Chapitre 60
Fanny arriva au lycée à petits pas. Elle ne s'était pas encore remise de son dernier week-end, aussi bouleversant qu'inexplicable, et redoubla de vigilance en fuyant les regards des autres élèves, en commençant par celui de Pia. Ce matin là, la jeune fille à la chevelure d'or avait quitté la voiture sans mot dire et, imperturbable, rejoignait l'établissement aux côtés de sa sœur. Au lendemain de la fête de Gatien, elle n'avait pas boudé Fanny, mais ne lui avait pas parlé non plus ; comme si reprocher quelque chose à son aînée l'épuisait, mais montrer combien elle l'avait blessée allait de soi.
Gatien attendait, au niveau du portail, masse capillaire au vent, une clope entre les dents, et un sourire en coin lorsqu'il reconnut Fanny. Celle-ci baissa les yeux, le contourna, et passa les grandes portes en soupirant. Elle sentait toujours le regard de l'étudiant sur elle quand elle pénétra dans le bâtiment, mais ne lui adressa aucune marque d'attention en retour. Il fallait arrêter ça, avant que les choses ne dégénèrent, avec ou sans l'approbation du garçon.
Quelques instants plus tard, après s'être engagée dans un couloir, l'adolescente sentit une main se refermer sur son bras, et quelqu'un enfoncer trois poignées de portes avant que l'une d'elles ne s'ouvre. La lycéenne eut à peine le temps de saisir la situation qu'elle se trouvait désormais dans une salle de classe vide, que Gatien verrouillait la porte derrière eux, puis fondait droit sur elle. Il l'embrassait, de plus en plus passionnément, posait ses mains sur ses joues, sa taille, lui dévorait le cou, le visage, avec ardeur et plaisir. Décontenancée, Fanny le laissait faire, jusqu'à trouver suffisamment de force en elle pour le repousser. Haletant, ils se dévisagèrent avec incompréhension.
- On ne peut pas faire ça, décida-t-elle.
Gatien contempla l'étudiante, s'avança de nouveau, et passa une main dans ses cheveux lâchement noués.
- Bien sûr que si, murmura-t-il, plus calme et tendre.
- Non... bruit l'autre. C'est imp... impo... imposs...
Elle se tut, lasse, et laissa le garçon goûter une nouvelle fois ses lèvres. Ses mains glissèrent derrière sa nuque, ses poils se hérissaient au contact des siennes, et elle sourit tandis qu'il s'attaquait encore une fois à son cou. Il la souleva, l'installa sur le bureau de l'enseignant, et entreprit de déboutonner son haut.
- Non... émit Fanny, tandis que Gatien continuait de la déshabiller. Arrête...
Lancé, celui-ci n'écouta pas la supplique de sa douce.
- J'ai dit, non ! s'affirma cette fois la lycéenne, descendant du bureau et remettant son haut sous l'expression troublée du jeune homme.
- Excuse-moi, balbutia-t-il. Je, je suis désolé.
Fanny ne l'écouta pas, se dirigea vers la porte, mais fut encore empêchée.
- Attends !
- Quoi ? s'énerva l'adolescente.
- Tu ne peux pas partir comme ça ?... Je t'ai dit que j'étais désolé !
- Laisse-moi passer.
Inquiet, Gatien hésita ; puis il plongea ses yeux dans ceux de l'étudiante, l'air grave.
- Il faut que je t'avoue quelque chose.
La jeune fille souffla.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Tu comptes beaucoup pour moi...
Fanny tourna la tête.
- Et... chuchota-t-il en attrapant doucement son menton pour l'obliger à le regarder. Je t'aime.
La lycéenne écarquilla les yeux, éberluée.
- Quoi ?
Rouge, Gatien prit ses mains entre les siennes.
- Je t'aime depuis le jour de la rentrée, quand je t'ai vue avec Pia, les cheveux en bataille, dans le couloir des secondes...
- Oh c'est pas vrai...
- Je sais que c'est inattendu... Enfin, peut-être pas tant que ça...
Tétanisée, Fanny se sentait incapable de répondre au garçon qui, radieux, semblait soulagé d'un poids immense. Elle ignorait si elle faisait face à son plus grand rêve, ou à son pire cauchemar.
- Mais qu'est-ce que tu racontes ?... bégaya-t-elle.
- Eh bien, ma rose de la Saint-Valentin... Et ce baiser, samedi...
L'adolescente jeta des yeux égarés autour d'elle, comme si son cerveau venait de perdre tout contrôle.
- Tu parles de ce pari à la noix ?
Gatien recula, étranglé.
- À la noix ?... Je, je croyais que tu avais ressenti quelque chose, toi aussi...
Fanny se força à rire.
- Mais toi et moi, on ne vient pas du même monde, Gatien ! Comment veux-tu construire une relation stable avec une fille que l'on appelle l'Affreuse ?
Pris de court, l'étudiant avait perdu son enthousiasme.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
Fanny fit un geste de main ennuyé.
- On sait tous les deux que ça ne fonctionnera pas. Tes amis ne m'accepteront jamais. Je te ferai toujours honte. Et, oh, tu ne feras plus partie des élèves populaires si tu sors avec moi... Ne me dis pas que tu n'y as pas pensé !
Gatien baissa la tête... Si, évidemment.
- Mais ce qui compte le plus, c'est d'être avec la personne que l'on aime, non ?
Fanny se rembrunit. Elle posa une main compatissante sur la joue du lycéen, qui s'en empara comme d'une pierre précieuse.
- Ce qui est le plus important, c'est le bonheur, expliqua-t-elle. Une chose que je ne pourrai jamais t'apporter... Je suis désolée.
Les yeux du garçon s'humidifièrent.
- Ça a un rapport avec Luc ?... C'est parce que tu l'aimes ? parvint-il péniblement à demander.
- Non ! Ça n'a rien à voir avec lui ! s'élança la jeune fille.
- Et moi... Tu m'aimes ?
Elle ouvrit la bouche.
- Je...
Silence. L'adolescent ferma les yeux.
- Je vois... fit-il d'une voix rauque.
- Gatien...
Il débloqua la porte, fixa sombrement Fanny, et s'en alla. Celle-ci s'écroula alors sur une chaise, et versa toutes les larmes qu'elle avait refoulées.
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