Chapitre 48D: février 1800
J'embrassais la pierre froide et rugueuse, et nous nous recueillîmes avec Marie un instant. J'en profitais pour donner des nouvelles du monde à Camille.
—''Vous voyez ma sœur, même après tant de temps et tant d’événements, de bouleversements, je ne vous oublie pas. Saviez-vous que vos enfants sont mariés et parents à présent ? Quelle merveilleuse grand-mère vous auriez fait ma chère, et j'imagine quelle fierté vous auriez pu ressentir envers vos enfants et petits – enfants. Les enfants de Malou s'appellent Bernard, Amand et Marie-Louise, et votre fille, qui vit depuis six ans à Bordeaux avec son mari, est grosse d'un quatrième enfant. Ceux d'Auguste se nomment Auguste et Marie – Léonie, car Marie, l'épouse de mon fils votre neveu, est la marraine, Léon – Paul le parrain. J'aurais tant de choses à vous raconter, Camille, que je pourrais y passer le reste de ma vie.
Nous allâmes voir le gardien du cimetière en retenant le numéro d'allée de la tombe, pour savoir ce qu'il pouvait faire pour nous. L'homme énorme, gras et joufflu fumait son tabac devant sa loge minuscule dont on peinait à comprendre qu'il puisse tenir à l'intérieur. Je lui demandais.
—''Bonjour... Ma sœur est enterrée ici depuis vingt – sept ans et j'aimerais savoir comment l'empêcher de partir en fosse commune, avec les indigents... Vous pourriez m'aider ?
—''Dites – lui que les concessions sont les moins chères de Paris, ici. Pour qu'elle reste...
Voyant apparemment que son humour ne me plaisait pas trop, il reprenait son sérieux.
—''Eh bien ma chère petite dame, deux solutions s'offrent à vous. Suivez – moi. Il s'adressa à Marie. Vous attendez pour autre chose, ou bien...
—''Non non, je l'accompagne.
Il nous conduisit dans sa loge, où flottait une insupportable odeur de transpiration et d'urine qui stagnait entre ces murs. Nous nous assîmes en face de lui, devant cette table nue qui ne devait jamais servir.
—''Donc, comme je vous disais, deux solutions s'offrent à vous. La plus honnête, entre guillemets, serait d'effectuer un transfert de corps dans un autre cimetière. Vous habitez Paris ?
—''Non, plus maintenant. Je vis à Rouen.
Il sortit de la poche intérieure de sa veste une carte abîmée sans doute mille fois pliée et dépliée, et me la déplia sous les yeux. Je n'étais pas convaincue, et j'écoutais à moitié car je savais que mon fils refuserait ce transfert.
—''Donc regardez, à Rouen, vous avez le cimetière monumental. Comme l'indique son nom, il est assez grand mais les concessions ne sont pas très chères...
—''Excusez – moi de vous interrompre, mais j'aimerais connaître la seconde solution, celle que vous avez appelé la moins honnête. Je ne crois pas pouvoir permettre ce transfert.
—''Vous avez raison, suis – je bête de proposer cela pour un défunt mort depuis aussi longtemps.
Je pressais la seconde solution.
—''Oui, donc, ce que je vous propose n'est pas très courant. En fait, vous êtes une des rares personne à venir réclamer un corps après si longtemps. Généralement, la famille oublie vite. Mais ce serait l'unique solution à votre problème. Il faudrait signer une autorisation d'exhumation de corps, qui nous déchargera de toute responsabilité concernant le défunt une fois accomplie. Donc, vous êtes toujours d'accord ?
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