Chapitre 3
Les élégantes façades tourangelles se dressèrent peu à peu sous les yeux embués de Paula. En contrebas, la Loire serpentait, paisible et silencieuse. La faculté de lettres, dont la forme s’apparentait plutôt à une forteresse, apparut bientôt, et un sentiment de désespoir envahit tout à coup la jeune femme. Elle n’avait plus envie. Plus envie de se forcer à écouter des cours qui manquaient d’intérêt ou de dynamisme.
C’est avec dépit qu’elle s’extirpa de la voiture, sans même adresser un regard à sa mère ou à son père. Elle rejoignit rapidement les marches de l’entrée, balayant du regard les étudiants présents. Paula avait toujours trouvé drôle cette façon de catégoriser les gens, simplement en observant leur attitude et leur code vestimentaire. Les littéraires et les « artistes » étaient adeptes des looks les plus originaux possibles et osaient arborer des couleurs et des coupes de cheveux dépareillées sans complexe.
Les étudiants en droit aimaient vous dévisager de la tête au pied, à la recherche du moindre petit élément qui vous ferait passer pour has been. Ils vous donnaient l’impression d’être tout petits dans votre jean, alors qu’ils vous dévisageaient du haut de leur costume trois pièces. C’était une succession de préjugés et d’a priori qui régissaient les lois de la société étudiante. Et Paula avait hâte de quitter enfin ces codes pour se consacrer à ce qu’elle aimait le plus au monde, après finir le pot de pâte à tartiner avec les doigts : la musique.
La jeune femme étudiait le piano depuis sa plus tendre enfance sur les recommandations de ses parents, avides de réussites qui pourraient rejaillir sur eux. Et c’était bien la seule chose que Paula avait accepté de ses parents sans dégoût. Le son tendre et poétique des touches noires et blanches l’avaient rapidement envoûtée, et elle aimait savourer la douceur lente de mélodies douces du bout de ses doigts.
Paula repéra la chevelure flamboyante de son amie, assise sur un banc en face du fleuve. Sophie était plongée dans la lecture d’un roman volumineux, les sourcils froncés dans une apparente concentration. A l’appel de son prénom, celle-ci se détourna lentement de son histoire de royaume en danger. Paula prit place à côté d’elle.
« T’as révisé la littérature du XVIIème ? J’ai rien foutu, soupira-t-elle.
- Un petit peu, oui. Mais je pense pas que je vais faire des miracles non plus ce matin.
- Vivement qu’on se tire, j’en ai marre de ces cours de merde !
- Exagère pas, moi j’aime bien les cours de littérature médiévale. En plus, Langeron est plutôt cool. »
Arthur Langeron avait en effet tout du professeur adepte d’une pédagogie zen, aux accents un peu farfelus, construite avec et pour les étudiants. Pas comme tous ces satanés cours magistraux monotones et sans intérêt, qui donnaient à Paula les effets d’un somnifère, ou l’envie de posséder le pouvoir d’invisibilité, histoire de s’éclipser sans bruit de cet ennui sans fin. Ce qui ne l’empêchait toutefois pas de quitter discrètement la salle de temps en temps, pour s’allonger un moment sur les quais, ou de piquer du nez sur ses feuilles de cours.
Avec M. Langeron, ce genre de situation n’arrivait jamais. Il savait capter l’attention de ses étudiants qui restaient pendus à ses lèvres, malgré les trois heures de cours consécutives. Il lui arrivait parfois de sortir du cadre de la littérature pour se lancer dans la narration passionnante des légendes médiévales locales. Pour un peu, on se croyait réunis autour de lui comme de jeunes scouts au coin du feu un soir d’été, à partager des histoires pour se faire peur en grignotant des chamallows trop cuits.
Paula aimait particulièrement les légendes de dames blanches : ces pauvres femmes aux destins terribles qui revenaient,
Annotations
Versions