Le lendemain, premier septembre, et malgré l'appui de mes protestations, Léon-Paul nous conduisit à l'Hôtel Dieu pour la campagne de variolisation organisée pour diminuer la mortalité due à cette maladie contagieuse. Nous y avions été contraintes, et j'avais littéralement l'impression de conduire Alice aux portes de la mort. Après nous avoir conduit jusque dans la salle d'attente, mon fils nous laissa pour aller prendre son poste au rez de chaussée. C'était insupportable, puisque quelques mères patientaient avec leurs jeunes enfants, qui s'entraînaient dans les pleurs. Bientôt, ce fus au tour de ma petite – fille d'exprimer son ennui et sa faim aussi peut – être, en se débattant et râlant sur les genoux maternels. Marie me la tendit, pour pouvoir aller lire les affiches accrochées sur les murs de la pièce. Elle revint s'asseoir.

—''Ils font des campagnes d'affichage contre l'avortement. Franchement, y a t-il une femme un jour que cela dissuadera ?

—''Je suis d'accord avec vous, c'est de l'argent gaspillé. Tenez, reprenez votre fille.

Au bout de dix minutes d'attente, un homme en blouse blanche ouvrit la porte du cabinet. Une femme en sortit avec son enfant dans les bras. Il appela une autre patiente à rentrer et cela se reproduisit jusqu'à ce que ce fus notre tour. Il referma la porte derrière nous et nous invita à nous asseoir sur les deux chaises installées en face de son bureau. Je me serais un instant crue chez le notaire. Il attrapa une feuille vierge, trempa sa plume dans son encrier, et regarda tendrement Alice, ses yeux passant de ceux de sa mère à elle.

—''Bon, alors comment s'appelle cet enfant ?

—''Alice. Elle a dix – sept mois.

—''D'accord, c'est votre fille ?

—''Oui.

—''Bon, elle est en bonne santé ?

Marie me regarda, avant de répondre au médecin.

—''En général. Même si cet été elle nous a fait un épisode de gastro et elle a eu la varicelle. C'est pour ça que mon mari tient à ce qu'elle soit variolisée.

—''Mais... Vous avez conscience qu'elle ne sera protégée que de la variole ? Oui ?

Elle hocha la tête. Il se leva.

—''Bon, je vais l'inoculer au niveau du bras, alors il faudrait que vous lui retiriez sa robe. Qui est très jolie, au passage.

J'aidais Marie à déshabiller l'enfant et je la prenais pour l'emmener asseoir sur la table d'auscultation.

—''Ce ne sera pas la peine. Gardez – la plutôt avec vous.

Il incisa légèrement la peau de la petite fille qui se mis littéralement à hurler dans mes bras, et trempa un morceau de tissu dans une fiole contenant un liquide blanc, dont il badigeonna la plaie saignante. C'était tout.

Pendant que je rhabillais Alice en essuyant ses larmes, j'entendis le médecin nous proposer la même chose qu'elle. A mon grand soulagement, ma belle – fille refusa de vive voix, parlant ainsi pour nous deux. Nous discutâmes un peu ensuite, car Marie lui avait dit que son mari travaillait dans cet hôpital. Il ne le connaissait pas, mais après tout, l'Hôtel Dieu était un grand établissement.

A notre sortie du cabinet, nous nous mîmes à arpenter les couloirs de l'hôpital pour chercher Léon – Paul, car nous avions besoin de lui pour rentrer à la maison. Marcher ne nous dérangeait pas, mais le souci fus rapidement l'enfant, fatiguée, que je traînais par la main. Nous croisâmes un médecin, que Marie interpellait.

—''Excusez – moi. Je cherche le docteur Aubejoux.

—''Oui, je le connaît, mais il doit être occupé. Vous aviez rendez – vous ?

—''Non, c'est mon mari.

Il se baissa vers l'enfant, tout en regardant Marie.

—''Vraiment ? Et serais – ce votre fille ?

—''Oui. Alice.

—''Léon – Paul nous en avait parlé. Bon, suivez – moi.

Il nous conduisit jusqu'au rez de chaussée, dans une immense salle où étaient alités des dizaines de malades. Je reconnaissais mon fils de loin avec sa chevelure rousse, penché auprès d'un. Nous le rejoignîmes rapidement.

—''Excusez – nous de vous importuner, mais nous avons besoin de vous pour rentrer.

—''Je termine avec le malade et j'arrive. Tout s'est bien passé ?

—''Oui. Répondis – je

Léon – Paul nous fis ramener, et le soir venu, dès qu'il rentra, sa femme le prévint en le regardant droit dans les yeux, alors qu'il tentait une approche douce et amoureuse.

—''Si Alice est malade à cause de tes expériences, je rentre chez mon père. Tu m'as bien comprise ? Et j'accoucherais à Saint – Germain, d'un enfant que tu ne seras pas près de connaître.

Sur ces mots, elle quitta la cuisine et monta dans sa chambre. Je venais ainsi d'apprendre qu'elle était enceinte. Heureusement, Alice ne fus pas malade, et nous ne saurions jamais l'efficacité réelle de ce soin censé prévenir la variole.