiettes sur la table, quelqu'un toqua à l'entrée, et son père sursauta.
- Oh... déjà... bégaya-t-il, livide.
Le jeune homme fronça les sourcils, interloqué, puis, voyant que le chef de famille ne bougeait pas d'un pouce, vint ouvrir la porte au nouveau venu. Or ce qu'il découvrit l'ébranla de la tête aux pieds. Une femme, aux cheveux bruns bouclés, au visage mince et aux yeux gris-verts, attendait. Elle sourit béatement en reconnaissant le garçon, et lui offrit ses bras comme s'il en avait eu besoin pendant des années.
- Gatien ! s'emballa-t-elle d'une voix tendre. Je suis tellement contente de te voir, mon chéri.
Stupéfait, inerte, l'étudiant la laissa l'embrasser sans réagir.
- Comment vas-tu ? Comme tu es beau ! Et comme tu as grandi ! poursuivit-elle, émerveillée, en passant sa main dans les cheveux de l'adolescent.
Comme frappé par la foudre, le lycéen se reprit aussitôt, et repoussa violemment la femme qui avait osé interrompre son diner. Celle-ci recula sur deux mètres, et son visage passa de l'entrain à l'effroi en une demi-seconde.
- Gatien ! s'exclama son père, ayant lui-même repris ses esprits.
Alan Illys rejoignit son fils sur le palier, et observa son ex-femme avec autant de crainte que d'embarras.
- Bonjour Natacha...
- Bonjour Alan, répondit-elle doucement, mais en haletant.
- Ecoute, murmura Monsieur Illys en se retournant vers son enfant, elle veut simplement te souhaiter un bon anniversaire.
- Pourquoi tu l'as invitée ?! tonna le jeune homme, fou de rage.
- Elle... Elle avait déjà pris son avion quand elle m'a appelé. Elle voulait te voir demain mais je lui ai dit que tu passerais la journée à préparer ton anniversaire, alors elle a proposé de passer ce soir. Je ne pouvais quand même pas la renvoyer...
- Bien sûr que si ! Et si t'es incapable de le faire, je vais m'en occuper !
Il se retourna alors vers la femme et, bouillant de colère, se sentant trahi par son père, il explosa encore plus fort.
- Retourne avec ta pétasse et fous-nous la paix !
Douloureusement ramenée à la réalité, Natacha Moran hoqueta, puis plaqua ses mains contre sa bouche.
- GATIEN ! grogna à son tour son paternel. Excuse-toi, tout de suite !
- Pourquoi ?! Tu prends sa défense maintenant ?! T'as déjà oublié ce qu'elle t'as fait ?! Ce qu'elle nous a fait ?!
La tension était palpable, la situation insupportable. Monsieur Illys fixa durement son fils, inspira profondément, et se calma.
- Elle n'a pas de mauvaise intention. Ca fait six mois que tu ne l'a pas vue, je pensais que ça te ferait plaisir.
- Oh je t'en prie ! poussa le garçon dans un geste de main désinvolte. C'est toi qui as envie de la voir depuis tout ce temps, ce qui est franchement pathétique ! Moi, je m'en fiche totalement.
Prenant conscience de la dureté de ces mots, l'adolescent offrit un regard coupable à son père.
- Pardon, ce n'est pas ce que je voulais dire...
Monsieur Illys observa le sol, affligé, fatigué, puis rentra dans la maison.
Oubliant la présence de sa mère, le lycéen respirait difficilement, et ne se retourna vers elle que lorsqu'elle reprit la parole, le ton brisé.
- Je... Je t'ai amené quelque chose...
Elle ramassa alors un paquet qu'elle avait caché à côté de la porte, et le tendit à son fils. Disposé à l'envoyer promener, celui-ci se retint cependant en sentant le regard de son père sur lui, et accepta le cadeau, à contrecœur. Il l'ouvrit devant elle, décidé à ne pas la laisser entrer dans la maison, et haussa les sourcils.
- C'est un ballon de foot...
- Je sais ce que c'est.
- Mais signé par Harry Kane !... Tu te souviens quand on allait voir ses matchs ? Tu étais fou de joie dès qu'il marquait un but. Eh bien, j'ai réussi à me procurer un ballon portant sa signature, et tu sais, c'est très rare...
Gatien contempla le présent, à la fois touché par ce qu'il représentait, et dégouté par ce que sa mère en attendait. Si elle croyait pouvoir acheter leur réconciliation comme ça, elle se trompait lourdement.
- Je déteste le foot, dit-il, impitoyable.
Natacha Moran parut déroutée.
- Oh... Je, je ne savais pas que tu n'aimais plus ça...
- Je n'ai jamais aimé ça.
Le jeune homme laissa la balle s'échapper d'entre ses mains, sous le regard impuissant de sa mère.
- Autre chose ?
Madame Moran hocha la tête, prête à fondre en larmes.
- Alors au revoir... Salue Kate de ma part, grinça-t-il, ironique, avant de refermer la porte derrière lui.
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