Chapitre 73
- D'après le guide de rencontres Comment aimer sans s'assurer un râteau ?, il est temps d'arrêter le flirt et de passer à l'étape supérieure, Gatien Illys.
La jolie blonde faisait danser son verre entre ses doigts tandis que Gatien l'observait en souriant. Le bar était animé ce soir-là, mais Tom et Joseph se montraient particulièrement attentifs aux demandes des deux amis. S'ils désiraient un autre verre, ils n'attendaient pas une minute pour être servis.
- Qu'est-ce qui te fait croire que je flirte avec toi ? s'enquit l'adolescent, le regard joueur et un sourire malicieux au coin des lèvres.
La jeune femme passa une main sensuelle dans ses cheveux et s'accouda au comptoir. Elle portait une jupe courte et un haut ravissant - bien qu'encore léger pour la saison. Sa bouche rouge et pulpeuse avait de quoi faire succomber le bar entier, et ses yeux perçants étaient saisissants.
Son visage joyeux se transforma en une moue faussement curieuse pour retarder sa réponse.
- Oh ! Eh bien, je ne compte plus le nombre de fois où tu m'as invitée à prendre un verre, je ne signale pas la moindre présence de l'un de tes amis à nos rendez-vous, et on ne parle plus de tes problèmes sentimentaux. Alors à moins que tu ne sois maintenant forcé d'être accompagné d'une personne majeure et responsable pour t'enfiler plusieurs shots de cette boisson damnée qu'est l'alcool, je dirais que tu as certaines vues sur moi.
Gatien ne put s'empêcher de rire, impressionné par l'audace de sa complice.
- Tu ne crois pas que tu pousses la réflexion un peu loin pour quelques verres avec moi ?
- Dis que je me trompe, fit-elle sur le ton de la séduction.
Le lycéen rougit et rapporta son attention sur son verre.
- Très bien... C'est vrai. Tu me plais.
- ... Et l'autre fille ?
Gatien se contenta de hocher la tête. Un court silence suivit, puis la jeune femme se reprit, l'air plus serein.
- Si tu veux savoir, tu es le premier garçon qui me fait vraiment de l'effet.
Toujours décontenancé par ses propos, l'adolescent n'eut pas le temps de répliquer que sa partenaire revenait à la charge.
- Et puis, j'ai cru comprendre que tu avais un faible pour les filles plus vieilles que toi.
La taquinerie, au-delà de l'embarras qu'elle suscitait à son auditeur, avait quelque chose de tout à fait déplacé. Gatien fronça les sourcils, mais d'un air plus sérieux qu'agacé.
- Deux ans de différence, ça n'a rien de choquant, fit-il, un peu brusque.
- Oui. Mais une différence de quatre ans entre un gamin sorti du collège et une jeune femme à l'université, ça l'est ?
Le lycéen grimaça, irrité par la référence au "gamin" dont il se savait l'objet. Puis il se calma, sourit et haussa les épaules.
- Ça ne te dérange pas ? s'étonna la jeune femme.
- Non. Pourquoi ça devrait me déranger ?
- Je ne sais pas, rougit-elle. Je demandais ça par curiosité.
- Et toi ? relança l'étudiant, bien que devinant la réponse.
Elle s'avança, son visage ne se trouvant plus qu'à quelques centimètres de celui de Gatien - qui déglutit.
- Si c'était le cas, je n'aurai pas accepté tes invitations, susurra-t-elle.
L'adolescent se tut, fasciné par le caractère impétueux qui lui faisait face. La jolie blonde n'ajouta rien, mais posa un insolent baiser sur ses lèvres - baiser que Gatien lui rendit sans frémir. D'agréables sensations s'emparèrent de lui, et les baisers s'intensifièrent. Il appréciait la détermination et la fougue naturelles de sa compagne - des qualités qui manquaient cruellement à la personnalité presque docile de Fanny. Peu après, ils se dégagèrent l'un de l'autre, sans mot dire, mais apparemment contents. Ils reprirent la conversation sur le ton léger et cordial qu'ils avaient coutume d'utiliser, sans ressentir la gêne du moment plus intime passé.
Gatien ne put s'empêcher de parler de l'affaire Sophie Calice qui agitait tout son lycée, et écouta tranquillement l'avis de sa partenaire sur le sujet. Il prit soin de ne pas évoquer le nom de "Fanny", et se suffit à relater les faits dans leur ensemble pour mieux insister sur l'absence inquiétante et prolongée de Sophie. La jolie blonde se montra intéressée par les histoires de son ami, et sa bonne figure inspirait - autant que ses réflexions - une confiance et une sagesse absolues. Ce savoir et cette intelligence plus poussés des choses étaient le signe de l'âge plus mûr et instruit. En cela, l'admiration de Gatien pour la jeune femme ne pouvait que croître.
- On étudie ça en droit, dit-elle. Si une personne reconnait ses torts, elle est jugée coupable des crimes qui lui sont imputés. Elle peut alors être emprisonnée si le crime en question est considéré comme suffisamment grave pour que cela arrive. La période de mise en cellule est plus ou moins longue. Si l'affaire finit devant le tribunal pour X raison, la défense peut faire appel dans le cas où le jugement rendu ne lui convient pas. Le juge reprend alors l'enquête, et la décision finale peut différer de la première sentence... De fait, si la fille dont tu me parles a vraiment commis des harcèlements à plusieurs échelles sur une même personne, je serais incapable de te dire à l'avance comment les choses tourneront.
Ne pouvant s'en tenir à ces quelques informations, Gatien enchaina les questions.
- Donc tu penses qu'elle est en taule ?...
- C'est concevable.
- ... Mais qu'elle pourrait s'en tirer même si tout le monde sait ce qu'elle a fait ?
La jolie blonde soupira.
- Ce n'est pas aussi simple. Les hommes et les femmes de loi doivent avoir un regard extérieur et objectif sur l'affaire. Sans cela, la justice ne peut pas se faire.
- Mais où est la justice lorsqu'un criminel se retrouve dehors, libéré de ses accusations ?
La jeune femme fronça les sourcils, outrée et fidèle aux enseignements de son école. Cependant, elle persista à formuler ses explications avec calme et pédagogie.
- On ne libère pas n'importe qui. Les "criminels", comme tu dis, reçoivent une peine à la mesure de leur méfait.
- Alors pour quelle raison les appels sont-ils permis ? Si une personne jugée coupable de son délit doit finir en prison, pourquoi lui offrir la possibilité d'un autre procès ?
- Ce n'est pas toujours le cas.
- Quand bien même ! Les histoires de harcèlements ont ce privilège, si j'ai bien compris !
- Gatien, tu embrasses merveilleusement bien, mais tu es aussi buté que très loin de connaître l'ensemble du code pénal.
- Parce que toi, si ?
Philosophe, la jeune fille sourit.
- Disons que j'en sais plus que toi et que j'en apprends davantage tous les jours. Lorsque j'aurai fini mes études, je pourrai même prendre tout ce que tu déclares au mot.
- Probablement, reconnut l'adolescent, mais ça n'explique pas cette tolérance accrue pour les actes condamnables.
- Je ne revendique pas cette "tolérance", mais je suis réaliste. Les prisons n'ont plus assez de place pour accueillir toute la gangrène de France. Il faut savoir faire des choix, décider - comme je l'ai dit - en fonction de la gravité de chaque situation. Or un harcèlement ne s'évalue pas au même titre qu'un meurtre - si je prends l'exemple le plus évident qui soit... Aucune prison, cour ou représentant de la loi ne considère la justice avec laxisme, mais la réalité des choses peut, il est vrai, conduire à des peines plus ou moins discutables.
La jolie blonde porta son verre à ses lèvres, puis plongea son regard perçant dans celui du garçon.
- Tu as une vision du monde bien utopiste, Gatien Illys. Pourtant, je dois avouer que j'aime ça.
Sur le comptoir, ses doigts vinrent entrelacer ceux de l'adolescent - qui ne remua pas. Confus, celui-ci ne savait plus à qui penser. Fanny, Sophie, ou celle qui lui tenait tendrement la main.
- Je veux seulement que justice soit faite, Laetitia.
Songeuse, celle-ci finit par répondre :
"Je le souhaite aussi."
Alors l'hésitation cessa, et les doigts du lycéen se refermèrent plus chaudement sur ceux de sa compagne.
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